Footing, rencontres de football amicales et exercice pratique pour les candidats au permis de conduire. L’esplanade du stade omnisports de Yaoundé, ce mercredi 12 mai 2004, connaît une ambiance des jours ordinaires. Pas d’affluence particulière. La foule bruyante qui converge en ces lieux lors des grands rendez-vous des Lions indomptables, n’est qu’un souvenir. Les adeptes de la pratique quotidienne du sport et les chauffeurs aspirants assis derrière les volants des véhicules d’auto-écoles sont les seuls occupants de ce lieu mythique du football au Cameroun.
Dans l’enceinte même du stade omnisports, pas une âme qui vive. La pelouse clairsemée, terrain ordinaire des exploits des footballeurs du championnat national de première division, est désespérément vide. Le calme de la cuvette de Mfandéna a quelque chose de pesant. Dans les gradins, seules les bouteilles vides d’une marque de boisson minérale bien connue font quelque bruit, agitées par le vent qui souffle ici fortement.
Stoppés un instant dans leur élan d’activités physiques, certains Camerounais consentent à donner leur sentiment, deux heures seulement après le verdict de la commission d’appel de la Fédération internationale de football association (Fifa) soustrayant six points à la sélection nationale de football du Cameroun lors des prochaines éliminatoires couplées de la coupe du monde et de la coupe d’Afrique des nations 2006. Transpirant à grosses gouttes, Serge Mballa feint un moment l’indifférence, avant de laisser exploser sa colère : « J’avoue que cette décision de l’instance suprême du football mondial vient à point nommé. Il était temps que les autorités chargées de gérer le sport dans ce pays reçoivent un coup de massue, seul capable, je l’espère, de faire prendre conscience aux uns et autres des problèmes graves qui minent le sport roi dans ce pays. Pour moi, la décision de la Fifa est l’onde de choc qui devrait sortir les pouvoirs publics de leur léthargie habituelle. » Si l’esplanade du stade omnisports n’est pas encore imprégnée de la nouvelle, dans les bistrots aux alentours, le verdict de la Fifa est le seul et unique sujet de conversation. Les sentiments sont partagés.
Pour les uns, l’espoir d’une qualification en coupe du monde et en coupe d’Afrique des nations reste intact. « Les lions indomptables aiment bien les situations de désespoir comme celle ci. Je ne doute pas un seul instant que la bande à Eto’o relèvera ce défi « , affirme, enthousiaste, Richard Talla, assis derrière une bouteille de bière. Pour les autres, il ne faut pas rêver : la messe est dite pour les Lions. Le responsable de ce « cauchemar » est clairement identifié : « La Fifa a certainement un compte à régler avec le Cameroun. Affirme, courroucé, un responsable du Canon de Yaoundé. C’est la seule explication qu’on puisse donner à la sévérité de cette sanction qui est manifestement disproportionnée par rapport à la faute commise. »
Indifférente à cette ambiance, la pénombre, petit à petit, envahit la cuvette de Mfandéna. Il est 18 heures. Les sportifs se retirent peu à peu des lieux. Les disciples de Bacchus, eux, s’emparent des nombreux bistrots autour du stade. On devine bien que les sujets de discussion ne manqueront pas cette nuit.
Réactions
– Gérard Ndifo, commerçant:
Je suis surpris et déçu par cette décision. Je croyais qu’avec la descente de nos experts à Zurich, le Cameroun allait avoir gain de cause. C’est vrai que la décision est prise, mais je me demande si la Fifa ne peut pas revoir sa position une deuxième fois. Une coupe du monde sans les Lions Indomptables, ça fait très mal, parce que si c’était au moins trois points, l’on comprendrait, mais six, c’est trop. Je me demande si le président de la République ne peut pas nous venir en aide. Je crois que cette situation inconfortable est le fruit de l’ancien ministre de la Jeunesse et des Sports. Certains dirigeants sportifs pensent toujours à leur poche avant de penser au bien être des camerounais.
– Jean Claude Téga, homme d’affaires:
Je suis désolé par rapport à cette situation. Je me demande si la communauté internationale peut prêter main-forte au Cameroun pour défendre ces six points. Je crois que les Camerounais seuls ne peuvent pas plaider leur cause, parce qu’il faut que la coupe du monde ait un niveau normal en ce qui concerne les équipes africaines. Une coupe du monde sans nous, c’est incompréhensible parce que quoiqu’on dise nous restons les meilleurs en Afrique. Je me dis quand même que tout n’est pas encore perdu et que tout est possible, il suffit d’une bonne volonté. Je crois aussi que c’est une leçon qu’on nous donne et c’est à nous de comprendre que seul l’intérêt de la Nation doit compter.
– Angèle Nfet, ménagère:
Je me dis que cette décision a été maintenue parce qu’il s’agit du Cameroun, que certains considèrent comme l’ennemi à abattre. Le monde entier sait de quoi nous sommes capables en football. A mon avis, je crois qu’il faut tout simplement accepter cette décision, même si cela me choque de savoir que notre équipe ne fera pas partie de l’expédition de la coupe du monde prochaine. En un mot, nous avons très peu de chance.
– Nvoundi, caporal:
Je crois que c’est la consécration des difficultés que connaît notre football. Je continue de prier les grands dirigeants de la Fifa de fermer l’œil sur cette décision. Je souhaite qu’un résultat favorable soit apporté à notre équipe. Je sais qu’ils sont les seuls maîtres de la chose. Sinon, je crois que je prends sportivement cette fameuse décision et je la digère. Il faut aussi comprendre qu’il y a des moments comme celui-là dans la vie. Malgré le fait que je ne sois pas content, je n’y peux rien.
– Céli Kenzy, secrétaire de direction:
C’est décevant lorsqu’on sait ce que représente le football pour les Camerounais. C’est une décision qui nous assomme, mais que pouvons nous faire ? Je pense qu’il ne nous reste plus qu’à attendre les prochaines échéances, à moins que la Fifa ne nous pardonne pour une deuxième fois. Une coupe du monde sans les Lions Indomptables c’est insensé. En tout cas, nous ne sommes pas sûrs de ce que nous réserve l’avenir.
– Hamidou Koupit, chauffeur de taxi:
Je suis désolé parce qu’avec moins six points, nous ne pouvons pas aller plus loin. Je crois que c’est très grave et je ne sais pas comment nous allons nous en sortir. Je me demande pourquoi le ministre Bidoung n’avait pas obéi à la décision de la Fifa concernant les maillots. Il comptait sur quoi ? Je pense qu’il y a des choses avec lesquelles il ne faut pas blaguer. Je crois qu’il faut encore bien négocier avec la Fifa et sanctionner sévèrement les dirigeants qui ont été à l’origine de cette bévue. Il est temps que les gens assument leurs responsabilités. J’ai constaté qu’au Cameroun, l’on prend toujours à la légère certaines situations capitales. Nous nous retrouvons maintenant dos au mur.
– Alain Noumsi, technicien:
Cette décision m’énerve et je n’arrive pas à comprendre comment des vieilles personnes peuvent être inconscientes à ce point. Il sera très difficile de nous en sortir pendant les différentes compétitions que sont la coupe du monde et la Can. Il faudra que les gars se battent à fond pour sortir la tête de l’eau. Je crois que c’est Bidoung Mkpatt qui nous a mis dans des problèmes, parce que nous n’avons jamais connu autant de problèmes. On a quand même connu des personnes qui ont bien dirigé ce département ministériel. Avec l’argent de Puma, il est à l’aise dans son coin et c’est les Camerounais qui souffrent. Je crois qu’il mérite une bonne correction.
– Dieudonné Etsiké, enseignant:
Je crois qu’il fallait s’attendre à cette décision. Au Cameroun, l’on croit que tout est permis et que tout peut se résoudre à la dernière minute. Les dirigeants n’ont pas battu le fer quand il était encore chaud. Je ne suis pas content et je crois que si nous pouvons encore faire quelque chose, il est temps d’y penser. Je crois que le ministre Bidoung est satisfait de son travail là où il se trouve.
Propos recueillis par Sorèle Guebed
Claude Tadjon, Mutataions