Professeur d’histoire et de sciences politiques à l’Université de Witvatersrand (Johannesburg) et directeur de recherche au Witwatersrand Institute for Social and Economic Research (Wiser) à Johannesburg, Achille Mbembe s’est affirmé au fil de ses parutions, comme un des penseurs les plus féconds dans des domaines qui relèvent de l’histoire, de la sociologie et de la philosophie politique.
SlateAfrique – De grandes équipes sont absentes de la CAN organisée en Afrique du Sud. L’Egypte, le Cameroun et le Sénégal n’ont pas pu se qualifier pour cette compétition…
A. Mbembe – Le foot égyptien subit les contre-coups du soulèvement révolutionnaire. Le Cameroun est devenu une obscène caricature. Véritable empire de la vénalité et de la prédation, tout ou presque y fonctionne à l’envers, dans le chaos, à la petite semaine.
A cause des niveaux insupportables de corruption et d’improvisation, on ne les reverra pas de sitôt à l’avant-garde du foot africain. Le Sénégal peine à redémarrer malgré l’arrivée à maturité de quelques grands attaquants.
SlateAfrique – Un joueur comme Samuel Eto’o est-il un atout maître pour le Cameroun? N’exerce-t-il pas trop d’influence et ne finit-il pas par pénaliser son équipe?
A. Mbembe – Le personnage est, pour le moins, pittoresque. D’ailleurs il ne parle de lui-meme qu’à la troisième personne du singulier. L’un des hommes les plus riches du pays, il est persuadé de pouvoir tout acheter grâce à son argent.
Mais hormis Eto’o, ils n’ont personne d’autre. Ils n’ont pas su préparer la relève. Bref, c’est l’enkystement. Le milieu est totalement pourri et il n’y a personne pour assainir le marécage. Des hommes à poigne comme Joseph Antoine Bell (ex-gardien des Lions indomptables et des Girondins de Bordeaux) sont tenus à l’écart. La crise est structurelle.
Il y a une structure du désordre volontairement cultivée qui empêche tout progrès et favorise la corruption. A tous les niveaux. Rien n’est fait selon des normes générales acceptées partout ailleurs. L’incertitude est manufacturée. Pris dans un tel réseau, les joueurs ne peuvent pas grand-chose.
SlateAfrique – Les interventions des hommes politiques dans les choix des entraîneurs ne sont-ils pas de nature à perturber les résultats de l’équipe camerounaise?
A. Mbembe – Chacun s’efforce d’instrumentaliser le désordre dans l’espoir de faire main basse sur le pactole. Quant à la Fédération, elle est verrouillée, privatisée par une clique qui ne veut surtout rien lâcher. Il est vrai que ceux qui s’efforcent de les déloger ne sont pas, eux-mêmes, des enfants de chœur. Le spectacle du foot camerounais est un vrai bal de carnassiers.