Les joueurs figurent, bien évidemment, parmi les coupables habituels des défaites des Lions. Le ministre en a pointé un, coupable d’avoir manqué à sa parole en ne marquant pas ce fameux cinquième but promis; l’administrateur de l’équipe et l’entraîneur, eux, ont flétri l’indiscipline de tous les autres comme étant la lèpre qui ronge notre équipe nationale.
Nous avons tous, au courant de la compétition qui vient de se terminer, vanté les uns et voué les autres aux pires gémonies. Nous avons épousé leurs querelles, nous les avons vilipendés, nous les avons encensés. Il n’est pas besoin de revenir là-dessus. Nous avons les joueurs que nous méritons, qui nous ressemblent et qui, vus de près, sont malheureusement le reflet de la société camerounaise.
La dernière fois que j’ai vu les Lions de très près, pendant plusieurs jours et plusieurs nuits de suite, c’était à Oxnard, en Californie, en 1994. Une éternité sans doute, car les choses ont vraiment changé. Il y avait, au sein du groupe, une personne qui parlait et qui était écoutée et sans doute respectée pour son courage et un certain sens de la justice. Les joueurs étaient clairement en lutte contre l’administration qui, il faut bien l’admettre, était d’une indigence embarrassante.
Les revendications pour de meilleures conditions qui avaient cours du temps des Milla et Bell se sont transformées en querelles au sein du groupe des joueurs relayées à l’extérieur par des fan clubs et des journalistes au service de clans. On ne parle plus que de discorde, de mésentente et d’inimitié profonde entre les joueurs. Jusqu’au chauffeur de taxi de Tunis, tout le monde ici explique la défaite des Lions par ce fameux manque de « solidarité ».
Rien de particulier, en somme, pour l’observateur averti. Les joueurs des Lions -et de bien d’autres grandes formations- ne s’aiment pas tous et ne se sont jamais tous aimés. Et alors ? Pour gagner, point n’est besoin de se faire des mamours ou de sortir ensemble bas dessus bras dessous. Ils ne s’aiment pas plus maintenant qu’ils ne s’aimaient du temps de Milla. Il y a des noceurs au sein de l’équipe ; il y en a qui sont plus calmes ; il y a de fortes têtes et des types antipathiques. Il y en a toujours eu.
La différence, maintenant, c’est que de moins en moins de joueurs des Lions ont légitimement la place qu’ils occupent. Notre société est ainsi faite qu’on est presque toujours obligé de se compromettre pour rester à un poste, monter, conserver un avantage. La compromission conduit inévitablement à la perte de légitimité et du respect qu’inspire la valeur personnelle. Il n’y a plus de leader chez les Lions parce qu’il n’y a plus de grand joueur suffisamment indépendant pour s’imposer sur le terrain et sur la table de négociation avec l’Administration. Beaucoup de joueurs titulaires n’ont pas trimé suffisamment longtemps pour mériter leur place.
Et cela est un drame, un drame bien camerounais de promotion sans probation et sans antécédents convaincants, mais qui ne semble malheureusement émouvoir personne. Alors, on ne respecte plus personne, et la réputation de l’institution que nous aimerions voir l’équipe des Lions devenir n’est plus ni protégée ni défendue. Le capitaine des Lions est accusé, à tort ou à raison, de tous les maux, et aucune réaction de la part de l’Administration n’est venue remettre les pendules à l’heure. Tous les joueurs qui semblent manifester quelque mouvement d’humeur à l’égard des choix de l’entraîneur ou des pratiques de l’Administration sont discrédités, humiliés ou écartés de la sélection. Ne restent donc plus que les joueurs bien camerounais: prêts à tout pour durer.
Vous vous rappelez de François Omam Biyick ? Il avait été sorti de Pouma FC (D2 camerounaise) pour faire un malheur dans la sélection. Regardez les Lions version CAN 2004. On n’y compte guère plus de quatre membres qui jouent de façon régulière dans un club reconnu sur la scène internationale. À quoi tiennent la sélection et le temps de jeu de tous les autres, je vous demande un peu ? Comment peut-on laisser de côté le meilleur joueur, deux années de suite, du championnat national pour aligner quelqu’un d’autre qui réchauffe à peine le banc d’une équipe de troisième ordre ?
La perte de légitimité au sein de la sélection n’est rien à côté d’autres malheurs qui guettent à terme nos Lions. Les plus immédiats de ces malheurs annoncés sont le déroulement de notre championnat national et l’interdiction imposée par la FIFA d’exporter des joueurs avant leur dix-huitième anniversaire.
S’agissant du championnat national, qu’il suffise de dire ici que personne ne semble savoir quand il commence et quand il se termine. La grande majorité des présidents de club étaient à Sousse logés à trois kilomètres de l’hôtel des Lions, alors que le début du championnat national avait été prévu le 7 février, donc en pleine CAN. Atroce. Il n’a évidemment pas commencé. La Tunisie a valablement gagné sa CAN avec la moitié de l’équipe évoluant dans le championnat national. Les Ivoiriens, qui montent en puissance, gèrent un petit championnat d’une efficacité redoutable. Pensez un peu: Kolo Touré, Akalé, Kalou, Drogba, pour ne nommer que ceux-là.
La décision de la FIFA est lourde de conséquences pour nous, justement parce que nous n’avons pas de championnat national capable d’assurer la formation et l’éclosion des futurs Lions. Les divers clubs européens ont toujours eu dans leurs centres de formation de très jeunes Camerounais, qui apprenaient leur métier dans de bonnes conditions. À 18 ans, on est adulte, donc trop vieux pour commencer à apprendre le métier de footballeur. Je ne crois pas que les diverses académies qui essaiment partout au pays soient de nature à pallier l’absence d’un championnat national bien structuré.
Je continue de croire que les Lions étaient, sur papier, la meilleure formation de la CAN tunisienne. Je crois toutefois qu’on a assisté à une démission totale de l’encadrement technique de l’équipe et que les places au sein de la 14e formation de football au monde sont données au rabais. Tous les observateurs des Lions sont convaincus que les places au sein de l’équipe sont négociables à divers degrés. Je ne le crois pas, mais c’est terrible de penser que cela pourrait bien être le cas.