Qu’ont en commun Théophile Abéga, Mbouh Mbouh Emile, Rigobert Song et Benjamin Moukandjo ? Ce sont les seuls capitaines de l’histoire des Lions Indomptables à avoir mené le Cameroun à un titre en Coupe d’Afrique des Nations. Le dernier capitaine vainqueur, comme de son temps sur les terrains, a cette qualité de l’analyse juste. Désormais consultant à BeinSport, il analyse ce qui s’est passé lors du match aller.
Comment analysez-vous cette victoire de l’Algérie à Douala ?
Sur ce match, disons que l’Algérie n’a pas fait «de l’Algérie». On connait ce dont est capable cette équipe d’Algérie, joueuse et qui aime prendre le ballon à son compte. En voyant la composition et auparavant la liste des joueurs sélectionnés, j’ai tout de suite compris que l’Algérie allait mettre de côté sa philosophie de jeu. L’Algérie est clairement venue au Cameroun avec des joueurs qui avaient les crocs. Quand on connait le contexte récent, avec cette élimination prématurée à la CAN, on sent que les joueurs ont vite su prendre conscience du fait qu’ils sont à deux matchs d’une qualification en Coupe du Monde. Les joueurs se sont dit qu’ils ne devaient pas « prendre une valise » au Cameroun pour lâcher les chevaux au retour à la maison.
Sur ce match, on a vu une Algérie compacte collectivement, bien en place défensivement et plutôt sur des positions moyennes-basses sur le terrain. En conférence de presse, Eric Maxim Choupo-Moting a avoué ne pas s’attendre à une telle performance des Verts. N’y a t-il pas une erreur d’appréciation du Cameroun dans l’approche de ce match?
La question que je me pose après ce premier match est de savoir si l’échec de l’Algérie à la CAN ne nous a pas donné l’impression que le scénario allait être plus facile pour le Cameroun. N’étant pas à l’intérieur du groupe, je ne connais pas l’état d’esprit qui y règne actuellement, mais si cela venait à en être le cas, alors on peut se dire que cela était une mauvaise façon d’apprécier la rencontre. On le sait, dans le football, les rencontres se suivent mais ne se ressemblent pas.
Quand on sort d’un échec aussi parlant à la CAN, comme ce fut le cas pour l’Algérie, on a forcément envie de vite rebondir. Et quand on veut rebondir, le plus important, c’est d’être bons défensivement, d’autant plus que dans ce domaine, lors de la CAN, on a vu à quel point l’Algérie n’a pas su clairement exister. Quand, dans ces conditions, tu te retrouves à 180 minutes d’une qualification en Coupe du Monde, l’orgueil refait clairement surface pour décupler tes forces.
Si l’on veut rentrer désormais dans l’analyse technique du match, on se rend compte que l’on a plus vu un Slimani, au détriment d’un Mahrez, parce que ce type de match, avec cette approche mentale, rentre plus en phase avec son style de jeu. Slimani est un joueur accrocheur et bagarreur, qui fait preuve d’un état d’esprit combatif. Les joueurs algériens que l’on connait pour leurs qualités de techniciens comme Mahrez, Belaili ou Bensebaini, ont été moins vus sur ce type de match qu’un Mandi par exemple. On a vu des joueurs qui n’hésitaient pas à aller aux duels, à ne rien vouloir lâcher et qui ont compris qu’une qualification au Mondial passait par une grosse performance au Cameroun. Qui plus est au Cameroun !
Côté Cameroun, ce qui est dommage, ce que l’on pensait voir une équipe qui allait se réajuster par rapport à ce que l’Algérie proposait. Or, ce n’est pas forcément le sentiment que l’on a eu en voyant la rencontre. Je dirais que l’on a plutôt vu une équipe en manque de solutions, un peu apathique.
On sent que tactiquement les Algériens ont compris la nécessité de bloquer les projections et dédoublements camerounais sur les ailes, point fort lors de la dernière CAN, pour amener les Lions vers l’axe où la plus grande densité algérienne permettait une maîtrise défensive quasi-totale. Est-ce finalement l’enseignement le plus probant de ce succès algérien à Japoma ?
Oui, c’est un des gros enseignements de ce match. Cela prouve que l’Algérie a vraiment su étudier le jeu du Cameroun. Lors de la CAN, on a vu que le Cameroun a su jouer avec justesse sur ses ailes en marquant quasiment les 3/4 de ses buts par des actions venant de l’un de ses côtés. On a vu notamment Collins Fai terminer meilleur passeur de la compétition (NDLR ; avec 3 passes décisives, à égalité de son coéquipier Martin Hongla et le burkinabé Issa Kaboré). Il est connu pour sa capacité à effectuer beaucoup de centres et, aux côtés de Nouhou Tolo, ils ont énormément apporté offensivement ces derniers temps. Le Cameroun est une équipe qui profite de la qualité de ses joueurs latéraux, Tolo, Fai, Toko Ekambi et Ngamaleu, cette fois-ci absent, pour créer des déséquilibres adverses sur le terrain. On a senti que l’Algérie a su bien étudier tous ces paramètres pour faire déjouer le Cameroun en l’amenant à privilégier l’axe dans la construction de ses actions offensives.
En poussant le Cameroun à aller vers l’axe, les Algériens savaient qu’il fallait mettre beaucoup de densité défensive pour rendre plus difficile les possibilités de combinaisons camerounaises tout en limitant les possibilités de mouvement pour nos offensifs. On a souvent vu le Cameroun en position d’infériorité numérique dans ses propres phases d’attaque. Cela démontre à quel point l’Algérie a su décrypter le jeu de son adversaire. Il faut aussi constater qu’à chaque situation favorable au Cameroun, l’Algérie a su faire jouer son expérience puisque malgré plusieurs temps faibles, elle n’a pas laissé le Cameroun dicter sa loi sur le cours de la rencontre. On a assisté à un match engagé avec beaucoup de fautes avec parfois cette volonté de casser le rythme du jeu. Cependant, je dirai que c’est de bonne guerre pour une équipe qui s’est préparé pour. Ainsi va le football !
Pourtant, on a assisté à un gros temps fort camerounais lors des dix premières minutes du match. À ce moment là, on se dit que l’on va revoir le Cameroun étincelant de la CAN disputée à domicile avant de finalement s’éteindre complètement.
Effectivement, en regardant ces dix premières minutes, je me suis dit que l’on allait forcément finir par marquer (rires). L’entame de match réalisée par les camerounais mettait clairement en lumière cette idée de marquer le plus rapidement possible pour prendre le match à son compte, mais en face l’Algérie a résisté. On a ce coup-franc de Toko Ekambi qui voit malicieusement que la défense algérienne n’est pas concentrée, à l’exception du gardien qui fait le geste nécessaire pour garder le score intact. Pour moi, le tournant du match se situe sur cette perte de balle de Ngadeu qui amène l’action de but de Slimani.
À partir de là, je dirai que l’on a senti cette équipe douter. Les joueurs ont surement dû se demander si il était judicieux d’aller à l’abordage au risque d’être exposé à une vraie menace en contre suite à une faute ou à une erreur technique. L’Algérie a su comment nous faire déjouer et nous amener à réaliser le match qu’elle attendait du Cameroun pour obtenir ce résultat. On a vu que le Cameroun a ensuite privilégié les ballons longs en cherchant à sauter les lignes, ce qui a totalement arrangé la défense algérienne qui s’est régalée dans ce type de scénario.
La réflexion est d’autant plus intéressante qu’à ce moment-là, l’Algérie a constamment cherché les duels en un contre un, à l’image de Benlamri contre Aboubakar ou Benayada contre Toko Ekambi, dans une opposition liée à l’impact physique où l’on pensait que le Cameroun lui serait supérieur.
Effectivement, j’ai beaucoup réfléchi aussi à cet aspect là de la rencontre. Cela montre encore une fois que l’Algérie a su faire un match abouti d’un point de vue tactique. Cette équipe a véritablement réfléchi en profondeur pour savoir comment réussir à dominer le Cameroun de ce point de vue là. Je ne pense pas qu’en préparant ce match, ils se soient dits qu’ils viendraient à Douala pour remporter ce match mais plutôt pour obtenir un résultat favorable en vue du retour, le tout en faisant en sorte de capitaliser sur le moindre coup de pied arrêté, la moindre erreur côté camerounais, ou un exploit individuel au vu de la qualité technique intrinsèque des joueurs algériens pour aller chercher ce but précieux à l’extérieur.
Leur plan de jeu était clair, et ils l’ont respecté jusqu’au bout. Le but est venu d’un coup de pied arrêté comme je pense qu’ils le voulaient. On peut même se dire que l’Algérie aurait pu marquer beaucoup plus tôt si l’action initiée Slimani se terminait au fond des filets. Heureusement, Onana a su faire la parade qu’il fallait pour éviter que cela ne se transforme en but pour les Algériens.
Qu’est ce qui a manqué au Cameroun pour réussir une meilleure approche tactique de la rencontre afin de faire douter cette équipe algérienne ?
Je pense que nous n’avons pas su répondre tactiquement à ce que l’Algérie nous proposait. On n’avait jamais vu ce visage à vocation plus défensif côté algérien. Je me demande si ce n’est pas la première fois que l’on voit l’Algérie proposer un tel jeu (rires). Une fois l’effet de surprise passé, il aurait fallu que le Cameroun réponde immédiatement à cette tactique algérienne inédite. C’est cette absence de réaction qui a clairement mis l’Algérie en position de force au fil de la rencontre, encore une fois sur l’aspect tactique.
L’entame de match fut très bonne pour le Cameroun. Le rythme du match est ensuite clairement redescendu au vu de la météo lors de ce match. Il a fait chaud (plus de 35°) avec une forte humidité qui a forcément un impact sur les intentions de jeu plus offensives. Néanmoins, je pense que l’on aurait pu montrer très vite un autre visage avec une réaction plus immédiate et un changement de système. On est resté sur le même schéma de jeu tout en essayant de pousser pour chercher l’égalisation. Mais dans cette tâche, plus le temps passe, plus cela devient compliqué.
Dès l’entame de la seconde période, Rigobert Song a pourtant tenté d’utiliser plus de joueurs à vocation offensive avec l’entrée de deux attaquants : Kevin Soni pour remplacer un milieu (Martin Hongla) et Léandre Tawasomba pour remplacer Vincent Aboubakar, blessé. Cependant, cela n’a eu que peu d’impact sur la suite de la rencontre.
Ce réajustement en début de seconde période est une réaction tout à fait normale dans un scénario où, à domicile, tu es mené au score face à un bloc bas compact qui laisse très peu d’espaces. Tout au long du match, on a vu que les lignes étaient resserrées et les mouvements du bloc justes. Les Algériens ont fourni énormément d’efforts pour arriver à appliquer les idées voulues par leur entraineur.
Dans ces conditions, il était difficile pour le Cameroun de trouver des solutions de passe dans le dos de son adversaire ou entre ses lignes. À chaque prise de balle camerounaise, on voyait un voire deux joueurs algériens effectuer des projections vers le porteur de balle ou l’une des potentielles solutions de passe camerounaises pour quadriller le terrain. Ils ne nous ont clairement pas laissé la possibilité de respirer sur ces phases où l’on avait le ballon. En bloquant nos solutions de passe tant sur les côtés qu’entre ses lignes, l’Algérie a poussé le Cameroun à allonger le ballon le plus longtemps possible. Or, quand vous allongez autant face à une équipe bien en place dans le domaine défensif, avec des joueurs combatifs et de la taille pour écarter ce type de menace, tout devient plus compliqué. L’Algérie a su vraiment se donner les moyens pour faire jouer le Cameroun de la manière qu’elle espérait en préparant ce match.
Au vu de la prestation collective camerounaise et des enseignements tirés, peut-on dire que les absences de Zambo Anguissa et Ngamaleu ont eu un réel impact sur cette rencontre ?
Bien sûr, on voit à travers ce match que leurs absences ont eu un impact non négligeable pour notre équipe. En ce qui concerne Zambo Anguissa, il fut longtemps critiqué, parfois à raison, lors de la dernière CAN au vu du niveau élevé d’exigence que l’on a en tant que camerounais envers notre sélection. Pourtant, on a ressenti lors de ce match le poids de son absence de par ses qualités athlétiques, tactiques et techniques. Comme Ngameleu, ce sont des joueurs d’expérience qui, sur ce match, sont indispensables.
Ngamaleu est un joueur qui fait preuve d’une grosse débauche d’énergie sur son côté et doublé d’une capacité de provocation en un contre un. Il déclenche des appels incessants pour ses coéquipiers, n’est pas avare de tout effort et est donc capable de prendre tout le couloir à son avantage, le tout dans un association avec Colins Fai, qui au fil des matchs, a montré avec lui une véritable complicité et entente sur le terrain. En son absence, il a fallu réajuster en se privant de cette force qui n’a pu être utilisée. Malheureusement, ces changements n’ont pas eu l’effet escompté.
Pour palier à l’absence de Ngamaleu, Eric Maxim Choupo Mating a été utilisé sur l’aile droite. Quel est votre analyse de la prestation de l’ancien attaquant du Paris Saint German dans un rôle qui n’est pas habituellement le sien ?
Tout le monde connait Choupo. Ce n’est pas un joueur dont la vocation est de dédoubler sur un côté. Ses qualités techniques et son rythme de course sont programmés pour le faire jouer dans un rôle plus axial. On l’a toujours vu plus intéressant quand il évoluait dans un rôle de faux numéro 9 ou bien de 9,5. Il a un profil qui permet de créer de la complémentarité sur le front de l’attaque. Par le passé, lorsque j’évoluais en sélection, je me souviens que l’on avait testé Choupo Moting à quelques reprises sur ce même poste d’ailier. Une nouvelle fois, cela a été essayé face à… l’Algérie, sans que cela ne fonctionne.
En regardant l’historique et les statistiques sur les confrontations entre les deux pays, on a souvent rappelé le fait que l’Algérie n’avait jamais battu jusqu’alors le Cameroun (NDLR : 7 matchs officiels, 4 défaites et 3 nuls) mais aussi que le Cameroun n’avait pas été battu à domicile depuis quasiment 25 ans. Au vu de l’enjeu de ce barrage et de ces éléments historiques, cette défaite du Cameroun décuple-t-elle un sentiment psychologique négatif pour cette équipe à l’approche du barrage retour à Blida ?
Il faut d’abord se dire que dans le sport de haut niveau, tous les records sont faits pour être battus. Encore récemment, l’Algérie restait sur une série d’invincibilité de 35 matchs avant de perdre lors de la CAN, à Douala, face à la Guinée Equatoriale (1-0). Quoiqu’il arrive, on sait que les records finissent par tomber un jour ou l’autre, tout en espérant que cela soit le plus tard possible (rires). Maintenant, il ne faut pas se focaliser là dessus. Désormais, il faut recommencer un nouveau cycle, pas seulement à domicile mais dès mardi avec ce déplacement très difficile qui nous attend en Algérie. Il faut rester positifs en se disant qu’à ce stade de la confrontation, tout reste encore possible pour le Cameroun.
On a observé, en marge de la dernière CAN, un ensemble de changements sur un temps très court et illustré par la nomination de Rigobert Song au poste de sélectionneur-manager. Peut-on dire que la mauvaise transition post CAN est un élément clef de cette victoire algérienne à Douala ?
Au vu du contexte, il est peu opportun de tenir un quelconque jugement sur ces changements alors qu’un match reste à jouer avec à la clef une qualification au Mondial à aller chercher. Certains commencent déjà à le faire en se demandant si la décision de nommer Rigobert Song était une bonne ou mauvaise idée. Je ne pense pas que ce soit adéquat. Si mardi le Cameroun réussit à se qualifier, ce que j’espère tellement, alors tout le monde se réjouira en disant que c’était une bonne idée (rires).
Il faut toujours rester mesuré et patient, surtout quand on a ce match en ligne de mire. Je suis persuadé que beaucoup de choses vont changer sur le terrain, notamment au niveau de la mentalité, de l’envie démontrée par les joueurs et peut-être aussi dans la composition de départ. Nos joueurs auront encore plus à coeur de ramener la qualification au pays en allant chercher un résultat à Blida. Pas seulement un résultat, mais avant tout la qualification. C’est à l’issue de ce barrage qu’il sera plus adéquat de juger l’arrivée de Rigobert Song à la tête de la sélection.
Pour l’avoir vécu en tant que joueur, en 2013, comment vit-on de l’intérieur un évènement aussi stressant et compliqué qu’un barrage d’accession à la Coupe du Monde?
Avant de répondre à cette question, j’aimerai aborder l’injustice pour le continent africain d’un tel système de qualification à la Coupe du Monde. Comparé à d’autres continents, on fait face à un parcours du combattant pour n’obtenir que cinq places. Les choses doivent clairement changer. Ce n’est pas possible de voir l’Afrique dans une telle situation où nous avons ce sentiment d’être oubliés. On a l’impression que le football africain compte encore très peu au niveau des instances mondiales telles que la FIFA.
Le continent africain mérite pourtant mieux. Nous aspirons à aller de l’avant, à toujours faire progresser notre football, alors pourquoi ne pas disposer des mêmes chances de qualification que les autres ? Certes, dès la Coupe du Monde 2026, le nombre plus élevé de pays qualifiés (48 au lieu de 32 actuellement) va faire monter le nombre de pays africains qui pourront y participer (9 au lieu de 5 actuellement). Certes, il y a une progression, mais cela est-il suffisant ? Je me souviens, plus jeune, avoir vu des coupes du monde où le nombre de pays africains participants était seulement de deux (1990) voire trois (1994).
En définitive, j’ai toujours ce sentiment que l’Afrique n’est pas respectée à sa juste valeur parce que, pour se qualifier, il faut cravacher et souffrir plus que les autres. Vous vous rendez compte ? Entre le Cameroun et l’Algérie, le Sénégal et l’Egypte, seulement deux pays iront jouer la Coupe du Monde alors que ces pays, au vu de ce qu’ils représentent, mériteraient tous d’avoir la chance de se qualifier directement à ce grand rendez-vous. Il existe une forme d’injustice légèrement réparée par ce passage à 48 mais on se dit qu’il aurait peut-être fallu y penser bien avant.
Effectivement, il y a là un vrai sujet de réflexion. Cette situation de barragiste, c’est quelque chose que vous avez vécu face à la Tunisie (NDLR : en 2013, le Cameroun avait affronté le Tunisie avec un nul 0-0 à Rades avant de s’imposer 4-1 à Mfandena avec un but de Benjamin Moukandjo). Comment vit-on ces instants avant un match retour ?
Pour en revenir à votre question initiale, quand on vit en tant que joueur ce type de match, on se dit à cet instant que l’on est à 90 minutes d’un rêve qui peut devenir réalité: celui de qualifier son pays pour une Coupe du Monde. On pense à ces grands joueurs de notre continent, à l’image de George Weah, qui n’ont pu disputer de Coupe du Monde au cours de leur carrière. Il demeure jusqu’à présent le seul Ballon d’Or issu du continent africain, et pourtant il n’a disputé aucune Coupe du Monde. Dans l’une de ses récentes interviews, je lisais qu’il évoquait cela comme le plus grand regret de sa carrière et qu’il était prêt à échanger son Ballon d’Or contre une participation à la Coupe du Monde.
Dès lors que l’on entend d’immenses joueurs le dire, vous comprendrez à quel point se retrouver si proche d’une telle opportunité est pour vous une chance immense. Cela ne peut que vous motiver. Dans ces moment là, l’entraineur n’a même pas besoin de vous rappeler ce que représente une participation en Coupe du Monde. Chaque joueur de football sait ce que cela représente, qu’aucune compétition ne peut être élevée au dessus de la Coupe du Monde. C’est le summum dans une carrière, le graal. Une fois que cela vous est imprimé en tête, comment ne pas être motivé, peu importe les circonstances du match aller?
Dans ce type de rencontres, le succès repose sur des valeurs liées au combat, à l’abnégation, au dépassement de soi, plus qu’à une volonté de proposer du beau jeu… Disons le clairement : dans ce type de matchs, l’enjeu dépasse clairement le jeu (rires). Si l’on prend le cas de l’Algérie par exemple, vous verrez finalement très peu de commentaires côté algérien sur le fond de jeu proposé par l’équipe. On parle uniquement du résultat obtenu qui les met en position favorable avant de recevoir le match retour à domicile. Ce que l’on retient, c’est que l’Algérie a su créer l’exploit au Cameroun en menant donc une manche à zéro.
Au final, si le Cameroun venait à se qualifier et à créer l’exploit en allant s’imposer à Blida, et très honnêtement peu importe le jeu déployé par le Cameroun pour arriver à cet objectif (rires), on oubliera totalement la défaite concédée vendredi dernier à Douala. On sera tous heureux de célébrer une qualification à la Coupe du Monde sans avoir à en débattre sur la manière. Fondamentalement sur un barrage de qualification aussi intense, l’enjeu prend foncièrement le pas sur le jeu.
Cette analyse prend clairement le contre-pied de l’analyse post-match de Rigobert Song qui indiquait que l’Algérie n’était pas venue au Cameroun pour jouer…
(Il réfléchit) Ne pas venir pour jouer… Bon, malgré tout, l’Algérie est quand même venu au jouer au football en mettant en place une tactique propre à ce type de match. Dans le football, chaque équipe vient jouer en fonction de ce qu’elle a envie de mettre en place. Si l’on prend du recul, quand on regarde la Ligue 1 Uber Eats, que proposent chaque week-end les équipes qui affrontent le PSG ? En Premier League, celles qui affrontent Liverpool ou Man City ? Celles qui, au début des années 2010, jouaient le Barça de Messi, Xavi, Iniesta ? Chaque équipe se présente sur le terrain en mettant en place un système qu’elle estime adéquat dans un contexte donné. Et encore, là, on parle d’un championnat avec la possibilité de se rattraper, alors imaginez quand on transpose ça à un contexte de barrages de qualification à une Coupe du Monde. Vous n’avez que deux matchs et derrière vous vous dites que vous n’aurez peut être plus l’occasion d’être aussi proche d’une participation à une Coupe du Monde.
En 2013, le résultat obtenu en Tunisie (0-0) revenait quasiment du miracle (rires). On a énormément subi sans pourtant voir la Tunisie réussir à trouver la faille pour marquer. Honnêtement, on peut dire que nous avons effectué cette année-là en Tunisie ce que l’Algérie a réalisé vendredi au Cameroun, à la différence que l’Algérie a réussi à marquer à l’extérieur, ce que nous n’avions pas fait. Sur ce match face à la Tunisie, nous avions défendu comme des acharnés, des morts de faim. On s’était dit que l’on ne prendrait pas de but en Tunisie pour arriver chez nous en pleine confiance afin de pouvoir proposer notre football et dérouler pour obtenir un large score en notre faveur.
On était conscients qu’au retour, on jouerait avec la ferveur et le soutien de 20 millions de Camerounais qui allaient nous pousser à nous dépasser. Tu te retrouves quand même chez toi à 90 minutes d’une Coupe du Monde ! Tout cela, au final, c’est de bonne guerre. Personnellement, je ne tirerai pas sur l’Algérie en disant qu’elle a refusé de jouer au match aller. C’est vraiment de bonne guerre. Quand tu es à 180 minutes d’une qualification à la Coupe du Monde, tu composes ton équipe avec les arguments à ta disposition pour obtenir le fameux sésame en jeu. Maintenant, je pense que l’Algérie va jouer ce mardi à Tchaker avec un visage radicalement différent de ce qu’elle a proposé à Douala. Très franchement, je ne pense pas que l’Algérie jouera sur ce même registre à Blida.
Quels sont justement les clefs de ce match retour à Blida pour chacune des deux équipes ?
Je pense que l’on va assister à un match ouvert, si et seulement si, l’Algérie prend l’initiative d’être plus offensive sur ce match. À ce stade, le Cameroun se trouve en position de nation éliminée. Il va donc falloir que l’on prenne des risques en se mettant dans la position du chasseur tandis que l’Algérie sera la proie. Quel est donc l’objectif si l’on prend cette métaphore pour la proie ? Éviter les balles du chasseur ! (rires).
Donc, je me pose sérieusement la question de savoir ce que Djamel Belmadi nous réserve comme approche sur ce match. Autant, je pense savoir comment le Cameroun pourrait aborder le match, autant pour l’Algérie, c’est une inconnue à cet instant. Il faut dire que l’on a été tous surpris par la composition et le système de jeu adoptés par cette équipe au match aller. Désormais, l’idée est d’observer la façon avec laquelle l’Algérie va gérer cette avantage au score dès le coup d’envoi du match retour. Est-ce qu’elle va vouloir adopter une stratégie aussi défensive qu’à l’aller pour maintenir son avantage ? Ou alors allons nous retrouver cette Algérie que l’on connait, plus joueuse, au vu de ce retour à domicile auprès de ses supporters ? C’est là, je pense, une véritable interrogation à se poser à l’approche de ce match.
Côté camerounais, l’idée est d’emblée plus claire. On ne doit pas uniquement gagner ce match mais le faire avec un large avantage au score pour espérer se qualifier. Il y a un but à l’extérieur à rattraper. Ainsi, tu es obligé de prendre des risques en mettant par exemple un joueur offensif supplémentaire. Je le dis sans être dans l’intimité du vestiaire, mais c’est l’idée qui me semble la plus probable. Quand on a un score à rattraper, on favorise des schémas de jeu à vocation offensive, à l’instar d’un 4-4-2 ou d’un 4-3-3. En fonction de l’évolution du score, tu ajustes ensuite, mais pour te donner toutes les chances de qualification, l’objectif du Cameroun est simple : marquer le plus tôt possible.
L’équipe qui marquera la première mardi portera, je pense, un sacré coup au moral de l’autre et pourra faire pencher le sort de sa rencontre en sa faveur. Rien ne sera clairement joué mais ouvrir le score sur ce type de match donne un certain avantage psychologique. L’Algérie n’a gagné à l’aller que d’un seul but, en face, le Cameroun a, sans hésiter, les capacités de marquer deux buts afin de chercher cette qualification. On espère que Aboubakar sera apte pour jouer ce match car je pense que nous sommes clairement plus dangereux offensivement en sa présence. Ça met quelques incertitudes avant ce match mais on va prier le Bon Dieu pour qu’il puisse nous le remettre sur pied d’ici le coup d’envoi ! Je suis convaincu que les coéquipiers peuvent faire le job en son absence même si je reconnais que nous sommes meilleurs encore avec lui.
On parle beaucoup de l’impact que peut avoir le Stade Mustapha Tchaker (série d’invincibilité, ferveur, contexte lié à ce stade). Pour avoir disputé un match avec les Lions indomptables à Blida (NDLR : match nul 1-1 en octobre 2016 en qualification au Mondial 2018 avec un but de Benjamin Moukandjo), pouvez-vous nous décrire les souvenirs que vous avez de ce stade ?
Le stade de Blida ? C’est tout simplement de la folie ! (rires) Pour la petite histoire, je montrais la semaine dernière, chez beINSPORTS (NDLR : Benjamin Moukandjo est désormais l’un des consultants de la chaine sportive qatarie en France) les vidéos que j’avais alors prises à Blida lors de l’avant-match à Vanessa Le Moigne, qui s’est rendue justement là bas pour assister au match retour.
En lui montrant les vidéos, je lui disais : «Tu vois comment ça se passe à Blida !». On était arrivés deux heures avant le match, le stade affichait déjà complet et il y avait encore énormément de monde à l’extérieur. Le stade était littéralement blindé (rires). Ce qui m’avait alors impressionné, c’était l’ambiance de folie qui régnait à l’intérieur. Vous savez, à un moment donné, ils ont éteint les projecteurs et d’un coup tous les supporters se sont mis à sortir leurs téléphones afin d’allumer leur lampe torche pour éclairer le stade. C’était tout simplement magique !
Pour ma part, j’aime jouer dans des stades de ce type. J’ai toujours aimé jouer dans des stades avec autant de ferveur durant ma carrière. Que ce soit à domicile ou à l’extérieur, cela m’a toujours transcendé. Quand on fait ce métier, on aime arriver au stade et se rendre compte qu’il affiche complet avec autant d’engouement de la part de nos supporters. Cela nous donne une source de motivation supplémentaire. À Blida, l’Algérie jouera avec son douzième homme, c’est certain. D’un autre côté, je sais que le public algérien est un public très exigeant, tout comme les camerounais d’ailleurs.
Je me souviens lors de ce match en 2016 que nous étions menés un but à zéro (NDLR : grâce à un but de Soudani inscrit à la 7ème minute). Derrière, on a su mettre la pression nécessaire pour pouvoir égaliser. On avait continué à pousser pour chercher ce but et je me souviens avoir senti une petite partie du public se retourner, n’étant pas satisfait du jeu que l’Algérie produisait. Si le Cameroun parvient à marquer rapidement dans cette rencontre, il faudra être attentif à la réaction du public algérien qui pourrait avoir un impact important sur le comportement de son équipe sur la suite des événements.
Dans ce cas de figure, le public va t-il se montrer compréhensif avec son équipe en continuant à la pousser étant à 90 minutes d’une Coupe du Monde ? Il faut aussi prendre en compte que ce match sera le premier pour cette équipe d’Algérie à domicile après l’échec de la CAN. Quelque part, le public n’a peut être pas oublié cette contreperformance. Il faudra donc pour l’Algérie se montrer vigilante à la réaction du public si le scénario du match ne venait pas à tourner en sa faveur. Même si la victoire face au Cameroun est passé par là, on sent que le public algérien reste mécontent du visage affiché par son équipe lors de la CAN. Tout cela reste donc fragile en quelque sorte.
Finalement, dans ces conditions, faut-il s’en remettre aux individualités de chaque équipe pour obtenir cette qualification ou alors, tirant la leçon du match aller, capitaliser sur son collectif pour imposer son jeu et supporter la pression?
À titre personnel, j’ai toujours vu le football sur le prisme du collectif. Dans cette façon d’analyser le sport, les individualités passeront donc toujours derrière le collectif. Sur le terrain, tu as onze joueurs, huit remplaçants, d’autres joueurs hors de la feuille de match et tout un staff. Voilà ce que représente pour moi une équipe. Sur un exploit individuel, un joueur peut marquer, voire te faire gagner un match et encore… Parce que, même s’il venait à marquer sur un exploit individuel, si derrière les copains ne courent pas, ne défendent pas, que le gardien ne sort pas l’arrêt qu’il faut au moment décisif, ton but ne sert à rien.
Dans ce type de contexte, faire la différence ne reposera pas sur un seul joueur mais sur toute une équipe. C’est ce que l’on a pu constater côté algérien lors de ce match aller. On a vu une équipe d’Algérie solidaire, disciplinée et combative, faisant preuve d’une grande solidité défensive sur le terrain. C’est cet état d’esprit collectif qui leur a permis de ramener ce bon résultat du Cameroun. Quand on regarde la prestation d’un Mahrez, on voit qu’il était pleinement concentré sur les tâches défensives de l’équipe. Il a pleinement intégré le fait que, pour préserver ce résultat, il devait être totalement dédié à son collectif. On l’a vu plus défendre qu’attaquer.
Pour le match retour, les données sont sensiblement les mêmes. Si le Cameroun veut s’en sortir à Blida, alors il faudra montrer un toute autre visage d’un point de vue collectif. Ils doivent accepter de souffrir, d’attaquer, de défendre ensemble. On doit voir un bloc équipe solidaire. Certes, le but viendra toujours d’un joueur, mais celui-ci sera toujours à la conclusion d’une action qui verra le collectif primer.
Pour conclure, dans quel état d’esprit abordez-vous personnellement la rencontre de ce mardi ?
Je suis pleinement concentré et supporter déterminé du Cameroun. Dans ce type de match, il n’y a que deux alternatives : soit la qualification, soit l’élimination. Je regarderai ce match en étant à fond derrière les Lions Indomptables ! En tant que Camerounais, j’espère de tout mon coeur que cette équipe parviendra à obtenir la qualification pour le Mondial. Cela me tient d’autant plus à coeur en tant qu’ancien joueur et capitaine, avec tout ce que cela comporte en termes de souvenirs et de victoires.
Désormais, le football va décider de l’issue de ce match, mais n’oublions pas que nous restons tous Africains. Peu importe l’issue de ces barrages pour les équipes engagées, nous serons tout un continent derrière les cinq équipes engagées en Coupe du Monde au Qatar. On aura alors tous à coeur de supporter les nôtres.