Il est à jamais le défenseur latéral gauche des Lions Indomptables de l’épopée de 1990. Aujourd’hui entraîneur de football, Bertin Ebwelle a accepté d’évoquer ses souvenirs de cette Coupe du monde mythique. Nous l’avons rencontré lors du match opposant Aigle de Dschang à Colombe du Dja et Lobo, au stade Cenajes. L’on se rend compte que ce n’est pas la première fois qu’on parle de primes au sein de cette équipe nationale.
Vous êtes de la cuvée des Lions Indomptables qui a atteint les quarts de finales de la Coupe du monde 1990. Comment est-ce que vous vous étiez préparés pour cela ?
Au niveau de la préparation athlétique, elle a été menée des mains de maître par Valery Nepomniachi pendant trois mois. Et nous étions très disposés à le faire, dès lors que le gros de l’effectif résidait au Cameroun. C’est bien pour l’entraîneur d’avoir tous ses éléments en place pour pouvoir travailler correctement.
Qu’est-ce qui a été votre petit secret dans le vestiaire, un que vous souhaiteriez voir la génération actuelle vous copier ?
Il y avait d’abord la stabilité de l’équipe, la grande solidarité et le grand respect que les uns avaient envers les autres. Cela a permis d’installer un état d’esprit qu’on appelle aujourd’hui « Esprit Lion », marqué par le courage, le travail et la générosité dans l’effort. Je crois que ce sont ces valeurs qu’on partageait ensemble et qui ont permis à notre génération de franchir une très grande étape qu’aucun pays africain n’avait atteint jusqu’en 1990. Ce n’est qu’en 2002 qu’on a vu le Sénégal revenir à cette hauteur. Je pense que le Cameroun est encore capable de faire de grandes choses. A condition que tout le monde soit respecté, que le travail de l’autre ne soit pas toujours celui d’exploiteur, celui de vouloir exploiter l’autre on ne sait à quelle fin. Ce que le football rend à ce pays, il faut que le pays le rende aussi à ces footballeurs qui se sacrifient.
Il y a toujours cette question de primes qui se pose chez les Lions à la veille des grandes échéances. Comment ça se passait à votre époque ?
En 1990, nous avons négocié les primes. Mais, le ministre de l’époque (Joseph Fofé, ndlr) n’a jamais souhaité donner le montant de primes que nous avions sollicité. Ça s’est discuté jusqu’à la veille du match d’ouverture. Je puis vous certifier que c’est à 5h du matin que le dernier joueur a eu sa prime de participation, parce que la discussion a été houleuse. Je pense qu’on devrait régler cette affaire aujourd’hui, pour que l’Etat trouve le moyen de quitter la négociation. Comme ça, le joueur, dès les éliminatoires sait ce qu’il ira gagner en Coupe du Monde. Ça va permettre de préparer sereinement la compétition. Et comme ça le joueur pourra décider s’il peut aller ou pas en Coupe du Monde. Et s’il va y aller, qu’il accepte ce que la nation lui propose.
Vous êtes aujourd’hui un technicien du football. Si vous êtes à la place de l’entraîneur Volker Finke en ce moment, quel comportement allez-vous avoir ? Est-ce psychologiquement, les joueurs peuvent prendre un coup ?
Cette situation peut avoir un impact psychologique si les joueurs veulent aller au bras de fer. A notre époque, il y a eu beaucoup de conciliation, beaucoup de réunions entre les cadres de l’équipe et ceux de la Fédération puis ceux du ministère des Sports. Il y a eu un consensus sur ce qui allait se passer. Est-ce nous ne devions pas jouer si nous réclamons. Nous ne pouvions pas aller jusqu’à refuser de jouer pour des revendications. Pour la génération d’aujourd’hui, au niveau mental, ça peut jouer si les joueurs sont très impliqués. Il faut qu’ils restent concentrés pour le jeu et la compétition tout en délégant deux ou trois personnes pour négocier et rendre fidèlement compte au groupe. C’est très important de dire ce qui se passe et jusqu’où on est prêt à aller. Ça aussi, les joueurs doivent être capables de voir ce que leur pays peut leur offrir et ce que leur pays ne peut pas leur donner.
Quand vous regardez les Lions jouer aujourd’hui, avez-vous un pincement quelque part sur ce qui leur manque ?
Ce sont des joueurs professionnels. Ils ont le meilleur traitement qu’aucune génération de footballeurs n’a eu ici au Cameroun. Je pense qu’ils doivent faire leur travail d’abord et réclamer ce qui leur est dû. C’est la moindre des choses.
Après 1990, qu’est devenu Bertin Ebwellé ?
Comme vous le savez, je suis devenu entraîneur de football. Je m’occupe des jeunes footballeurs camerounais. Je suis formateur. Je suis pratiquement à trois niveau du football : la formation, la post-formation et dans la compétition de haut niveau.
Vous êtes aussi propriétaire d’un centre de formation, à Yaoundé…
A travers ce centre (Musango, ndlr), j’essaye de former des jeunes, de montrer la voie à certains jeunes footballeurs camerounais. Je crois que d’ici 20 ans j’aimerais faire un bilan pour voir combien sont en train de jouer au haut niveau. C’est déjà une fierté pour moi de voir dans l’équipe d’Aigle de Dschang, un défenseur central qui est passé par mon centre, Zingui. Ça me fait plaisir de le retrouver là. Je crois qu’au moins, c’est une fierté de passer le message à la jeunesse et retrouver aussi la joie de vivre.
Vous êtes entraîneur national chez les minimes. Pensez-vous que c’est aussi une récompense pour votre travail ?
Je n’aime pas qu’on parle de récompense. Je suis une formation d’entraîneur. Ça se mérite. Je suis en voie d’obtenir une licence A Caf, qui est le diplôme le plus élevé dans le continent africain. Ce n’est pas donné et je paye les frais pour cette formation. Donc, an tant qu’entraîneur national, je ne gagne pas grand-chose. Ce que je gagne, c’est voir ces joueurs que j’ai formés à la base retrouver le sommet. Etre nommé dans une sélection nationale n’est pas une récompense, mais un mérite. Si on trouve que c’est une récompense, je ne vois pas cela ainsi.
Pour revenir aux Lions Indomptables, quel est le grand souvenir que vous gardez de cette équipe ?
Ça restera ce fameux match contre l’Argentine. C’est un match qui été préparé sur le plan mental, sur le plan physique. Sur le plan tactique, c’était très enrichissant, parce qu’il fallait à tout moment écouter son partenaire, le banc de touche, s’écouter soi-même. Est-ce que je suis bien placé ? Est-ce qu’il n’y a pas une erreur ? C’est un match qui m’a apporté beaucoup de choses. Ça nous a permis de faire un grand parcours au cours de ce Mondial.
Et quel a été votre pire souvenir au sein de cette équipe ?
C’est Annaba 1990. C’était la Coupe d’Afrique des Nations en Algérie. Nous sommes passés carrément à côté de la plaque et nous sommes sortis au premier tour à cette Can 1990. On n’avait pas vu cela au Cameroun depuis longtemps. On peut aussi expliquer que c’était par le fait que la compétition était entre le championnat national et la Coupe du Monde. A ce moment, chacun a eu un peu peur de rentrer dedans pour sauvegarder sa participation à la Coupe du Monde. Ça été une déception pour moi, personnellement, parce qu’on aurait pu faire à ma fois une bonne Can et une bonne Coupe du Monde.
Est-ce que vous avez des anecdotes que vous pouvez nous raconter ?
Celle que je peux mettre aujourd’hui sur la place publique, c’est que les gens ne savent pas que les Lions Indomptables ont refusé de manger pendant cinq jours avant la Coupe du Monde 1990, alors qu’on la préparait. Pendant cinq jours nous avons refusé de manger le repas officiel. C’était dans le cadre des négociations des primes. C’est vous dire que dans cette équipe, il y a toujours des histoires incroyables.
Et de quoi vous nourrissiez-vous ?
Chacun achetait ses biscuits, de petites choses à grignoter pour tenir la journée.
Pourquoi à un moment donné les joueurs aiment avoir leurs épouses à leurs côtés ?
Ils ont parfois envie de se soulager. Pour la haute compétition, il faut se priver de certaines choses pour être performants. C’est toujours possible de pouvoir faire ces choses-là. Mais, ce n’est pas dans notre culture. Je pense qu’il faut souvent se préserver de certaines choses pour bien remplir sa tâche.
Certains joueurs ont souvent pu jongler pour sortir …
Il y a des moments qu’on appelle quartier libre. On permet à l’ensemble de groupe de sortir, de pouvoir faire autre chose. J’ai passé quatre mois sans avoir de contact parce que mon épouse n’était pas là. Mais, ce sont des choses qu’on peut surmonter. On ne peut pas tout avoir dans la vie. Il faut être capable d’avoir une chose avant de passer à une autre chose.
A votre époque, aviez-vous besoin de vos épouses en pleine compétition ?
On a toujours besoin d’elles, parce que quand vous passez à côté d’un match, vous avez besoin de quelqu’un avec qui vous pouvez parler d’autres choses en dehors du foot pour mieux vous préparer pour les échéances futures. C’est normal. Dans une compétition, la présence de l’épouse d’un joueur peut l’encourager. Je pense que c’est une bonne chose.
Entretien mené par Antoine Tella