Hôtel Novotel de Dakar le 16 mai 2004, il est 21h 30. Les temps changent, les hommes aussi. Jadis, les jeunes footballeurs en activité suscitaient l’hystérie et étaient la convoitise de tous les médias lors des apparitions publiques. Mais dans nos clubs africains, les données ont légèrement changé; en tout cas du côté de Canon de Yaoundé. C’est en plein déjeuner à leur hôtel que Théophile Abéga, le PDG du Canon qui a ravi la vedette à tous ses joueurs, nous a livré ses confidences. Il nous fait part de ses états d’âme face aux dirigeants de la Fecafoot. Ames sensibles s’abstenir…
Camfoot.com: Théophile Abéga bonsoir
Théophile Abéga: Bonsoir
Camfoot.com: Le public sénégalais qui vous connaît très bien vous a réservé un accueil chaleureux, d’ailleurs vous avez ravi la vedette à tous vos joueurs. Quel effet cela vous procure ?
Théophile Abéga: Disons que c’est très flatteur et ça ne peut que faire plaisir. A chaque fois que je suis venu au Sénégal et surtout à Dakar j’ai toujours été bien accueilli, je me sens très bien en terre sénégalaise. Vous savez les relations amicales et fraternelles entre le Cameroun et le Sénégal durent depuis longtemps. Autant il y a une forte colonie camerounaise à Dakar et je peux vous dire qu ‘il y a deux fois plus de sénégalais au Cameroun. Donc ces liens qui se sont tissés depuis longtemps continuent. Nous autres qui sommes un peu les portes étendards du Cameroun bénéficions de l’accueil chaleureux et de l’admiration des pays hôtes.
Camfoot.com: Votre équipe vient de perdre son 8ème de final aller face à la J A de Dakar. Pas facile de digérer ?
Théophile Abéga: En ce moment c’est la déception car nous étions venus pour faire un bon résultat, malheureusement nous avons perdu 2 buts à zéro et surtout nous n’avons pas produit notre jeu habituel donc nous sommes déçus. Et humblement nous allons rentrer au Cameroun nous préparer et remonter la pente au match retour.
Camfoot.com: Votre équipe était attendue depuis jeudi à Dakar, qu’est-ce qui a expliqué votre arrivée tardive le samedi matin un jour avant le match ?
Théophile Abéga: Disons que nous n’avons pas eu la possibilité de voyager jeudi comme initialement prévu et ce n’est que vendredi soir que nous avons réuni toutes les conditions pour pouvoir quitter le Cameroun et nous sommes arrivés à Dakar samedi à 3 heures du matin. Je pense que cette arrivée tardive a réellement influencé la prestation de nos joueurs. Mais qu’à cela ne tienne, la J.A. a largement mérité sa victoire
Camfoot.com: Le Canon a connu pas mal de problèmes internes ces derniers temps. Est-ce qu’on peut dire aujourd’hui que tout est rentré dans l’ordre ?
Théophile Abéga: Il s’agissait des problèmes superficiels, des problèmes créés par la Fecafoot pour des desseins inavoués. Pour ce qui nous concerne, nous les dirigeants authentiques du Canon, il n’y a pas de problèmes, nous continuons à gérer notre équipe comme nous l’avons toujours fait avec le soutien de la grande la majorité des supporters du Canon et des hautes personnalités qui constituent le comité des sages du Canon. Donc nous avons la légitimité pour diriger cette équipe. Ces problèmes superficiels créés par la Fecafoot, n’ont pour but que de freiner et retarder l’avancée du Canon sur l’échiquier africain, car depuis 8 ans que nous sommes aux affaires, nous avons été 4 fois en compétition africaine. Vous convenez avec moi que cela fait des lustres que le Canon ne s’était plus fréquemment présenter à pareille fête. Nous continuerons dans notre lancée afin de redonner au Canon ses lettres de noblesse.
Camfoot.com: Le football camerounais souffre actuellement d’un manque crucial de sponsor. Dans les années 85-90 le canon était par exemple soutenu et sponsorisé par la société Dragage, qu’est-ce qui explique aujourd’hui que les sociétés de sponsoring se soient éloignées des clubs camerounais ?
Théophile Abéga: Disons que c’est plutôt l’inverse, beaucoup d’entreprises s’intéressent au football camerounais, mais c’est la Fecafoot qui s’accapare de ces sociétés et bénéficient des retombés positives qu’elles peuvent apporter aux clubs. Donc les clubs sont lésés à mauvaise enseigne et c’est ce qui explique aujourd’hui que les clubs camerounais ne mènent pas large, à part Coton Sport et deux ou trois autres clubs. La Fecafoot rafle tout le pactole pour ses besoins de fonctionnement. Prenez par exemple MTN, PMUC, les Brasseries du Cameroun, Orange pour ne citer que ceux là qui s’intéressent de près au football camerounais et qui dépensent des sommes énormes pour le développement de notre football. Mais, malheureusement ces retombés ne sont vraisemblablement et équitablement pas bien réparties pour le développement du football camerounais.
Camfoot.com: Vous avez été un joueur emblématique du KPA KUM et Capitaine des Lions Indomptables. Vous aviez reçu le ballon d’or africain 1984 avec un statut d’amateur. Aujourd’hui cette distinction est presque impossible pour un joueur évoluant en Afrique. Ne pensez-vous pas que les excès de millions que les clubs européens donnent à nos jeunes ont tué les clubs et le football africain ?
Théophile Abéga: Disons que la nature a horreur du vide, la crise économique aidant, la plupart des jeunes footballeurs africains ne rêvent plus que d’aller gagner leur vie en Europe, ce qui est tout à fait normal. Car, une fois là bas toutes les conditions de travail sont réunies, les salaires sont élevés ce qui permet à ces jeunes d’entretenir leurs familles. Donc c’est un système évolutif qui est tout à fait normal et logique. Il n’y a pas à avoir honte d’avouer que ces gosses vont chercher leur pain quotidien car en Afrique toutes ces conditions ne sont pas réunies.
Camfoot.com: Depuis le départ de Marcus Mokaké pour Sedan, on a comme l’impression que le Canon n’a plus de buteur maison. Vous avez apparamment du mal à lui trouver un remplaçant.
Théophile Abéga: Marcus n’était pas un buteur maison au sens propre du terme, c’est un bon footballeur, un meneur de jeu qui de temps en temps scorait et nous sortait parfois des situations compromises. Mais c’est un joueur exceptionnel et les joueurs comme lui on ne le les remplace pas facilement.
Camfoot.com:A certains moments ne regrettez-vous pas vos 20 ans puisque quelqu’un comme vous qui avez été un footballeur doué, plein de techniques, devrez difficilement supporter les prestations miteuses de ses joueurs du haut de la tribune. Il semble y avoir une très grande nuance entre les qualités techniques de votre génération de joueurs et celle d’aujourd’hui…
Théophile Abéga: C’est à vous de juger. Moi je m’adapte à mon époque, aujourd’hui je suis chargé d’encadrer des jeunes qui apprennent leur métier ayant leurs qualités et leurs défauts, donc il ne m’appartient pas d’insister sur leurs insuffisances techniques ou tactiques, cela risquerait de les décourager. Ce qui est sûr est qu’on rencontre de moins en moins d’artistes du ballon rond aujourd’hui. C’est une question de génération et surtout d’objectifs car nous nous à notre époque, on jouait pour le plaisir et pour le jeu. Par contre aujourd’hui, ils jouent pour l’enjeu donc c’est tout à fait normal qu’ils soient plus calculateurs et qu’ils privilégient l’efficacité au spectacle.
Camfoot.com: On attend souvent dire que l’irresponsabilité de certains dirigeants du Cameroun se vérifie au sein des Lions Indomptables et qu’avec le retour de Wome, Lauren et autres écartés injuste, les Lions devraient retrouver au plus vite une stabilité…
Théophile Abéga: Nous espérons tous que notre équipe nationale puisse répartir, mais je crains que beaucoup de mal a été fait et que des lézardes se soient creusées au sein de cette équipe de telle manière qu’aujourd’hui l’harmonie puisse être un vain mot, donc les Lions ont besoin d’une thérapeutique spéciale. L’environnement des Lions Indomptables doit être professionnel car il n’y a que des professionnels qui puissent gérer des professionnels. Or ce sont des amateurs qui géraient ces professionnels et cela écoeurait et dégoûtait certains d’où les problèmes que notre équipe a connu.
Mais je crois qu’aujourd’hui tout le monde a pris conscience qu’il faut une autre approche dans la gestion de notre équipe nationale et que les membres de la Fecafoot qui ont montré leurs limites devraient démissionner car si nous étions dans un autre pays cela allait se passer ainsi.
Propos receuillis par Louis ABONDO à Dakar