« Il n’est pas question d’oublier les deux ans et demi que j’ai passés au Cameroun, qui ont été formidables. J’ai eu la chance de travailler avec une équipe extraordinaire (…) nous avons été champions d’Afrique et nous avons atteint la finale de la Coupe des Confédérations de la FIFA, France 2003. Malheureusement, au cours des six derniers mois, nous avons eu pas mal de problèmes. »
En tant que sélectionneur national du Cameroun au cours des trois dernières années, Winfried Schäfer, 54 ans, a eu l’occasion de devenir un véritable expert du football africain. Après avoir été remercié en novembre dernier, l’ancien entraîneur de Karlsruhe a bien voulu répondre aux questions de FIFAworldcup.com et aborder avec nous l’actualité du ballon rond en Afrique.
Quelle est la situation actuelle des grandes équipes africaines ? Quels seront les joueurs africains les plus en vue lors de la Coupe du Monde de la FIFA 2006 ? Quel souvenir garde-t-il de son expérience à la tête du Cameroun ? Autant de questions auquel Winfred Schäfer a accepté de répondre pour nous.
Monsieur Schäfer, vous avez été licencié de votre poste de sélectioneur national du Cameroun à la mi-novembre. Pour quelle raison ?
On m’a expliqué que l’équipe ne comptait pas suffisamment de points dans la compétition préliminaire de la Coupe du Monde de la FIFA 2006. On m’a également dit que je ne pouvais plus rien apporter au groupe et qu’il était donc temps que je parte.
Etes-vous d’accord ?
Bien sûr que non. Nous n’étions qu’à quatre points de la première place de notre groupe et, avec encore cinq matches à disputer, tout était encore possible. En ce qui concerne l’avenir de mon équipe, c’est exactement le contraire : j’avais construit une équipe très jeune et pleine de potentiel.
Pourtant, le Cameroun n’avait pas fait très bonne impression lors de la défaite 0-3 face à l’Allemagne à Leipzig.
A cette date, l’équipe était gangrénée par des problèmes d’organisation et de politique. Une fois de plus, les primes promises n’avaient pas été payées. Même en ce qui me concerne, la fédération était très en retard dans ses versements : cinq mois, cela commence à faire beaucoup. Au Cameroun, les joueurs et les entraîneurs ne sont pas traités avec le même respect que les dirigeants. Faire voyager tout le monde jusqu’en Allemagne, tout ça pour prétendre ensuite que l’équipe ne veut pas jouer, c’est un grave manque de respect. C’est aussi très insultant à l’égard de la fédération allemande, qui a toujours soutenu le football camerounais dans les moments difficiles.
Quel bilan faites-vous de votre expérience africaine ?
Dans l’ensemble, je suis très satisfait. Il n’est pas question d’oublier les deux ans et demi que j’ai passés au Cameroun, qui ont été formidables. J’ai eu la chance de travailler avec une équipe extraordinaire. J’ai eu l’occasion de mettre en place de nouvelles structures, aussi bien dans le domaine de la formation que dans celui de l’organisation. Sans parler de nos nombreux succès sur le terrain : nous avons été champions d’Afrique et nous avons atteint la finale de la Coupe des Confédérations de la FIFA, France 2003. Malheureusement, au cours des six derniers mois, nous avons eu pas mal de problèmes. Pourtant, aujourd’hui encore, je reste à l’entière disposition de la fédération camerounaise, car j’aurais volontiers poursuivi mon travail là-bas.
Selon vous, quelles sont aujourd’hui les chances du Cameroun dans les éliminatoires de la Coupe du Monde de la FIFA 2006 ?
Si tout le monde, et je dis bien tout le monde, se décide enfin à tirer dans le même sens, le Cameroun peut encore largement remporter la poule et se qualifier pour la Coupe du Monde de la FIFA. Je l’ai d’ailleurs déjà dit après notre victoire à domicile sur la Côte d’Ivoire, alors que nous étions en tête du groupe avec sept points en trois matches. Le potentiel est là. Tout ce qui nous manque, c’est une meilleure collaboration entre les différentes composantes de la sélection nationale.
Quel rôle pourrait jouer le Cameroun à la Coupe du Monde de la FIFA 2006 s’il venait à se qualifier ?
J’ai déjà lancé six ou sept joueurs de l’équipe U-23. D’ici à 2006, le mélange entre les anciens et les nouveaux devrait avoir bien pris et je pense donc qu’il est raisonnable pour le Cameroun d’envisager au moins une place en quarts de finale. A 23 ans, Samuel Eto’o va sans doute encore progresser. Quant à Idris Kameni, il est bien parti pour devenir l’un des meilleurs gardiens du monde. Il y a vraiment le potentiel au Cameroun pour faire une grande équipe.
Quelles seraient les conséquences d’une élimination précoce pour le football camerounais ?
Les gens seraient très tristes. Mais un tel échec serait peut-être l’occasion pour la fédération nationale de mettre en place certaines de mes idées. Cela fait maintenant longtemps que je dis que le Cameroun a besoin d’un championnat national U-23 et U-21, avec des joueurs qui évoluent au Cameroun et non en Europe.
Depuis l’extraordinaire parcours du Cameroun lors de la Coupe du Monde de la FIFA, Italie 1990, tout le monde s’attend à voir une équipe africaine aller en finale de la Coupe du Monde. Pensez-vous qu’une équipe africaine dépassera les quarts de finale en 2006 ?
Si la Côte d’Ivoire réussit à résoudre ses problèmes de discipline et d’organisation, pourquoi pas. L’Afrique du sud a aussi ses chances. Il faudra également surveiller le Nigeria. En tout cas, je suis certain que l’Afrique aura au moins deux représentants en demi-finale en 2010. J’en suis convaincu. L’inspiration, le toucher de balle, le sens du dribble et la puissance athlétique, tels sont les atouts du football africain. Si vous ajoutez à cela la rigueur et le sens tactique acquis par les meilleurs joueurs africains dans les plus grands clubs européens, vous avez une combinaison gagnante. Mais à long terme, cela ne suffit pas. Le management doit progresser en Afrique. Ce qu’il faudrait, en exagérant un peu, c’est un manager général comme Uli Hoeneß du Bayern Munich.
Quelles sont pour vous les principales surprises de la compétition préliminaire de la Zone africaine de la Coupe du Monde de la FIFA 2006 ?
Le fait que le Togo et l’Angola jouent les premiers rôles est incontestablement une bonne surprise. A l’inverse, les équipes d’Afrique du Nord comme la Tunisie, l’Egypte ou le Maroc ont beaucoup déçu. Malheureusement, ces équipes ne semblent fortes que lorsqu’elles disputent de grandes compétitions à domicile.
Quelles sont les chances de la Tunisie, championne d’Afrique en titre, dans la Coupe des Confédérations de la FIFA ?
Je ne crois pas que les Tunisiens iront bien loin. Ils doivent avant tout leur titre à la chance et au fait d’avoir joué devant leur public, mais je crois qu’en Allemagne, ils vont rapidement montrer leurs limites.
Quels joueurs africains feront parler d’eux à la Coupe du Monde de la FIFA 2006 ?
Si le Cameroun se qualifie, je pense que Samuel Eto’o peut briller en Allemagne. Depuis son transfert à Barcelone, il est beaucoup plus discipliné. Autrement, je parierais sur Didier Drogba, l’attaquant ivoirien de Chelsea, et son coéquipier Bonaventure Kalou, un attaquant très intelligent.
A l’exception de la Coupe du Monde de la FIFA 1958, les équipes européennes se sont toujours imposées lorsque le tournoi est organisé sur leur continent. Cela sera-t-il également le cas en 2006 ?
Je ne le pense pas. Avec toutes ses stars qui évoluent en Europe, le Brésil est mon favori pour le titre. L’Argentine peut également espérer aller loin grâce à son style de jeu très accrocheur, qui posera des problèmes aux Européens. En ce qui concerne les grandes équipes européennes comme l’Espagne, la République Tchèque ou la France, elles doivent avant tout commencer par assurer leur qualification avant de penser à autre chose.
Que faites-vous des chances de l’Allemagne, le pays organisateur ?
L’Allemagne doit absolument être prête pour la Coupe des Confédérations de la FIFA 2005. Cette compétition a aujourd’hui beaucoup plus de valeur car toutes les équipes, même le Brésil, veulent la remporter. Si nous réussissons à bien figurer dans ce tournoi, je pense que la jeune équipe de Jürgen Klinsmann a des chances d’atteindre les demi-finales de la Coupe du Monde de la FIFA, à condition de continuer à progresser. Jusqu’à maintenant, Klinsmann a fait beaucoup d’essais et il n’a encore commis aucune erreur.
Quels sont vos projets personnels à l’approche de la Coupe du Monde de la FIFA ?
Actuellement, je n’ai rien de concret. J’attends une offre sérieuse. J’aurais pu reprendre une équipe nationale, mais en pleine compétition préliminaire de la Coupe du Monde de la FIFA 2006, c’est peu probable. J’espère reprendre un club en main dans les prochaines semaines.
Qu’avez vous appris de plus important lors de votre passage au Cameroun ?
Le respect que les joueurs ont les uns envers les autres et envers leur entraîneur. C’était déjà comme ça lorsque j’étais joueur à Mönchengladbach. A l’époque, tout le monde avait le plus grand respect pour l’entraîneur. Malheureusement, de nos jours, certains joueurs manquent cruellement de respect en Bundesliga.
Qu’entendez-vous par là ?
Le fait que certains joueurs rechignent à l’échauffement, par exemple, ou le fait qu’ils se moquent ouvertement des entraînements tactiques sans le ballon, ou encore du travail de formation. Dans ce domaine, les Africains sont beaucoup plus agréables à vivre. En ce qui concerne les questions de respect envers l’entraîneur, certaines stars de Bundesliga feraient bien de s’inspirer de ce qui se fait à Barcelone, au Real Madrid ou à Arsenal, où j’ai fait mon stage. Dans ces grands clubs, il n’est pas pensable de manquer de respect à l’entraîneur ou à ses partenaires.
Par CO de la Coupe du Monde de la FIFA 2006