(De Douala et Paris) Gueule de bois pour les supporters des Lions indomptables: le Cameroun a perdu ce dimanche en finale de la Coupe d’Afrique des Nations face à l’Egypte (0-1). Mais le formidable parcours de la sélection nationale dans cette compétition pourrait bien attirer l’attention des clubs européens, toujours à l’affût de nouveaux talents africains. Et nourrir les rêves des footballeurs locaux, attirés par la réussite de stars comme Samuel Eto’o, avant-centre du FC Barcelone.
Mais les espoirs de ces candidats à l’exil, qui rêvent d’une belle carrière en Europe, sont souvent déçus. Christian et Didier, jeunes footballeurs camerounais, sont partis de leur pays en l’an 2000 pour devenir professionnels dans un club européen. Sans succès. Sept ans plus tard, l’un est à Paris et veut revenir dans son pays; l’autre est au Cameroun et veut gagner l’Europe. Parcours croisés.
« J’étais abonné à France Foot et je regardais L’Equipe du dimanche »
Poterne des peupliers, dans le XIIIe arrondissement de Paris. Christian est chez un « cousin », Patrick, qui le dépanne. Douze mètres carrés, un canapé, une télé, un tabouret où des plaques chauffantes laissent mijoter un poulet aux oignons et au concentré de tomates. Christian attend une réponse d’un club de Suresnes, en banlieue parisienne. Il a posé sa candidature pour y être entraîneur.
Christian est camerounais, de Douala, 3 millions d’habitants, sans doute plus, la capitale économique du pays. Il a quitté le Cameroun avec son meilleur ami, Didier, à la veille de l’an 2000.
Ce dernier vit aujourd’hui au Cameroun. Il travaille dans une brasserie, joue dans l’équipe de football de l’entreprise. Rien de bien palpitant pour cet ancien de la première division nationale, qui n’aurait pas cru que le football l’amènerait ici, à 30 ans.
Christian se rappelle de ses rêves de gloire:
« J’étais abonné à France Foot et je regardais L’Equipe du dimanche chaque semaine. Je savais combien gagnaient les joueurs, et j’avais une certitude: un jour, on parlera de moi.
« Alors je suis parti un peu comme tous les gars de mon âge à cette époque. J’étais jeune, j’avais déjà le plus haut niveau au Cameroun. Il fallait partir. »
Au Cameroun, les clubs ont des moyens limités et un footballeur ne peut subvenir aux besoins de sa famille, même s’il évolue en en D1.
Du Cameroun à la Libye, en passant par le Niger
En 1999, première tentative: Christian et Didier croisent des managers, des Camerounais, qui leur promettent des essais dans des clubs européens et leurs demandent 2 millions de Francs CFA (plus de 3000 euros). Une fois la somme empochée, ils ne donnent plus de nouvelles.
Les deux amis se promettent alors de ne pas fêter l’an 2000 au Cameroun. Didier s’en amuse:
« L’an 2000, c’était comme un grand mystère. On croyait que tout pouvait changer. Des gens partaient par les bonnes voies: avec un manager, un billet, un visa, des tests… Je n’ai pas eu cette possibilité, alors j’ai essayé de la provoquer. »
Ils partent le 28 décembre 1999. Tous deux s’attendent à un voyage difficile, mais croient en leur bonne étoile. Camion jusqu’à Abuja, au Nigeria, taxi collectif jusqu’au Bénin, voiture de Cotonou jusqu’au Niger. Ne pas s’arrêter, ni pour dormir ni pour manger, se méfier des gens, garder précieusement son argent.
Ils passent le jour de l’an dans une voiture, sur une route du Niger, à regarder défiler les fêtes et les gens. Après trois jours de voyage, arrivée à Agadez. Là, les routes des deux amis se séparent.
Accepté dans un club de première division au nord du pays, à Arlit, Christian reste au Niger. Didier, lui, décide de partir pour la Lybie, qui réclamait alors de la main d’oeuvre. Gardant en tête son objectif: gagner l’Europe.
Trois jours de 4×4 dans le désert et trois jours de marche à pied avec des guides nigériens. Un cheich qui enserre le visage, la plante des pieds qui se craquelle, le froid terrible de la nuit. Il reste un mois à Saba, la première ville aux portes du désert:
« Il y avait plein de Camerounais, des gens que je connaissais. On a formé une famille et on faisait même ‘la santé’, la remise en forme. Je me sentais au pays. »
A Tripoli, Didier cherche à intégrer un club libyen
Mais à Saba, personne ne s’intéresse au football. Didier arrive à Tripoli, passe des nuits sur des chantiers en bord de mer, erre dans cette ville inconnue pour trouver un Camerounais, au moins un francophone. La communauté lui réserve un accueil frileux:
« Je me dis: ‘J’ai mes godasses, si je vois un club, je me présente et demande si je peux m’entraîner. Et si quelqu’un est frappé par ton talent…' »
Après plusieurs jours de recherche, Didier finit par se faire indiquer un club de première division:
« C’est comme en Europe, c’est bien structuré et organisé, les gens ne jouent pas dans la rue. »
Le coach algérien l’écoute, mais Didier est très diminué physiquement. Il décide de se préparer pour la prochaine saison, se fait un programme d’entraînement, joue des matchs amicaux et ouvre un petit salon de coiffure:
« Je gagnais bien ma vie, je m’en sortais. Mais un beau jour, tout s’est gâté. »
Dans des bribes de phrases, il raconte à voix basse ce qui le fait encore aujourd’hui cauchemarder:
« Il y a eu des pertes de vies humaines, des blessures graves… C’était un massacre… Des troubles racistes. Il y avait beaucoup d’émigrés, beaucoup de Nigériens. Ils ont fait des gaffes. Ils ont opté pour l’argent facile: l’alcool, la prostitution, la drogue… On était dans un pays musulman, il fallait le respecter. Alors les Libyens ont décidé de nous faire partir, à leur façon. »
Réfugié à l’ambassade du Tchad à Tripoli, Didier prend un vol pour N’Djamena. Il ne veut pas rentrer: du Tchad, il part au Niger. Il veut retrouver Christian. Direction Agadez. Mais pendant son étape lybienne, son ami est parti pour l’Algérie:
« On m’a dit qu’il avait suivi tous les problèmes en Libye, qu’il n’avait pas de nouvelles de moi depuis des mois, et qu’il avait pleuré ma mort. »
Seul et sans argent, Didier décide de rentrer au Cameroun et de se refaire une santé.
Recruté par un club de Constantine, Christian gagne de l’argent
Christian était resté au Niger. Un appartement, un salaire un peu moins bon qu’au Cameroun (20 à 30 000 francs CFA [31 à 46 euros par mois], peu de primes de match, mais « ça n’était qu’une étape… un petit passage à vide » pour le jeune footballeur.
Six mois plus tard, il part pour l’Algérie. « C’était facile, je connaissais tous les passeurs. Je suis arrivé en deux jours à Alger, un matin de mai ». Silence. « Mais pendant mon voyage…j’ai vu des choses… »:
« Des passeurs qui abandonnent leur passagers, qui les tabassent… Des personnes mortes au désert, des squelettes, des tombes avec seulement une nationalité. Je n’avais jamais entendu parler de tout ça ».
A Alger, il retrouve des gens qu’il avait hébergés à Agadez. Mais au bout d’une semaine, l’argent vient à manquer.
« Parmi mes amis, il y en avait qui n’étaient pas toujours honnêtes. Ils avaient monté un coup, enfin on avait monté un coup. Une histoire de blanchiment d’argent. »
Mais le soir d’avant de passer à l’acte, un ami vient le voir. Il lui dit que le fils du président d’un club de Constantine cherche un joueur. Christian part faire les essais. Il est sélectionné au CB Mila. Entre-temps, le « coup » a mal tourné, et ses deux amis sont morts:
« Les gens font tout pour réussir. Cette route, elle transforme les gens. Les gens sont prêts à tout. »
A Constantine, Christian joue bien. Il se fait traiter régulièrement de « singe » lors des matchs, mais gagne de l’argent. Assez pour revenir au Cameroun:
« Je n’avais jamais eu autant d’argent. De retour au pays, j’ai flambé. J’ai dépensé 40000 francs français [6000 euros, ndlr] en un mois. J’avais appris que des gens disaient que j’étais mort au désert. »
Christian repart, et passe des essais dans des clubs français
Il y retrouve Didier et lui propose de repartir avec lui. Il voulait « faire les choses bien » et avait tout prévu pour lui: une place dans un club en Algérie et un logement. Mais Didier n’a pas obtenu de visa.
De retour en Algérie, Christian ne perd pas de vue son but: un club européen. Son manager algérien lui fait passer des essais à Lorient, puis à Bury, dans la banlieue de Manchester. Il reste quatre mois à Bury, se blesse et décide à la fin de l’année 2002, de s’installer en France. A Garges-lès-Gonesse, où il connaissait du monde.
Il traîne dans les « lieux de foot camerounais », croise des joueurs dans la galère, qui vivotent près des terrains, de La Courneuve à Porte de Pantin. « Je commençais à être dégoûté, à sentir que le circuit pro était très dur. »
« J’arrivais le dimanche matin à l’entraînement, je sortais de boîte! »
Christian croise aussi un ami qui joue à Dinard, en Bretagne. Il le suit et intègre le club amateur de septième division. Son visa est expiré depuis quatre mois, mais le club s’arrange pour qu’il soit régularisé:
« J’avais un appart dans le centre-ville et 300 euros par semaine, mais côté sportif, ce n’était pas ça: j’arrivais le dimanche matin à l’entraînement, je sortais de boîte! »
Commence une période difficile, où il prend conscience qu’il ne réalisera pas ses rêves:
« C’est là où le mythe s’écroule. Je repensais à tous les risques que j’ai pris, pour finalemnet me retrouver à Dinard. »
Une proposition d’un club d’Angoulême de troisième division le tire de ces semaines « nocives ». « De 2001 à 2003, j’ai vécu du foot. » Christian réalise qu’il ne gagnera pas assez bien sa vie pour assurer son avenir. Il choisit alors de privilégier sa formation:
« Je me suis dit: ce que j’ai vécu, je n’ai pas envie que d’autres le vivent. Et ça a été plus facile à partir du moment où je me suis dit qu’être pro n’était plus mon but. »
« A 30 ans, il faut arrêter de rêver. »
Au Cameroun, Didier passe de club de D2 en club de D2, dans les campagnes. Son but: repartir, mais dans de bonnes conditions. Il finit par repartir au Ghana pour y tenter une nouvelle fois sa chance, mais il n’y gagne pas assez d’argent pour espérer repartir en Europe.
Nouveau retour à la case départ. Didier continue alors à jouer en D2, mais peine à gagner sa vie. « J’ai décidé d’aller voir ailleurs », lâche-t-il. Un renoncement encore douloureux aujourd’hui:
« Encore aujourd’hui, il y a des moments où j’ai les larmes aux yeux. Je vois mon parcours, mes efforts, mes aventures. Quand je vois tout ce que je me suis investi, ça fait mal, mais c’est la vie. »
Sa voix tremble, puis il se reprend: « A 30 ans, il faut arrêter de rêver. » Il compare son expérience à celle de son ami Christian: « Lui non plus n’a pas insisté. »
Tout en continuant à jouer dans un club amateur à Saint-Malo, Christian passe des diplômes. Il se marie à une Bretonne, a un enfant. Bientôt, il passera son brevet d’éducateur sportif (option football), et prépare son retour au Cameroun. L’éducateur de 28 ans veut monter une ONG multisports à Douala, dans le quartier où il a grandi, la cité Sic, d’ici 2010. Former des éducateurs, encadrer des enfants, leur donner des perspectives d’avenir: il croit dur comme fer en sa nouvelle aventure.
« Il faut que j’aille me débrouiller en Europe. »
Didier est au courant du projet de Christian, et il le soutient. Ça lui plairait de travailler avec lui, mais il ne peut pas se permettre de ne pas gagner d’argent.
S’il en a fini avec le football professionnel, Christian continue à rêver d’Europe:
« Il faut que j’aille me débrouiller en Europe. Travailler, faire n’importe quoi. Là-bas, tu peux épargner et quand tu reviens au pays, ton argent te permet de réaliser des choses.
Mis à jour le 10/02/2008 à 19h55 après la défaite du Cameroun en finale de la CAN.
« Je sais que les conditions là-bas ne sont pas toujours faciles, mais le Noir n’a pas besoin de vivre comme le Blanc. Il souffre aujourd’hui pour mieux vivre demain. »
Par Elisa Mignot, Rue89