«On a tout perdu: notre dignité, la face et les matches, bien sûr.» Vétéran de trois Coupes du monde (1982, 1990 et 1994), Joseph-Antoine Bell ne mâche pas ses mots pour évoquer la peu glorieuse campagne des Lions Indomptables au Brésil. Joli euphémisme en vérité puisque, comme en 1994, 1998, 2002 et 2010, le Cameroun quitte le festin mondial dès la fin du premier tour.
Une épopée ternie d’emblée par une préparation très approximative, selon Priscillle Moadougou, reporter au quotidien camerounais Mutations: «On a assisté à quelque chose d’ahurissant: cinq jours de « détente et de relaxation » après le stage en Autriche et en Allemagne. Ce relâchement physique et psychologique a certainement pesé
sur la concentration des Lions.»
AFFRONT. «TUEURS À GAGES» ET MAITRESSE.
Ensuite, place à une (traditionnelle) crise des primes survenue au pays quand les joueurs ont refusé de recevoir du Premier ministre, Philémon Yang, le drapeau. Une tradition pourtant. Terrible affront que cette cérémonie boudée après l’ultime test livré à Yaoundé. Pendant que le sélectionneur allemand Volker Finke, «recommandé» par l’équipementier Puma un an plus tôt, se dévouait pour recevoir le drapeau, les autorités livraient une course contre la montre pour décaisser des centaines de millions de francs CF A, un dimanche soir. Le vol spécial, prévu en fin de soirée, était dans la foulée repoussé au petit matin, les joueurs s’étant présentés à l’aéroport au compte-gouttes ! A’ peine arrivés, une certaine frange de la presse camerounaise dévoilait, témoignages et révélations sulfureuses à l’appui, la rupture violente supposée toujours comme si elle ne recevait rien entre Samuel Eto’o, le capitaine des Lions, et une maîtresse camerounaise sortie de l’armoire … «Même si cela est vrai, est-ce qu’il sera moins coupable dans un mois’? s’interroge Bell. De toute façon, on a des tueurs à gages dans notre presse … » Tentative de déstabilisation’? L’affaire, déjà débattue quand Eto’o était au pays, fut curieusement exposée au moment où il se débattait contre une blessure à l’adducteur, qui l’a d’ailleurs privé du match clé contre la Croatie lourdement perdu ( 4-0) … Dans la moiteur de l’Arena Amazonia de Manaus, cette rencontre jouée un 18 juin restera à jamais comme le Waterloo du foot camerounais, et pas seulement en raison du score. Trois milliards de téléspectateurs ont ainsi pu vivre en direct la tentative de coup de tête de Benoît Assou-Ekotto à son compatriote Benjamin Moukandjo, une altercation prolongée après le match dans le vestiaire. Cet incident a fait le tour du monde et donné l’image désastreuse d’une sélection … en perdition. «L’affaire des primes est à l’origine d’une profonde division dans la tanière, raconte notre consoeur camerounaise. Tout a été fait pour la cacher. Mais la bagarre entre ces deux joueurs en est une parfaite illustration. La Fécafoot (NDLR: la Fédération camerounaise) se comporte toujours comme si elle ne recevait rien pendant une Coupe du monde. Rien que pour cette préparation, elle a pourtant reçu près de 1 milliard 250 millions de FCFA (soit environ 1,9 M€) via la FIFA, Puma et les sponsors nationaux.» Interpellé par les médias camerounais après la gifle infligée par les Croates, Finke s’est d’abord un peu lâché: «Des joueurs se sont mal comportés. Il est nécessaire d’avoir des discussions individuelles. Le comportement de certains n’est pas du tout satisfaisant. C’est dégoûtant, cela ne me convient pas du tout. La honte. » Avant d’opérer un repli défensif quand les plumitifs attendaient de lui qu’il se démette publiquement. Ambiance …
DISPUTE. CHASSE AU MINISTRE ET SUIVEUSES.
Dans le même temps, on apprenait, mais est-ce une surprise, que le torchon brûlait entre les deux instances se disputant l’équipe nationale : le ministère des Sports (MINSEP) et la Fédération (Fécafoot). A l’hôtel, du côté de Vitoria, le ministre Adoum Garoua et son vis-à-vis, Joseph Owona, le président du comité de normalisation mis en place l’an dernier avec la FIFA, se sont disputés publiquement. Moche … Au centre des débats, il y avait, forcément, l’argent du Mondial. Pas celui de la FIFA, mais celui des contribuables camerounais – environ 4,5 M€ – sur lequel veille le MINSEP. Fâché de ne pouvoir en profiter pour sa délégation – on parle de 250 personnes venues accompagner l’équipe, parmi lesquelles les «suiveuses» de certains dirigeants, si l’on en croit la presse camerounaise … – Owona a décidé de « chasser» le ministre, qui était logé à l’hôtel de la sélection sur le budget fédéral. «Cette mésentente notoire s’explique, révèle Priscille Moadougou. Joseph Owona n’a aucune considération pour Adoum Garoua, qui était à l’époque chef de service au MINSEP quand lui-même était à la tête de ce département ministériel.» Au sommet du pays, le président, Paul Biya, demeure discret quand il s’agit de parler de ces Lions. « Depuis plusieurs années, conclut Priscille, il ne faisait plus allusion à eux. Il a recommencé le 31 décembre en souhaitant qu’ils redeviennent indomptables. » Pour une fois que les Lions obéissent.
FRANK SIMON, France Football