Ancien directeur de cabinet du président de la Fécafoot, Abdouraman Hamadou est celui qui a géré le dossier de naturalisation de Choupo Moting et Joël Matip. Il a participé activement aux discussions et aux correspondances avec la FIFA. Il nous explique comment leurs dossiers ont été gérés avant la Coupe du Monde 2010. En même temps qu’il donne son avis sur ce qu’il faut faire pour que les Lions Indomptables puissent avoir une belle prestation au Brésil en 2014.
Comment avez-vous accueilli l’information suivant laquelle la Tunisie conteste la victoire des Lions Indomptables du 17 novembre dernier et veut aller en Coupe du Monde à la place du Cameroun ?
C’est avec beaucoup de surprise. Quand on voit déjà comment ça s’est bien passé pour eux avec le Cap Vert, un peu tiré par les cheveux, on se demande aujourd’hui si les Tunisiens ne comptent pas tout simplement sur le tapis vert pour aller en Coupe du Monde. Plus sérieusement, c’est de bonne guerre. Le football n’est pas que sur le terrain. Ça se joue aussi sur le plan administratif. Donc, il faut connaître les règles. Il faut être en conformité avec la réglementation. Ils ont essayé et je ne peux pas leur faire le reproche d’avoir fait cela. J’espère tout simplement qu’ils n’auront pas gain de cause.
Vous étiez à la fédération camerounaise de football au moment où il fallait établir les dossiers de ces deux joueurs pour qu’ils soient désormais Camerounais. Comment s’était passé la procédure de leur naturalisation ?
Le hasard a voulu peut-être que je m’occupe de ces deux dossiers et je pense qu’à ce moment-là nous avions fait tout ce qu’il y avait à faire. Nous étions en relation avec la Fifa et nous avons fourni tous les documents nécessaires qui nous étaient demandés, à travers la Division juridique de la Fifa, qui a transmis par la suite le dossier à la Commission du statut du joueur. Il y avait un juge unique qui avait statué là-dessus, surtout sur le cas de Choupo Moting, qui avait déjà livré quelques matchs avec une des sélections inférieures allemande. Il y a eu une décision du juge unique de la Commission du statut du joueur, qui autorisait le Cameroun à utiliser le joueur Choupo Moting. Concernant Joël Matip, nous avions obtenu une correspondance de la Fédération allemande qui nous avait certifié qu’il n’avait disputé aucun match avec aucune des sélections allemandes. Sur la base de ce document, nous avons pu obtenir l’autorisation de la Fifa et c’est comme ça que nous avons pu donc utiliser ces deux joueurs pour la Coupe du Monde. Evidemment, au niveau du Cameroun, nous avons pu obtenir leurs certificats de nationalité sur la base de la nationalité de leurs parents respectifs. La loi portant sur le code de la nationalité donne la nationalité camerounaise à toute personne née d’un des parents de nationalité camerounaise.
La recevabilité de la requête de la Tunisie ne veut-elle pas signifier que la Fifa prend ce problème très au sérieux alors que nous banalisons cela ici au pays, parce qu’on sait que ce sont des Camerounais ?
C’est la procédure normale, parce que la Fifa prend au sérieux toutes les requêtes qui sont engagées par des sélections. Dans le cadre du match du 17 novembre dernier, le capitaine tunisien avait rédigé une réserve de qualification et par la suite, le secrétaire général de la Fédération tunisienne de football a confirmé cela par écrit et la Fifa est donc obligée de statuer, puisqu’elle a été saisie dans les règles. Ici, on ne regarde pas si vous avez raison ou pas. On s’en tient au respect des règles de procédure. C’est au moment de statuer qu’on regarde qui a raison et qui a tort. Le fait que la Fifa se saisisse de ce dossier ne veut rien dire, puisqu’on attend que la Commission d’organisation de la Coupe du Monde décide sur cette question. Il ne faut pas aussi oublier que la fédération tunisienne s’est appuyée sur l’article 31(al. 1) portant sur le code de la nationalité camerounaise.
Et que dit cette disposition ?
Grosso modo, cet article ne permet pas la double nationalité. Tout Camerounais qui conserve ou acquiert une autre nationalité perd la nationalité camerounaise. Ce qu’il faut savoir, c’est que les joueurs Choupo, Moting et Matip avaient encore au moment où le match se jouait la nationalité camerounaise. On ne perd pas la nationalité camerounaise comme ça. Pour la perdre, la justice doit statuer, un décret présidentiel doit confirmer cela. Donc, au jour d’aujourd’hui, ils ont la nationalité camerounaise, bien qu’ils utilisent encore leurs passeports allemands pour évoluer dans leur championnat.
Justement, le fait d’utiliser encore ces passeports n’est pas un problème ?
En tant que tel, je ne vois pas où se trouve le problème. Si le Cameroun avait voulu les déchoir de leur nationalité il y aurait une procédure, comme la loi le précise. Il y a une autorité compétente pour cela. Le fait d’avoir un passeport allemand ne déchoit pas automatiquement ces joueurs-là de leur nationalité. Rien ne peut permettre de dire qu’ils ne sont pas Camerounais. Ils ont pris part à ce match-là en tant que Camerounais et leurs dossiers étaient réguliers au moment où ils allaient être enrôlés pour la première fois en sélection A, parce que cela avait été fait en 2010, juste avant que nous allions en Coupe du Monde. Nous avions régler cela au mois de mai 2010. Je me souviens avoir passé pratiquement toute une nuit au Tribunal de Grande instance dans le bureau de madame Schlick en présence du juge Schlick, qui était président de la Commission des recours à la fédération. Il nous a aidés pour qu’on puisse ficeler ce document et obtenir ce certificat de nationalité. Et nous avons transmis aussi à la Fifa, la loi portant sur le Code de la nationalité camerounaise, avec tout ce qu’il faut comme actes de naissances, actes de mariage des parents. Par la suite elle nous a donné l’autorisation d’utiliser ces joueurs. Mais, quand les Tunisiens demandent à la Fifa dans leur correspondance de revoir cette décision du juge unique concernant Choupo Moting, cela voudrait dire qu’ils sont en train de faire appel d’une décision qui a été prise en 2010. Cela fait plus de trois ans et demi alors que les délais pour faire appel sur ce genre de décision, c’est 21 jours. Tout cela me fait croire qu’ils n’auront pas gain de cause.
Et si par extraordinaire la Fifa tranchait contre le Cameroun, quels seraient les moyens de défense ?
Tous les documents sont là et ne posent aucun problème. Je les avais eu en ma possession et je pense que la Fédération camerounaise de football et aussi une grand partie est en possession des familles de ces joueurs. Si par extraordinaire, la Fifa rend une telle décision, il y a des voies de recours. Il y a déjà la Commission des recours à la Fifa et par la suite nous avons le Tribunal arbitral du sport. Il me semble assez compliqué que les Tunisiens aient gain de cause. Je répète encore que ces joueurs, à ce jour, conservent leur nationalité camerounaise. Et la loi est claire au Cameroun. On ne viendra pas juger sur la base des lois d’autres pays pour déchoir un Camerounais de sa nationalité.
Selon vous, après la qualification du Cameroun à cette Coupe du Monde, que faut-il faire pour que les Lions puissent disputer une belle compétition ?
Il suffit d’abord d’être bien organisé. Le football moderne aujourd’hui, c’est d’abord l’organisation. Si on n’est pas bien organisé, c’est compliqué. Il faut qu’on sache au sein de l’équipe qui fait quoi. Il faut que ces gens qui seront autour des Lions Indomptables soient compétents, chacun en ce qui le concerne les tâches dont il aura la charge. Donc, il faut bien structurer et définir les rôles des uns et des autres et mettre à ces postes-là des gens qui sont sérieux et qui peuvent travailler. Ensuite, il faut avoir un bon management. Si la Fécafoot n’est pas gérée par des dirigeants qui sont très sérieux et qui sont au fait d’un certain nombre de choses et si le ministère continue toujours de venir gérer à la place de la fédération on aura toujours des difficultés et on ne sera jamais à l’abri des désagréments que nous avons connus déjà en 2002, parce qu’au départ on pensait qu’on allait être demi-finalistes. Et puis en 2010, ça été un vrai cauchemar, alors que nous avons du potentiel. Il faut que le ministère arrête de se mêler des affaires de la fédération et joue uniquement son rôle. Chacun doit être à sa place et jouer son rôle avec efficacité. Et à ce moment-là, nous allons donner la possibilité à nos joueurs d’exprimer tout leur talent. Quand l’environnement n’est pas sain et que l’organisation n’est pas optimale, quand le management n’est pas de bonne qualité, quand il y a tous ces problèmes autour de l’équipe, avec des gens qui n’ont rien à faire et qui sont là pour fatiguer les joueurs, discuter toute la nuit.
Comment cela ?
En Coupe du Monde 2010, à la veille des matchs, les joueurs discutaient jusqu’à 3h du matin et le lendemain il fallait se lever pour aller jouer. A la fin, personne ne pouvait plus prendre de décision. L’entraîneur était mis hors-jeu, les joueurs se disputaient entre eux. Pour faire jouer certains joueurs, on a dû procéder à un tirage au sort.
Pour quels postes ?
Imaginez, on a fait un tirage au sort pour voir qui devait jouer entre les deux gardiens, parce que les gens ne s’entendaient pas. C’était une foire d’empoignades. Dans ces conditions, les gens ne peuvent pas jouer au football.
Et sur le plan technique, que faut-il ?
Il n’y a rien à dire. Quand vous prenez l’effectif des joueurs camerounais individuellement, poste par poste, il y a très peu de pays en Afrique, et même pas, qui ait des individualités que nous avons. Maintenant, il va falloir mettre tout ça en harmonie. Mais, dans le cadre d’une organisation de très bonne qualité, à la hauteur de la réputation de notre équipe nationale, mais aussi de la réputation du Cameroun en matière de football (…) J’espère qu’il y aura un nouvel exécutif qui va arriver à la tête de la fédération et à ce moment, on pourra rêver.
Entretien mené par Antoine Tella à Yaoundé