L’ancien chef de cabinet du président de la Fécafoot, qui a démissionné en juin 2011, apporte un éclairage dans la compréhension des prérogatives et la place du Comité d’Urgence de la Fécafoot. En même temps qu’il interprète la volte-face du ministre des Sports comme un piège à l’équipe dirigeante actuelle de la Fédération camerounaise de football. Lisez plutôt.
Six membres du Comité d’urgence de la Fédération camerounaise de football, parmi lesquels des vice-présidents ont écrit à la Fifa pour se désolidariser de l’action du président Iya Mohammed, par rapport à la demande du ministre des Sports de surseoir au processus électoral. Quel peut être la portée d’un tel acte ?
Je voudrais d’abord revenir sur ce qu’ils ont dit, parce que j’ai l’impression que les gens ont réagi tout de suite, sans même lire ce que ces membres du Comité d’urgence ont dit. J’ai parcouru cette correspondance adressée à la Fifa et je n’ai pas eu l’impression qu’ils se désolidarisaient de l’ensemble de ce qui s’est passé à la fédération ou quoi que ce soit. J’ai l’impression qu’ils se sont exprimés concernant une situation bien précise, qui est celle de notre football actuellement et les circonstances dans lesquelles les choses sont en train de se dérouler. Pendant les dix années que j’ai passées à la fédération, nous n’avons jamais passé outre une injonction gouvernementale. On s’est toujours arrêté et après on est allé s’expliquer, parfois même à travers les médias. On a toujours pensé qu’il y avait un bras de fer, mais c’était au niveau des médias. Mais, sur le terrain, jamais.
Qu’est-ce qu’ils ont dit ?
Ces membres du Comité d’urgence ont dit deux choses : ils ont d’abord dit que les dérives auxquelles on assistait actuellement peuvent être de nature ou sont de nature à provoquer des troubles. On a tout de même vu des armes brandis quelque part. Ensuite, ils ont dit qu’il y a aussi une partie de la famille du football qui revendique des choses, parfois par des moyens condamnables. Mais, ces gens-là font partie de la famille du football. Et ces membres du Comité d’urgence ont demandé ou suggéré à la Fifa de les écouter, d’écouter le ministre des Sports, qui a des préoccupations essentiellement liées à la sécurité. A ce niveau, je trouve leur démarche fondée et plus responsable, que ce que nous avons vécu lors de l’Assemblée générale et du Comité exécutif du 26 mars dernier, où des gens ont réagi avec une vive émotions, dans un élan de défi. Ce n’est pas bon, parce que dans un pays, c’est l’Etat qui est garant de la sécurité de tous et si un ministre évoque des questions liées à la sécurité, la moindre des choses, c’est de s’arrêter et de l’écouter et non de se lancer dans une espèce d’activité hors-la loi.
Et quelle est la place de ce Comité d’urgence au sein de la Fécafoot ?
Sauf si on venait à dire que la fédération se résumait à la personne de son président. Il ne faut pas oublier que c’est par un scrutin de liste qu’il a été élu. Il y a une liste qui a été élue, avec pour tête de liste, le président de la Fécafoot actuel. La liste élue de 33 personnes à ce moment-là, en 2009, est devenue le Comité exécutif de la Fécafoot. Et la tête de liste, en l’occurrence M. Iya Mohammed, est devenue le président de la Fécafoot. Le Comité exécutif a été élu avec les textes de 2009 …. Maintenant, on parle de nomination au sein du Comité exécutif. Mais, avec les textes de 2012, cette disposition ne sera applicable qu’après les élections. Ces gens du Comité d’urgence ont été élus, parmi les 33 personnes. C’est le leadership le plus élevé de la fédération, les dix personnes à raison d’une par région, plus le président de la Ligue de football professionnel du Cameroun. Soit 11 personnes. Il y a eu un décès, M. Taku Mbuh et Charles Emedec a été exclu. Les dix personnes de ce Comité d’urgence sont les plus importantes, qui doivent prendre des décisions. C’est la même chose à la Fifa. L’article 39 des statuts de la Fécafoot dit qu’en cas de vacance du président, c’est le 1er vice-président qui le remplace. Il y a les autres vice-présidents, par ordre de préséance. Après Emedec Charles qui n’est plus là, il y a David Mayebi, Essomba Eyenga, le Général Semengue et deux membres de ce Comité d’urgence qui sont des conseillers, qui se sont exprimés. Le Comité d’urgence, c’est vrai, n’est pas un organe de la fédération, mais c’est le bureau d’un organe de la fédération qui prend toutes les décisions entre deux réunions du Comité Exécutif. Comme les textes prévoient environ trois réunions sur l’année du Comité exécutif, ça veut dire que c’est ce Comité d’urgence qui gère la fédération. C’est l’organe de management de la fédération. C’est l’organe le plus élevé dans le leadership de la fédération. Si on les minimise, ça veut dire qu’on ne connaît pas les textes. Il y a eu un exercice solitaire du pouvoir au niveau de la fédération. C’est pour ça que cette instance ne s’est réunie qu’une seule fois en quatre ans.
D’aucuns estiment que dès lors que le président Iya Mohammed n’a pas validé une action de ce Comité d’urgence, leur acte est nul et que ce Comité d’urgence ne devait être compétent qu’en mai 2013 et que, pour cela, ce Comité d’urgence n’a aucune place en ce moment. Comment comprendre cela ?
Ce Comité d’urgence existe bel et bien. Les organes élus en 2009 restent toujours en place. Leur mandat n’est pas encore terminé. Les membres du Comité exécutif actuel ont été élus le 24 mai 2009. Donc, ils sont encore en poste. Il faudrait noter que ce n’est pas dans le cadre d’une réunion formelle de ce Comité d’urgence que ces membres se sont exprimés. Ce sont des membres qui se sont concertés et ont écrit une correspondance sur papier libre. Ils ont donné leur opinion à la Fifa.
La Fifa peut-elle accorder du crédit à ce qu’ils ont dit ?
Bien sûr qu’elle prendra en compte à leur position. Je ne sais pas quel serait le poids que cela aura. Mais, ce qui est sûr, c’est le 1er vice-président de la Fécafoot, les autres vice-présidents et membres du Comité d’urgence. Ils se sont exprimés sans prétendre avoir tenu une réunion extraordinaire et statutaire. Tout comme dans l’autre camp, j’ai appris qu’il y a eu une concertation entre les membres du Comité exécutif.
Ce Comité exécutif qui a mis les autres en minorité …
Il n’est pas question de minorité. Ce n’était pas une réunion statutaire du Comité exécutif. C’était une réunion de concertation d’une partie des membres du Comité Exécutif. Si c’était une réunion statutaire, les autres devaient être convoqués. Vous avez vu que 97 membres de l’Assemblée générale ont validé un bras de fer contre le Gouvernement camerounais. Cela veut dire qu’on peut faire signer à ces membres de l’Assemblée générale n’importe quoi.
Voulez-vous dire qu’ils n’ont pas le sens de discernement ?
Le mal de notre football est qu’aujourd’hui, tout le monde est coopté. Je récuse le terme d’élection. En réalité, il n’y a pas de démocratie au sein de la Fécafoot, parce que vous avez des gens qui ont été « élus » en 2000 et qui sont en poste jusqu’à ce jour. Et ils le doivent au président qui est là, parce qu’à tout moment, il peut vous bannir ou peut vous coopter. Ceux qui décèdent, sont remplacés par cooptation. La majorité de ces membres sont arrivés à la Fécafoot, par le bon vouloir du président. Il n’est en réalité pas question de vote.
D’où la querelle autour l’application des textes ?
Bien sûr. Et c’est pour cela que je salue ces membres du Comité d’urgence qui ont pris le courage de se prononcer. Ils savent que tout de suite, il y aura des démarches qui vont être entreprises dans le but de les bannir. Mais, ils ont quand même pris le risque de s’exprimer.
Parlant de l’article 4. Paraît que tout se joue à ce niveau ?
Le problème de l’article 4, c’est qu’il permet à des personnes qui n’ont rien à voir avec le football, qui n’ont aucun lien d’activité avec le football, de prendre des décisions à la place des acteurs même. La Fifa, depuis 2004, a interdit que des personnes physiques soient membres de la Fécafoot. Elle a accepté et applique cela au niveau de ses grands statuts (au niveau fédéral, ndlr). Mais, elle a adopté un statut spécial pour les ligues régionales, départementales et d’arrondissements. Et là, les personnes physiques sont membres de la Fécafoot. Et ces personnes sont majoritaires tous les quatre ans et à tous les coups. Parce qu’on dit tous les quatre ans qu’ils sont électeurs et éligibles. On octroie le droit de vote à des gens qui n’ont rien à voir avec le football et ils sont en surnombre.
Quelle est leur proportion ?
Ils sont dans chaque Conseil départemental au moins 15, alors que vous n’avez pas six ou sept clubs. C’est pour ça qu’on ne veut pas développer le football au niveau départemental. Ces 15 personnes font partie de l’Assemblée départemental tous les quatre ans, un groupe d’amis qui mettent en minorité quatre ou cinq clubs. En plus, c’est au scrutin de liste qu’ils sont élus. C’est la même chose au niveau régional. Les 21 membres du Conseil régional sortant ont le droit de vote, sont électeurs et éligibles. Ce qui est interdit dans les grands statuts de la Fécafoot. Ils sont là depuis 13 ans et si ça continue, ils pourront y être pendant 100 ans. Certains vont décéder et leurs enfants vont les remplacer ou on va coopter d’autres personnes qui ont les mêmes affinités. On ne peut pas parler d’élection dans la mesure où le président sortant a déjà 70 à 80% des voix de son côté, de facto.
Il y a aussi les membres des commissions qui ont le droit de vote …
Il y a aussi des membres des commissions nommés par les présidents en poste et qui disposent du droit de vote. Comment parler d’élection quand vous nommez des gens qui font partie de ceux qui vont vous élire ? A la fin du mandat, au lieu que chacun parte chercher sa légitimité, on dit que vous êtes membres de droit. On a un chiffre qui tourne autour de 1200 personnes qui composent les 58 Conseils départementaux, les 10 Conseils régionaux et le Comité exécutif. Ça fait 80 ou 90% des personnes qui n’ont aucun intérêt dans le football, qui ne viennent ni des clubs, ni des associations des corps de métiers (entraîneurs arbitres, joueurs …). Donc, ils sont là. Ils n’ont aucun intérêt à ce que le football se développe. Ce qui les intéresse, ce sont les avantages personnels qu’ils peuvent tirer. Il suffit d’envoyer quelqu’un en mission et il est content alors que dans 40 départements sur 58, le football ne se joue pas du tout. Mais, ces gens sont reconduits tous les quatre ans. Si on aime le football, on doit s’arrêter, écouter, rassembler, ne pas avoir des attitudes de jusqu’auboutisme et ce n’est pas pour le bien du football camerounais.
La dernière actualité est la volte-face du ministre des Sports, qui a fléchi, demandant la poursuite du processus électoral à la Fécafoot, sous la pression de la Fifa. Quel commentaire faites-vous de cette situation ?
Je vois d’abord la volonté du ministre des Sports de sortir du jeu sous la pression de la Fifa. Il a évoqué des impératifs liés à la sécurité, à l’ordre public. Il se trouve que la Fifa considère que ce n’est pas fondé et considère cette démarche comme une ingérence. Dès lors que la Fifa a tranché, que le fait de demander à un président de fédération, de surseoir à l’exécution du calendrier électoral, parce qu’il a des inquiétudes concernant la sécurité et l’ordre public, je considère que le ministre a pris acte. Il a aussi des responsabilités. Il ne peut pas engager tout un Gouvernement, tout un pays dans une aventure dont on connaît l’issue d’avance. On sait que la Fifa a toujours été jalouse de l’autonomie des fédérations. Elle a tort ou elle a raison, je pense que le ministre a respecté la position de la Fifa. C’est aussi parce que les dirigeants de la Fécafoot ont dit à la Fifa que ces incidents n’étaient pas fondés. C’est pour ça que dans sa lettre, la Fifa a parlé de « supposés incidents ». Cela veut dire qu’on met en doute la parole du ministre. Il a pris acte et a reculé. Maintenant, dans la dernière lettre du ministre, il y a deux niveaux.
Lesquels ?
Au plan réglementaire, il interpelle le président de la Fécafoot en lui demandant de poursuivre l’exécution du calendrier électoral dans le respect de la législation nationale. Je vois déjà, y compris la décision de la Chambre de conciliation et d’arbitrage du Comité national olympique et sportif du Cameroun (Cnosc), concernant ce fameux article 4, qui est contraire au statut de la Fécafoot, à ceux de la Fifa et contraire à tous les principes de la Fifa, ceux liés à la séparation des pouvoirs, l’exécutif, le législatif et surtout le droit de vote. J’espère que ça sera cette compréhension qui va être retenue du côté de la fédération. Ensuite, le ministre a interpellé le président de la Fécafoot sur la sécurité, lui demandant de le tenir informé des démarches qu’il aura entreprises pour faire que tout se passe dans la sérénité et la paix. Est-ce que cela veut dire qu’il faudrait avoir des camions de gendarmes dans tous les lieux d’élections ? On peut aussi interpréter cela comme une demande au président de la fédération d’aller discuter et éteindre les foyers de tensions, de parler avec ces gens-là qui hurlent, parce qu’ils sont totalement impuissants. Aujourd’hui, les clubs, les joueurs hurlent, parce qu’on les a mis sous tutelle. On les a mis en marge des décisions concernant leurs propres activités. En réalité, c’est à eux de prendre les décisions. Tout le monde a vu en France, on est allé chercher un avocat, qui, en raison de ses compétences préside la Ligue professionnelle. Il faut qu’on remette le pouvoir aux clubs, les associations des corps de métier (joueurs, entraîneurs, arbitres et demain les médecins sportifs ou les journalistes sportifs, les administratifs, parce qu’en France, c’est un corps de métier). Pas des gens qui sont en dehors du football et qui viennent imposer leur diktat. C’est ça qui handicape le développement de notre football.
Il reste tout de même que des élections se sont déroulées dans des départements malgré l’interdiction du ministre. Peuvent-elles être prises en compte ?
Le président de la fédération devrait logiquement revenir avec un nouveau chronogramme, parce qu’à la veille des élections, le ministre a interdit leur tenue. Il serait plus logique de recommencer les élections. Mais, comme je vous l’ai dit, à la Fécafoot, les choses vont dans tous les sens et il ne faudrait pas s’étonner que des gens passent en force. Si on réforme l’article 4 dans le sens des statuts de la Fécafoot et de la Fifa, ça sera une bombe atomique. Hiroshima serait une comparaison assez faible. Vous aurez 90% de ceux qui commandent notre football aujourd’hui qui vont disparaître. Ça fait peur au niveau du système actuel et ça ne m’étonnerait pas qu’il y ait un forcing pour que ceux qui ont été « votés » dans des conditions contestables passent en force.
Quelles sont les chances d’appliquer la décision du juge du Cnosc ?
Elles sont de 100%. Je pense que la fédération va d’abord procéder aux élections avant de s’occuper de cela. Tout est dans le timming. La Fécafoot a reconnu la compétence de la Chambre de conciliation et d’arbitrage du Cnosc. Elle va peut-être attaquer la décision au Tas, mais elle va finir par l’appliquer. Malheureusement, si les choses continuent comme ça, il se fera tard, parce que les élections se seront déroulées sur la base des anciens textes. Donc, il y en aura encore pour quatre ans. Ce qui peut sortir notre football de l’ornière pour éviter encore quatre ans de recul, c’est que le Gouvernement amène la Fifa à réexaminer les textes de la Fécafoot dans le cadre d’une tripartite, comme en 2004.
Entretien mené par Antoine Tella à Yaoundé