La sixième édition du Championnat d’Afrique des nations (CHAN Cameroun 2020) qui a vu la consécration pour la deuxième fois consécutive de l’équipe du Maroc rentrera dans l’histoire comme l’une des plus réussies, compte tenu du contexte sanitaire et ce malgré quelques couacs au niveau de l’organisation. La victoire finale des Lions de l’Atlas est amplement méritée, tant cette équipe constituée d’éléments très expérimentés était un cran au-dessus sur le double plan de l’aisance technique et de la discipline tactique.
Autant d’atouts qui lui ont permis de se défaire avec une étonnante facilité des différents adversaires surtout à partir du dernier carré.. Même si la qualité des pelouses aura largement contribué à l’amélioration du jeu, il n’en demeure pas moins vrai que la trajectoire des différentes équipes engagées donne une idée assez contrastée du niveau du football pratiqué sur le continent.
En lançant une compétition réservée exclusivement aux joueurs évoluant en Afrique, la Confédération africaine de football a eu pour principal souci de contribuer à l’amélioration du niveau technique des joueurs ainsi qu’à la maturation tactique des équipes africaines qui éprouvent le plus grand mal à s’illustrer dans les compétitions internationales à l’instar de la coupe . du monde. Toutefois, cette bonne idée de départ semble n’avoir pas tenu compte suffisamment des nombreuses disparités qui existent entre les pays du continent en matière de football. Alors que certains n’ont pas de championnat national régulier depuis des mois, voire des années, d’autres disposent de championnats professionnels bien structurés autour des clubs de renom qui remportent régulièrement des trophées sur l’échiquier africain. A titre d’exemple, un pays comme le Cameroun englué dans des querelles partisanes (conflit Fecafoot/Ligue entre autres) et dont la dernière victoire d’un club en coupe d’Afrique remonte à plus de 35 ans peut-il logiquement rivaliser avec le Maroc, l’Egypte, la RDC, voire la Guinée qui peuvent puiser à satiété dans un riche réservoir de talents fournis par des clubs prestigieux comme Raja de Casablanca, Zamalek, T.P Mazembé, etc. Certes le miracle peut se produire de temps à autre mais jamais à tous les coups.
Disparités et dysfonctionnements
Depuis le lancement de la compétition, les vainqueurs appartiennent pour l’essentiel à deux catégories. D’une part les pays disposant d’un championnat professionnel bien structuré et d’autre part des pays disposant de grands clubs susceptibles de fournir l’équipe nationale en joueurs de talent. Il est évident que des joueurs évoluant dans un environnement socio-économique plus favorable ont plus la capacité de gagner face à ceux qui végètent dans l’amateurisme et la différence peut s’observer sur le terrain. Contrairement aux pays d’Afrique subsaharienne dont les meilleurs joueurs évoluent hors du continent, les pays du Maghreb ont l’avantage de freiner l’exode des talents en offrant aux joueurs des meilleures conditions de travail pour les retenir sur place. Elu meilleur joueur du CHAN 2020, le Marocain Soufiane Rahimi évolue au Raja Casablanca où il vient de prolonger son contrat.
A sa place, un Camerounais lorgnerait déjà vers un club européen ; même de troisième division ! A quelques éléments près, l’équipe du Maroc qui vient de remporter le CHAN n’est pas très différente de la sélection qu’on pourrait retrouver l’année prochaine à la CAN Cameroun 2021. D’ici là, elle aura tout le temps de roder sa cohésion alors que ses futurs adversaires sont encore dans un flou total.
A contrario, on peut observer que la plupart des pays ayant remporté le trophée du CHAN ont plus du mal à s’imposer dans une compétition plus grande comme la Coupe d’Afrique des nations qui regroupe des joueurs professionnels aguerris en provenance des quatre coins du monde. Les sélections nationales se battent à armes égales ou presque à la CAN. Ce qui n’est pas souvent le cas au CHAN où l’excellence côtoie la médiocrité. Comme nous l’avions déjà relevé dans ses colonnes lors du CHAN 2018 au Maroc, cette compétition réservée aux joueurs locaux est le reflet presque parfait des nombreuses disparités qui existent dans le football africain. Dans sa formule actuelle, le CHAN met à nu les nombreux dysfonctionnements du foot africain. Contrairement à l’Europe par exemple, tous les pays africains n’ont pas pris le train du professionnalisme. Certains sont plus avancés dans ce domaine alors que d’autres végètent encore dans l’amateurisme. Sauf miracle, il est très difficile pour des équipes mal préparées de rivaliser avec des sélections nationales issus des championnats mieux organisées et structurées qui ont permis l’éclosion des grands clubs qui font la loi sur le continent.
Les ingrédients de la victoire
Les équipes qui s’en sortent le mieux sont celles qui disposent d’un important vivier de talents fourni par un championnat professionnel bien structuré. A contrario, les équipes montées à la va-vite, sans base solide, ne peuvent jouer que les seconds rôles.
Du fait de la grande différence de niveau tant au niveau des championnats nationaux qu’à celui des clubs de renom, le CHAN apparait comme une compétition foncièrement déséquilibrée dans la mesure où les grands championnats et les grands clubs mangeront toujours les petits. Il aurait été plus logique de parler d’un « Championnat d’Afrique du football amateur ». Même s’il semble tard de revoir la formulation, il eût été plus équitable de réserver cette compétition aux joueurs issus des championnats amateurs. Ce qui en ferait une espèce de vivier pour servir à l’encadrement des talents de demain.
Ceci dit, on ne saurait faire injure à l’excellence. Ceux des pays qui ont fait l’effort de mieux structurer leur championnat national et d’offrir des meilleures conditions de travail aux principaux acteurs du football ne sont pas à blâmer. Bien au contraire, leur exemple devrait servir d’émulation pour tirer les autres de leur torpeur et les pousser à faire mieux. C’est en effet aux derniers de la classe de prendre conscience du chemin qui reste à parcourir pour rattraper le retard. Dans le football comme dans d’autres secteurs d’activité, aucune magie ne peut opérer de miracle permanent. La capacité d’organisation, la discipline et le travail acharné sont les seuls ingrédients de la victoire.
Jean Marie NZEKOUE
Editorialiste, chroniqueur sportif, auteur de « L’aventure mondiale du football africain » (L’Harmattan, 2010)