Les jugements sont subjectifs, mais nous avons eu le sentiment que André-Franck Zambo-Anguissa avait livré dimanche il y a huit jours, contre Nancy (après Saint-Étienne) son meilleur match sous le maillot blanc, depuis ses débuts en Ligue Europa à Groningue il y a un peu plus d’un an. Entre-temps, le garçon a mûri. À 21 ans (depuis trois semaines seulement), le Camerounais a sans doute franchi un palier.
Contre Nancy, et sur la lancée de Sainte-Étienne, on vous a senti libéré. C’est exact ?
Tout à fait. Le coach me fait confiance. Même si je veux faire les choses pas à pas, je me sens libéré, capable de tenter beaucoup plus. Comme disent les plus grands, on progresse avec les matches ; au début, on joue le plus simple possible, ensuite, on prend de l’assurance et on en fait plus.
Vous avez beaucoup bougé contre Nancy, vous n’êtes pas resté dans une zone précise, vous aspirez à jouer un peu plus haut, à ne pas rester en sentinelle ?
Nous jouons avec un milieu de terrain qui se déforme beaucoup, ce qui a fait notre force lors des deux derniers matches, avec des gens qui peuvent se pro-jeter, aller vers l’avant. Et on bouge en fonction les uns des autres, nous permutons et l’adversaire ne sait pas sur qui défendre. Nous aimons jouer ensemble et nous avons le souffle pour faire les efforts.
«Un jeune qui bosse pour assurer la relève en écoutant sans brûler les étapes»
Que vous adit Rudi Garcia pour vous mettre en confiance?
Il m’a simplement dit de me libérer, de me lâcher. « Tu as de grosses qualités, un gros potentiel, une marge de progression énorme, c’est à toi de t’en servir. Joue simplement et quand tu te sentiras en confiance, explose ! Prends du plaisir, donne-toi à fond, oublie la pression, dis-toi que ce n’est qu’un jeu, tout en restant concentré. Dans notre zone, joue simple et après, va de l’avant, c’est ainsi qu’on s’amuse le plus quand on a le ballon. Mais il faut savoir le récupérer quand on ne l’a pas. »
En jeunes, vous jouiez plutôt en 10, non?
Ça, c’était au Cameroun. En France, j’ai toujours joué 6 ou 8. J’aime me projeter, courir. Quand je ne bouge pas, je ne prends pas de plaisir. J’aime être en soutien, parfois même sous Bafé, le coach me demande de jouer entre les lignes.
Il reste à soigner l’efficacité comme à Saint-Étienne ?
À l’entraînement, on travaille beaucoup la finition, et ça se passe bien. Mais c’est vrai que je n’ai pas l’habitude de me retrouver face au but ; si ça se reproduit, je pense que je saurai faire le bon geste, sans regret, je frapperai. À Saint-Étienne, j’ai pensé à faire une passe avant de penser à frapper alors qu’un attaquant est plus spontané.
Vous aviez gagné un concours de jeunes footballeurs à Yaoundé ?
C’était le G8, un concours des huit plus grands clubs camerounais, sous les yeux de Jean-Philippe Durand d’ailleurs, avec beaucoup de grands joueurs ; j’avais 16 ans, j’étais en deuxième division mais je n’avais peur de rien, je tentais des trucs extraordinaires. Aujourd’hui, je sais que si je retrouve cette assurance-là, je ferai encore mieux. J’avais alors signé à Coton Sport où je suis resté six mois avant de venir en France.
Reims, ça a été dur ?
J’avais de bonnes personnes autour de moi pour m’encourager à ne rien lâcher. Je m’entraînais avec la réserve mais je pensais que je pouvais viser plus haut. Jean-Luc Vasseur m’a pris plusieurs fois dans le groupe parce qu’il m’avait vu avec la réserve. Après son départ, ça s’est compliqué avec Guégan.
Passer aussi vite du Cameroun l’OM, c’est un fossé à franchir ?
Ça va beaucoup plus vite, en face, ce sont d’autres joueurs, qui réfléchis-sent à mille à l’heure.
Pour votre premier match,à Groningue en Ligue Europa, vous aviez séduit, en jouant haut ;ensuite,ila été plus dur de confirmer…
Il arrive à tout le monde de rater un match, mais mon match raté contre Angers au Vélodrome m’a pénalisé, j’ai peu joué ensuite. Quand tu as 19 ans, tu n’as pas la même crédibilité que les autres ;mais ça m’a permis de grandir en travaillant plus.
Vous observez beaucoup autour de vous ?
Quand tu as la chance d’être aux côtés de Lass, William ou l’an passé Mauricio Isla, Abou Diaby, tu dois en profiter au maximum, demander des conseils. Ce n’est pas toujours facile. Tu es jeune, tu as envie de jouer mais il faut le mériter. Je ne les prends pas comme des concurrents ; ils jouent, je suis content, je les regarde, mais j’ai envie de jouer à mon tour. Je ne me vois pas comme un concurrent de Lassana Diarra ! Plutôt un jeune qui bosse pour assurer la relève en les écoutant, sans brûler les étapes. Titulaire ou remplaçant, je me donne à fond.
Ce respect des anciens, c’est très africain ?
Nous sommes élevés ainsi. Quand tu es respectueux, on te le rend. Quand je suis arrivé à Marseille, je ne connaissais pas Nicolas Nkoulou personnellement, mais il m’a accueilli comme un petit-frère. Quand je parle de lui, j’ai les yeux qui brillent, c’est un grand homme avant d’être un footballeur.
Choisir Anguissa, plutôt que Zambo, relève de la même démarche respectueuse ?
Oui. C’est le nom de mon papa, qui a d’ailleurs donné son nom à notre quartier à Yaoundé. Nous avons tous deux noms et deux prénoms, mon papa s’appelle Anguissa Beulibi, moi, je suis Zambo-Anguissa, si j’ai des enfants, ils s’appelleront Zambo; mais en hommage à mon papa et à mon quartier, je joue sous le nom d’Anguissa.
Au fait, la CAN, c’est dans un coin de la tête ?
J’ai connu les sélections de jeunes, mais aujourd’hui, mon actualité, c’est l’OM, sans dispersion; j’ai besoin de jouer, de penser auclub avant toute chose. Si la sélection vient, ce sera en son temps. Et puis, il y a une sélection qui s’est qualifiée pour la CAN, ce sont ces joueurs-là qui méritent de la disputer. Je suis patriote, j’aime mon pays et ma sélection, mais ce n’est pas encore le moment.
Aujourd’hui, dans quel domaine souhaitez vous progresser ?
La concentration.C’est bien d’être relâché, mais il faut rester concentré. Comme le dit le coach, je peux parfois faire des choses extraordinaires à l’entraînement et ensuite, rater une passe facile. Il faut que je m’applique et que je progresse tactiquement. Je pense être au bon endroit pour cela. On progresse avec les matches.
Quand l’équipe a de bons résultats, le contexte est plus favorable à l’épanouissement…
Exactement. On a plus de plaisir à gagner qu’à perdre. Et quand le travail paye, le plaisir est accru. En toute humilité, on veut réussir une série victorieuse, pas un match nul, mais Dijon, ce ne sera pas facile. Ils se doivent d’élever leur niveau contre l’OM.
Mario ALBANO