Le stratège néerlandais est mort à Barcelone, ce jeudi, des suites d’un cancer. Il avait 68 ans. Sur le terrain, puis sur le banc et enfin dans des analyses pour la presse écrite, il a profondément marqué le football de son empreinte. Celle d’un géant.
En février, il assurait : «Maintenant, j’ai le sentiment de mener 2-0 dans le match à la mi-temps, mais évidemment, ce n’est pas fini. Je suis sûr que je terminerai le match avec une victoire.» La nouvelle brutale de sa disparition a ému. Johan Cruyff était le jeu. Inspiré. Délié. Il était l’archange du football total. Celui prôné par l’entraîneur Rinus Michel qui avait fait voler les barrières entre l’attaque et la défense. Il était le chef d’orchestre de l’Ajax d’Amsterdam (vainqueur de la Coupe d’Europe des clubs champions 1971, 1972 et 1973 avec ses disciples Rep, Neeskens ou Keizer) et des Pays-Bas (finalistes malheureux de la Coupe du monde 1974, il ne figure pas dans la sélection pour la campagne 1978).
Son physique frêle se jouait des défenses les plus robustes. Sa technique cristalline, ses dribbles déroutants ont fait de lui un joueur à part. Son agilité lui offrant de tenter et de réussir les figures les plus osées, comme cette reprise de volée de l’extérieur du pied droit, en extension, avec le Barça contre l’Atletico Madrid, lors de la saison 1973-1974. Et il avait, comme George Best, l’aura et les excès collant à une rock star, ouvrant en grand les porte de la légende. Cheveux longs, rouflaquettes généreuses, insouciance en bandoulière, talent à revendre.
Toujours au service du jeu
Une fois les crampons rangés (après être passé par l’Ajax, Barcelone, New York, Los Angeles, Washington, Levante et Feyenoord, pour un dernier tour de piste au début des années 80), il était devenu un entraîneur de talent au FC Barcelone (1988-96). Toujours au service du jeu. Son credo transmission-vitesse-inspiration. Frank Rijkaard, Pep Guardiola et Luis Enrique étant considérés ensuite comme ses héritiers. «Jouer au football est simple mais jouer simplement au football est la chose la plus difficile qui soit», assurait Cruyff qui fut triple Ballon d’or (comme Michel Platini, Marco Van Basten, Cristiano Ronaldo et Lionel Messi, les plus récompensés au palmarès du trophée à qui il a manqué la Coupe du monde, lui qui avait été désigné meilleur joueur du Mondial 74).
Son influence infuse toujours au plus haut niveau du football mondial. Sa parole était d’or pour tout ce qui touchait au FC Barcelone et au jeu. Le n°14 demeure un numéro fétiche. Lors de l’un de ses derniers témoignages, il avait salué «ému» et «ravi» le penalty tiré par Messi pour Suarez, le 15 février lors d’un large succès contre le Celta Vigo, œillade à l’inspiration tentée et réussie en 1982.
Cruyff. Six lettres. Comme Merckx. Beaucoup de consonnes qui claquent. Comme une menace, une promesse. Celle de l’audace et du plaisir défendus avec fierté. Cruyff, un égo. «Quand on prononce le nom de Cruyff, tout le monde sait de qui on parle.» Cruyff, six lettres, des titres à la pelle. Cruyff, un nom qui glisse, que s’approprient les spectateurs de tout âge. Avec en tête des souvenirs d’époque vus, revus ou partagés pour des générations de joueurs (Van Basten, Bergkamp…) et de spectateurs. Cruyff qui a donné son nom à un dribble «Cruyff turn» et a offert tellement plus. Un regard profond. Un étendard, une ambition, une intarissable source d’inspiration. «J’incarne une époque où le football offensif était synonyme de succès. Le plaisir était une notion fondamentale», avait-il dit. Le football a perdu un danseur en crampons.
Par Jean-Julien Ezvan