L’image qui a tourné en boucle ces derniers jours sur les réseaux sociaux avait quelque chose d’insolite, voire de surréaliste : celle du sélectionneur du Cameroun, Rigobert Song, esquissant quelques pas de danse devant ses propres joueurs après la victoire obtenue à l’arrachée (1-0) face au Mali lors de la deuxième journée de la CAN U23 Egypte 2019. Tous heureux de découvrir pour la plupart les talents de danseur de leur coach, les joueurs ont applaudi à tout rompre.
Alors que certains médias s’alarmaient pour cette désinvolture, d’aucuns ont expliqué que c’était une manière comme une autre pour « Rigo » de célébrer sa première victoire en match officiel depuis son arrivée sur le banc de touche des U23, mais aussi de déstresser les joueurs et remobiliser l’ensemble du groupe avant le troisième match de poule. Ce n’était pourtant qu’une maigre victoire et la qualification pour le second tour était loin d’être acquise. Ils ont fait pourtant comme si la confrontation avec l’Egypte n’était qu’une simple formalité. Un seul point suffisait, disait-on pour se consoler, oubliant que le pays hôte avait d’autres ambitions. La victoire des Pharaons a fait descendre les Lions de leur petit nuage pour vivre la réalité crue : l’élimination du Cameroun dès le premier tour d’une compétition internationale. Une de plus après la piètre performance des Lions U17 à la Coupe du monde Brésil 2019. Une de trop et qui relance la problématique de la compétitivité de nos équipes à l’international.
Fragilité tactique et mentale
Mais avant d’aller plus loin, revenons sur la piste de danse… égyptienne pour tenter de comprendre ce qui n’a pas marché. En dehors de ceux qui refusent de voir la réalité en face, le dernier match de groupe contre l’Egypte était décisif. En dehors du facteur physique, il s’est beaucoup plus joué sur le plan tactique et au niveau mental. L’Egypte n’ayant plus rien à perdre après deux victoires, l’hypothèse la plus envisagée était un partage des points entre les deux adversaires. On a eu comme l’impression que les Lions se sont abandonnés à la facilité, se contentant au besoin du minimum syndical pour passer par la petite porte. Or entre le résultat de parité recherché par les Camerounais et la victoire voulue et imposée par les Egyptiens, la dure loi du sport a tranché et nous n’avons plus que nos yeux pour pleurer.
En dehors de quelques rares éléments comme Franck Evina, l’équipe camerounaise a manqué du rythme, de cohésion et de concentration, tels que l’attestent le but d’égalisation du Ghana aux toutes dernières minutes du premier match ou ce deuxième but égyptien encaissé cinq minutes après le début de la deuxième mi-temps. Annoncée en grande pompe, l’arrivée des renforts n’aura pas été décisive. Pire, l’équipe a subi sa première défaite fatale. Que s’est-il passé pour que l’équipe soit si fragile au plan psychologique ?
Après un Championnat d’Afrique des nations (CHAN Maroc 2018) totalement ratée, Rigobert Song s’était vu offrir une nouvelle chance à la tête des Lions U23 pour redorer le blason des entraineurs locaux réclamés à cor et à cri par certains. Visiblement, il ne l’a pas saisie avec cette élimination sans gloire. Lui et son staff devraient réfléchir sur des nouvelles stratégies à déployer pour remonter la pente.
Animateurs et danseurs attitrés
L’ambiance qui a prévalu au sein des Lions U23 n’est pas une nouveauté en soi. On aura constaté en effet que lors des compétitions internationales, nos sélections nationales se distinguent toujours par des comportements extra-sportifs au lieu de se concentrer sur l’objectif principal qui est la victoire finale. En proie à une euphorie communicative, ils ne ratent pas une occasion pour se donner en spectacle lors des séquences théâtrales où l’insolite le dispute au cocasse, voire à l’indécence. Chants, danses et autres pitreries sont monnaie courante. Certains joueurs, qu’on n’aura pas l’indécence de nommer, se sont fait une flatteuse réputation de « danseurs » et « d’animateurs » attitrés à tous les regroupements des Lions indomptables. Au vu et au su de tout le monde et sans que cela semble gêner personne. C’était déjà le cas à la CAN 2017, heureusement gagnée, puis au CHAN 2018, à la CAN 2019 en Egypte où les Lions entonnaient des chansons dans les vestiaires au grand étonnement des organisateurs. Rebelote à la CAN U23 2019.
Après la danse du coach la veille, les joueurs sont arrivés au stade tout hilares, chantant à tue-tête avant le coup d’envoi du match décisif contre l’Egypte. Pas de quoi assurer une concentration maximale avant l’ouverture des hostilités. On ne s’attardera pas davantage sur des rumeurs peu vérifiables au sujet des « sextapes » et autres rencontres galantes en pleine compétition.
La danse n’est pas la solution. Les grandes sélections comme l’Allemagne, l’Argentine, le Brésil, la France ou l’Espagne l’ont compris depuis longtemps. Alors que faire ? On ne demande pas aux joueurs d’être des robots. Ce sont des hommes avec leurs émotions. Sauf qu’en haute compétition, il y a un timing pour tout. On ne saurait mélanger des moments de détente avec des moments où une grande concentration est requise pour atteindre l’objectif fixé au départ.
La discipline, clé de la victoire
Le paradoxe veut malheureusement que le déploiement des talents hors des stades soit inversement proportionnel à la prestation des joueurs sur la pelouse. Au-delà de l’élimination ponctuelle, une question demeure : après tant de déboires, les sélections nationales de football vont-elles enfin se défaire de certaines attitudes folkloriques qui leur collent à la peau comme une malédiction tenace ? Nos joueurs les plus emblématiques feront-ils preuve désormais de plus de réserve et d’application au moment d’aborder la grande compétition ?
On peut aussi s’interroger sur le respect d’une certaine discipline au sein des équipes nationales. Les textes existent pourtant mais leur caractère purement administratif semble faire l’impasse sur le code de bonne conduite qui permettrait de sanctionner certains écarts de comportement préjudiciables à la concentration et à la sérénité du groupe.
N’ayons pas peur de le dire : la CAN 2021 qui se prépare ne se gagnera pas avec les pas de danse, si gracieux fussent-ils, mais grâce à l’éthique morale, au sérieux, à la discipline individuelle et collective des joueurs et encadreurs. Le reste n’est qu’incantation.
Jean Marie NZEKOUE est Editorialiste et auteur de plusieurs livres dont « L’aventure mondiale du football africain », L’Harmattan, Paris, 2010