Au fur et à mesure que leurs revendications sont satisfaites, les Corinthians quittent un peu plus le terrain du football pour poser de vraies questions nationales. Une évolution normale, selon Socrates: “Au départ, nous voulions changer nos conditions de travail ; puis la politique sportive du pays ; et enfin la politique tout court”.
Lorsqu’en 1982 la publicité fait son apparition sur les maillots de foot au Brésil, Socrates et ses potes sautent sur l’occasion: ils dominent le championnat de Sao Paulo. Floqué dans le dos: “Democracia”. Tout un programme. Puis, pour la première élection au suffrage universel du gouverneur de Sao Paulo, le message est encore plus explicite: “Dia 15, vote” (“le 15 – jour de l’élection –, votez !”). Un peu plus tard, en 1983, le mouvement se trouve finalement le nom qui le fera passer à la postérité: démocratie corinthiane. À l’origine de l’expression, un homme, Washington Olivetto. “Olivetto était un publicitaire très connu. Sympathisant de la cause, il est devenu le responsable marketing officieux de l’équipe”, précise encore Ricardo Gozzi. Et Olivetto connaît son métier: il fait la promotion des Corinthians auprès des artistes brésiliens, assurant à son camp les soutiens de Chico Buarque ou Rita Lee (la délicieuse chanteuse d’OS Mutantes). Mieux, Gilberto Gil va même jusqu’à composer une chanson en l’honneur de la démocratie corinthiane. Une aubaine pour un Socrates producteur de théâtre, chanteur (en duo avec le grand Toquinho) et peintre dilettante. “Même Tom Jobim, l’idole nationale, était derrière nous”. Au même moment, le syndicaliste Lula fonde le Parti des Travailleurs. La rencontre entre les deux principaux pôles de résistance au Brésil est inévitable. “Quelques joueurs des Corinthians, Wladimir, Casagrande, Socrates et Luis Fernando, ont adhéré au Parti de travailleurs”, détaille Gozzi. “Mais rien n’était obligatoire: Zé Maria a rejoint le PMDB (centriste) et Biro-Biro le PDS (centre –droit). Les joueurs étaient aussi libres de n’adhérer à rien s’ils le souhaitaient”. Les Corinthians deviennent donc les porte-étendards de la contestation au Brésil. “Cette équipe est devenue un enjeu national”, éclaire Ricardo Gozzi. “Le Brésil s’est divisé en deux. D’un côté, les activistes pro-démocratie et les dirigeants de gauche ont pris position pour la démocratie corinthiane. Et de l’autre, tout ce que le pays comptait de conservateurs s’est mis à la vilipender. La presse, notamment, était très dure. Si certains journalistes soutenaient individuellement le mouvement, les journaux étaient à la botte du pouvoir”. Cette opposition culmine en décembre 1983, à l’occasion de la finale du championnat pauliste qui oppose les Corinthians à Sao Paulo. En déboulant sur la pelouse, et sachant que le match est retransmis à la télévision dans tout le pays, les joueurs des Corinthians déploient une banderole en forme de bras d’honneur au pouvoir en place: “Gagner ou perdre, mais toujours en démocratie”. Un courage dont on chercherait en vain l’équivalent dans l’histoire du football. Quelque chose comme l’écho, 15 ans plus tard, de la provocation de Caetano Veloso au festival de la MPB (musique populaire brésilienne) 1967, lorsque face à un public siffleur et acquis aux généraux, il déclama le refrain de sa chanson Alegria, Alegria: “J’avance, j’avance, et pourquoi pas?” Pour la petite histoire, les Corinthians s’imposent sur un but de Socrates. Démocratie 1, dictature 0.