Alors que le verdict de la Fifa concernant le recours en vue d’une reprogrammation éventuelle de la rencontre Algérie – Cameroun est imminent, la persistance des polémiques et des fake news via les réseaux sociaux relance la fameuse théorie du complot dans le sport et le football en particulier. Décryptage.
La très vive controverse suscitée par l’élimination de l’Algérie de la Coupe du monde Qatar 2022 par le Cameroun à l’issue du match retour des barrages peut surprendre par son intensité et les dérapages langagiers auxquels elle donne lieu. Jamais de mémoire de journaliste sportif, l’instance faitière du football mondial ainsi que la CAF n’ont été aussi violemment prises à partie à l’issue d’un match qualificatif à une compétition internationale. La tendance serait dès lors de croire que la théorie du complot, en sport, est une nouveauté en soi. Que non !
Depuis l’issue fatidique du match de Blida, plusieurs réactions semblent disproportionnée. Il en est de même de la violence de certains propos. Il semble utile de rappeler que des thèses conspirationnistes ont déjà été avancées lors de certains événements sportifs de premier plan. On se souvient de la Coupe du monde de rugby de 1995 en Afrique du Sud. Ce fut aussi le cas de la finale France – Brésil en Coupe du monde de 1998, le but litigieux de Maradona à la Coupe du monde 1990, le but de la main de Thierry Henry de novembre 2009 face à l’Irlande, la « main de Dieu » de Maradona en 2006, etc…
L’analyse du Pr Christian Bromberger
Lors du Séminaire sur la thématique « du complot réel au complot imaginaire dans le sport » organisé le 18 février 2020 l’Université libre de Bruxelles, le Pr Christian Bromberger de l’Université d’Aix-Marseille a fait un exposé magistral sur le « complotisme sportif » vu sous l’angle anthropologique, D’entrée de jeu, il observe que le sport, en lui-même, est un terrain fertile pour le complotisme. Matchs truqués, arbitres corrompus, tirage au sort arrangé… des accusations plus ou moins vérifiables abondent. « Cela s’explique par le fait qu’il y a une dimension aléatoire et beaucoup de zones d’ombre dans les matières sportives. On ne peut jamais dire avec certitude qui va gagner. Autre élément important, le sport se déroule en direct, sous nos yeux, contrairement à un film ou une pièce de théâtre dont les scénarios sont écrits à l’avance. Le sport se prête donc particulièrement à la naissance des théories ».
Algérie – Cameroun : la recherche du coupable idéal
Dans tous les cas de figure, l’argumentaire des supporters de l’équipe vaincue ramène presque toujours à un complot qui aurait été ourdi contre elle. Bien que disproportionnées, certaines réactions peuvent s’expliquer à travers une analyse rationnelle.
Le sociologique distingue ainsi « le complot réel qui est attesté par des faits bien établis » et le « complot imaginaire, pensé par un groupe d’individus pour justifier un événement déplaisant ». « C’est pourquoi derrière un complot il y a toujours un scénario secret imaginé par plusieurs personnes pour s’assurer un succès ou un gain au détriment d’un tiers », ajoute le Pr Bromberger. Pour donner de la crédibilité à une théorie du complot, ceux qui l’imaginent utilisent généralement la technique des raccourcis mentaux pour aboutir à l’inévitable question : « A qui profite le crime ? »
Dans le cas d’espèce, c’est à l’équipe du Cameroun et à son « complice » supposé, l’arbitre Bakary Gassama. « L’objectif final des adeptes du complot étant de neutraliser l’aléatoire en cherchant à justifier une défaite ou une contre-performance par des éléments extérieurs. Cela comporte un avantage psychologique : mon équipe reste bonne puisque ce n’est pas de sa faute si elle a perdu », et un avantage sociologique puisqu’il préserve l’image positive du groupe auquel nous appartenons et renforce notre sentiment d’appartenance à cette communauté. Et le Pr Christian Bromberger, de conclure : « Le sport est cruel et, en cela, il est le reflet de la société. Une société de plus en plus méfiante lorsqu’il s’agit d’accepter un scénario qui lui déplaît. Nous sommes dans l’air du soupçon ». Comprenne qui pourra.
Jean Marie NZEKOUE, éditorialiste, auteur de « L’aventure mondiale du football africain » (2010)