Acquis le plus souvent sur le tas en Afrique, l’apprentissage du football et des métiers connexes quitte progressivement le domaine de la rue pour investir des structures spécialisées dans la formation des futures vedettes du ballon rond. L’école est devenue ainsi le vivier du football moderne.
Par Jean Marie NZEKOUE, Editorialiste
Une école consacrée entièrement au football, avec des apprenants assis sur des bancs pour recevoir des enseignements concernant la pratique du ballon rond. Voilà qui peut paraître un peu insolite aux yeux des Africains d’une certaine génération pour qui jouer au foot était d’abord un passe-temps pour chasser l’ennui et l’oisiveté. Un peu comme un lot de consolation pour tous les ratés sociaux. Les clichés ont la vie dure. Comme dans l’imagerie populaire qui a fait du foot une affaire la vie au grand air, une histoire de rue en somme.
Perception d’autant plus enracinée dans les esprits que l’apprentissage s’est contenté pendant longtemps d’un cadre essentiellement informel. Dans nos villes et villages, une boule de chiffons et quatre cailloux disposés dans un espace vague en guise de buts, suffisaient largement pour se livrer à une partie. C’est pour cela que l’apparition des premières structures didactiques entièrement dédiées au « sport-roi » était de l’ordre de l’inédit pour une discipline qui se pratique souvent sur le tas.
Alors que les centres spécialisés de formation ont depuis longtemps pignon sur rue sous d’autres latitudes, le phénomène est relativement récent en Afrique. Les premières initiatives sont venues du secteur privé, soit à l’initiative de certaines équipes du championnat national ou des opérateurs économiques et autres sponsors. C’est ainsi que des « académies de football » on vu le jour dans certains pays, bénéficiant parfois du soutien financier des grands clubs professionnels européens avec lesquels des partenariats ont été noués. La première initiative du genre la plus connue a été l’Académie Mimosa en Côte d’ivoire créée en 1994 par le légendaire Jean-Marc Guillou qui a fait des émules depuis lors avec l’apparition des structures similaires à l’instar d’Ivoire Académie, fondée en 2002 et qui se positionne comme le « laboratoire des futures stars du football africain ». D’autres « écoles » à l’instar de Génération Foot au Sénégal, l’Ecole de football des Brasseries du Cameroun et Kadji Sport Academy (KSA) ont déjà fourni au football professionnel des joueurs de grand talent. Sans être exhaustif, on peut citer pour le Cameroun Salomon Olembe, Geremi Njitap, Samuel Eto’o, Stéphane Mbia, Idriss Carlos Kameni, Clinton Njié, etc. Pour le Sénégal Papiss Cissé, Sadio Mané et pour la Côte d’ivoire Yaya Touré, Kolo Touré, Salomon Kalou, Emmanuel Eboué, Bakary Koné, Zokora Didier ou Baoubacar Barry Copa. C’est dire que les footballeurs africains les plus en vue au cours des quinze dernières années et qui ont formé l’ossature de leurs équipes nationales respectives sont issus des centres de formation installées sur le continental. Ce détail n’a pas été suffisamment relevé jusqu’ici, ignorant du coup le rôle fondamental joué par certains esprits de bonne volonté dans l’émergence et la professionnalisation de la pratique du football sur le continent.
Flairant le bon coup, les Etats emboitent progressivement le pas au secteur privé, dans la perspective d’assurer la formation de nouvelles générations de footballeurs de talent susceptibles de prendre la relève dans les équipes nationales vieillissantes. Au Cameroun, l’annonce en février 2010 par le président Biya de la création de l’Académie nationale de football (ANAFOOT) dans son traditionnel message à la jeunesse a été longtemps rangée au rayon des promesses sans lendemain. Après la création effective en 2014 et la désignation de l’exécutif, l’attente paraissait relativement longue mais les choses se sont accélérées par la suite pour cette structure vouée « à l’initiation et à l’encadrement des jeunes à la pratique du football de haut niveau, à la formation initiale et continue des formateurs à l’enseignement théorique et à la pratique élaborée de la discipline, au développement de l’expertise locale dans les métiers y liés, à la collecte, la conservation et la diffusion de la documentation ainsi qu’à la recherche fondamentale et appliquée ». c’est ainsi qu’un travail de sensibilisation, sur l’existence, les missions et le déploiement territorial de l’Académie a été entrepris à travers une vaste tournée dans les dix régions du pays. Puis, on a procédé au renforcement des capacités des chefs de pôle et de leurs adjoints. Ce qui a permis, dans un premier temps, d’engager une campagne de prospection-sélection de 500 jeunes talents sur toute l’étendue du territoire national. De ce premier écrémage, vont sortir les tous premiers pensionnaires de la nouvelle école de football. L’engouement populaire ayant caractérisé la phase de prospection en dit long sur l’intérêt que l’opinion porte sur l’existence de cette nouvelle structure qui constitue une grande première dans la sous-région. En accueillant sa première cuvée, l’Anafoot va embrasser à bras le corps l’une de ses missions premières : inculquer le savoir et le savoir-faire utiles à des futurs footballeurs formés dans un moule en rupture totale avec des anciennes méthodes. Il n’en sera plus désormais ainsi.
Par sa simple existence, l’Anafoot donne des nouvelles perspectives au football camerounais et à tout ce qui y est directement lié. L’entrée en fonction de la structure s’inscrit en effet dans un contexte mondialisé où le football a cessé d’être une simple détente réservée aux inadaptés sociaux, pour devenir une activité à part entière aux retombées économiques multiformes. Au point où certains grands clubs professionnels sont devenus de véritables multinationales du business brassant des centaines de milliards de francs. Malgré les ambitions affichées par la Ligue de football d’élite, nous n’en sommes pas encore là au Cameroun. Voilà pourquoi il fallait commencer par les fondamentaux. La pratique du football sur une base professionnelle suppose en effet que des fondations solides soient posées à la base. C’est justement la mission dévolue à l’Académie qui se doit de former des nouvelles générations de footballeurs possédant le bagage intellectuel et technique requis pour rivaliser avec les meilleurs sur le double plan national et international. En se mettant autant que possible à l’abri des conflits de personne et de compétence qui ont parfois nuit au fonctionnement harmonieux de certaines institutions publiques.
Des sources dignes de foi, tous les aspects ont été pris en compte lors de l’élaboration du contenu des programmes de l’Académie afin que les activités purement scolaires aillent de pair avec les séances d’entrainement, étant donné qu’un footballeur de talent c’est d’abord une tête bien pleine. Six ans de formation, cela peut sembler long mais l’essentiel c’est qu’à la sortie, les diplômés soient bien outillés, prêts à apporter leur contribution pour l’amélioration de la qualité et de la compétitivité du football camerounais. Les récents échecs de nos équipes en compétition internationale (non qualification pour la Coupe du monde 2018 et pour le Mondial féminin U20 2018, élimination du CHAN 2018 et de la Ligue africaine des clubs) sont autant de signaux alarmants qui interpellent, entre autres, les dirigeants de l’Anafoot et leur tutelles administratives qui doivent œuvrer en synergie pour fournir dans les années qui viennent des nouveaux talents confirmés dont le football camerounais a tant besoin pour sa renaissance. Comme dans toute loi naturelle, la relève est indispensable.
Jean Marie NZEKOUE, Editorialiste
Auteur de « L’Aventure mondiale du football africain » (2010)