Lorsqu’il débarque à la tête de la sélection nationale du Cameroun fin 2001, Winfried Schäfer remplace Jean Paul Akono, éphémère entraîneur principal des Lions dont le principal tort, au-delà de son déficit criard de communication, est d’avoir hérité d’une équipe qui tournait bien avec le coach d’alors, le français Pierre Lechantre.
L’Allemand à la crinière blonde, dont les états de service alors présentés en font un technicien expérimenté, aura finalement été préféré à la piste française, au moment même où semblait être acquis le retour de l’énigmatique Claude Leroy, resté conseiller du chef de l’Etat en matière de football.
Plus de trois ans après l’arrivée de cet homme qui devait incarner par ailleurs la rigueur et l’efficacité de l’école allemande, et à l’issue d’une élimination précoce et sans gloire en quarts de finale de la 24e coupe d’Afrique des nations dont la finale se déroule samedi prochain à Tunis, il n’est pas trop tôt d’ouvrir le débat sur le bilan de l’action de Winfried Schäfer, qui devrait clarifier sa situation actuelle, ainsi que l’avenir des Lions, appelés dès juin prochain dans d’éprouvantes éliminatoires pour la coupe d’Afrique des nations et la coupe du monde 2006, contre des nations comme l’Egypte, la Côte d’Ivoire ou l’Angola. La grille d’évaluation intègre la personnalité du coach dans sa capacité à gérer un groupe, ses choix tactiques, ses résultats et enfin ses rapports avec la hiérarchie du football camerounais.
Winfried Schäfer: Un avenir en pointillés
– La personnalité
Deux situations récentes traduisent sans doute mieux la manière avec laquelle Winfried Schäfer, présenté comme un allemand qui ne badine pas avec la discipline, la rigueur et le sens de l’honneur, gère le groupe Lions indomptables depuis qu’il a été promu à la tête du staff technique. D’abord, ce qu’il convient d’appeler l’affaire Womè Nlend. Dans les colonnes de Mutations, peu avant le début de l’actuelle Can et alors que les Lions se trouvaient en stage à Malaga en Espagne, l’ancien latéral gauche de la sélection nationale fait des déclarations fracassantes où chacun en prend pour son grade. Womè Nlend, entre autres choses, dit clairement que, à la suite de la coupe du monde ratée des Lions à Japon Corée 2002 et alors qu’il était présenté comme le bouc émissaire, Winfried Schäfer lui a fait savoir qu’il n’avait rien à lui reprocher sur le plan sportif et qu’il était prêt à le sélectionner, mais qu’ il devait d’abord arranger ses problèmes avec le ministre en charge de la Jeunesse et des Sports. Il lui trouvera même un billet d’avion pour Yaoundé. Mais comme on le saura plus tard, le Lion indomptable ne sera jamais reçu par le Minjes, et ne retrouvera pas sa place au sein du groupe Lion, alors même que le coach affirmait compter sur lui.
Ensuite, l’affaire Mboma : alors qu’il rend publique sa première liste des présélectionnés et qu’il y manque le nom de Patrick Mboma, pourtant convaincant lors du match organisé en la mémoire du regretté Marc Vivien Foé, Winfried Schäfer explique qu’il n’est plus question de revenir en arrière. Il trouve même le moyen de faire de l’humour en indiquant que, tant qu’à faire, il ne faudrait plus seulement ramener Mboma, mais aussi… Roger Milla. A peine une semaine plus tard et après de multiples pression, le nom de Mboma se retrouve sur la liste et le sélectionneur, toute honte bue, est le premier à annoncer qu’il donne sa chance au goléador, à la condition qu’il soit physiquement au top. Il n’aura pas besoin de le mettre à l’épreuve puisque dès le lendemain de leur arrivée en Espagne, la liste définitive est connue, avec le nom de Mboma. Lequel Mboma connaîtra les performances que l’on sait pendant cette Can, au grand plaisir de… Schäfer. On pourrait y ajouter le cas Marcus Mokake, tantôt sorti de la liste, tantôt ramené avec un statut hybride, où l’ambiance au sein du groupe pendant ces derniers mois, où le coach n’aura jamais pu instaurer un semblant de sérénité. Le coach des Lions est-il un leader qui peut rassembler, avec une poigne ferme, autour d’un objectif de victoire ? Chacun peut se faire une opinion au regard des cas évoqués plus haut.
– Les choix tactiques
Les propos sont de Iya Mohamed, le président de la Fecafoot, tirant les leçons de l’élimination des Lions dans le très officiel quotidien gouvernemental Cameroon Tribune, dans son édition de mardi dernier: » Sincèrement, le schéma tactique ne convenait pas. Nos joueurs m’ont semblé complètement perdus sur le terrain (…) Dans ces cas là, c’est l’entraîneur qui doit les remettre d’aplomb. Je ne souhaiterais pas tirer des conclusions hâtives (…) Mais on ne peut pas faire comme si rien ne s’était passé… » Bien avant le début de cette Can et surtout pendant la compétition, plusieurs observateurs avertis, notamment des coach nationaux qu’on ne peut pas soupçonner de convoiter le poste, n’ont pas arrêté d’attirer l’attention sur les choix tactiques hasardeux du sélectionneur national. D’abord sur la liste des 22 devant défendre les couleurs des champions d’Afrique en titre; ensuite sur le choix du onze entrant, des remplacements effectués ainsi que des schémas tactiques.
Sur le premier point, on s’étonnera toujours de savoir ce qui a pu justifier l’absence dans la liste finale de Winfried Schäfer, de créateurs comme Joel Epalle, Markus Mokake et surtout Achille Emana, tous réguliers dans leurs formations respectives, et dont le génie et la percussion ont manqué pendant cette Can. Doit-on considérer, comme le suggérait Womè Nlend, que les joueurs ne sont désormais retenus que sur la base de critères extra- sportifs ?
Sur le second point, il suffit de rappeler la polémique qui a suivi le choix du sélectionneur de faire évoluer une défense à trois contre le Zimbabwé, avec les conséquences que l’on sait au plan des buts encaissés. Peu de gens ont compris, par ailleurs, comment toujours au cours de ce match contre les Warriors, Winfried Schäfer pouvait sortir Jean Makoun, pourtant en jambes, pour faire rentrer Mezague, et surtout, comment il pouvait faire sortir Geremi Njitap (qui est certes remplaçable), évoluant comme milieu droit, pour rentrer Ngom Komé, au tempérament plus offensif alors que l’équipe menait déjà par trois buts d’écart.
Pour le reste, il est visible que l’équipe évolue sur le terrain dans une indiscipline caractérisée, que n’ont pas manqué de noter des techniciens comme Jean Youdom, relevant que, lors du quart de finale contre le Nigeria, » chaque défenseur voulait à tout prix aller marquer un but « . Cette insouciance serait la conséquence de ce que les choix tactiques du coach sont contestés à l’intérieur même de l’équipe, et le coach n’a jamais eu d’autorité pour cadrer les joueurs à tempérament. Des cadres comme Marc Vivien Foé n’ont jamais été remplacés (probablement parce que irremplaçable), mais le coach n’a jamais défini de manière claire un système de jeu de remplacement, laissant ainsi un flou dans un milieu de terrain potentiellement énorme (avec Mbami, Djemba Djemba, Makoun Njitap et le polyvalent Atouba). Et de manière générale, si Winfried Schäfer a hérité du système de jeu expérimenté avec bonheur par Pierre Lechantre, avec notamment une circulation du ballon basée sur les couloirs (Womè et Olembé à gauche, Njitap et Etame Lauren à droite), aboutissant à des centres qui faisaient le bonheur de Mboma et Eto’o, il n’a jamais pu trouver de » plan B « , surtout lorsque certains maillons de ce système, pour des raisons diverses, sont sortis du groupe. On a bien vu, au cours de cette Can, que tout le système offensif des Lions était basé sur les centres de Njitap, qui a été bloqué contre l’ Egypte et contre le Nigeria, sans que le coach ne puisse réagir.
– Les relations avec la hiérarchie
On ne le note pas assez, mais Winfried Schäfer n’a pratiquement rien gagné avec les Lions. Cela pourra paraître provocateur pour ceux qui, devant la réalité des chiffres, se souviendront de ce que le coach a la crinière blonde était bien sur le banc camerounais à Bamako lorsque les Lions domptèrent le Sénégal à la finale de la Can 2002. C’est oublier que Lechantre venait d’être débarqué et que c’est son équipe qui a pratiquement été reconduite pour cette Can malienne. La touche Schäfer a commencé à être perceptible pour la préparation de la coupe du monde asiatique, où les Lions ont été éliminés sans gloire dès le premier tour.
Sur une motivation personnelle des joueurs camerounais, la sélection a failli gagner la dernière coupe des confédérations en France, mais la première vraie compétition de Winfried Schäfer, répondant aux ambitions primaires des Lions, était cette Can 2004, où le Cameroun a donc étalé ses limites. On s’étonne donc que, dans ces conditions, les autorités camerounaises se soient empressées de renouveler le contrat du coach allemand au cours d’une assemblée générale tenue en novembre dernier. C’est ce qui amène à se poser la question de savoir quels rapport Winfried Schäfer entretient avec la hiérarchie du sport au Cameroun.
La question est d’autant plus préoccupante que certaines déclarations peuvent dérouter. Ainsi en est-il des premiers mots du ministre de la Jeunesse et des Sports, Pierre Ismaël Bidoung Mpkatt, au lendemain de cette élimination sans gloire, complètement en contradiction avec le constat général et surtout les propos du président de la fecafoot. Le Minjes a en effet souhaiter, avant toute chose, » remercier le staff technique pour le travail bien fait « , selon des propos recueillis par nos confrères de Cameroon Tribune. Y aurait-il des » deals » secrets entre les deux hommes, qui les autorise à gérer le groupe lion comme une épicerie ? C’est ce qui se dit à l’intérieur même du groupe, et qui expliquerait que Roger Milla, l’ambassadeur itinérant, ait voulu faire le ménage et surtout, donner l’information vraie au chef de l’Etat, intéressé en dernière minute par ce dossier Lions. Si cela était avéré, cela signifierait que le Minjes a sa part de responsabilité et qu’il doit aussi en tirer les conséquences.
On s’étonnera par ailleurs des conditions de ce contrat avec l’entraîneur allemand, qui en fait finalement un mercenaire payé à prix d’or pour quelques regroupements saisonniers en Europe et qui, le reste du temps, réside dans son Allemagne natale, ne faisant des tours au pays que pour accompagner les Lions lorsqu’ils viennent dire au revoir à leurs familles, la veille des grandes compétitions. Aucune politique de prospection des talents nationaux, aucune programmation des matches amicaux. Or, dès juin prochain, le Cameroun s’engagera dans une compétition pour la qualification aux prochaines Can et coupe du monde 2006, dans un groupe relevé en compagnie de l’Egypte, de la Côte d’Ivoire et de l’Angola. C’est maintenant qu’il faut préparer ces échéances, en dénonçant le contrat actuel avec le coach allemand, et en cherchant un entraîneur capable de suivre et de sélectionner les bons joueurs, de se débarrasser de tous ceux qui ne répondent plus physiquement, et surtout de ramener de la sérénité dans le groupe. Sinon, maintenant que l’épouvantail a été ébranlé, il faudra définitivement oublier les exploits des Lions. Et toutes les récupérations qui généralement les accompagnent.
Une enquête de Alain B. Batongué