Ferraille, herbes fraîches et sauvages, feuilles de patates, maïs, haricots, ossements, cadavres et excréments d’humains et d’animaux, le stade omnisports de Bafoussam est aujourd’hui copieusement bien garni. Plus de vingt-cinq ans que sa construction dure et coince, il ne manque pas de quoi pour ressembler à tout ce qui est n’importe quoi d’égueulasse et de dégueulasse. Comme stade de football, il devait, en principe, être réceptionné depuis…1988. Mais, entre les quartiers Banengo et Toket dans l’arrondissement de Bamougoum où il est implanté, tout a été arrêté bien auparavant.
Dans les environs et dans toute la province de l’Ouest, l’on ne croit plus qu’à l’effet miracle, que les travaux de construction et d’achèvement de ce joyau architectural reprennent et soient parachevés un beau jour. Encore et toujours, le plus vieux chantier de l’Afrique centrale nourrit de grandes ambitions de maintenir ce hit-parade…
C’est en tout début d’années 70 que le projet de construction de ce stade a été pensé. L’ambition était d’équiper le nord et le sud du Cameroun d’infrastructures sportives modernes et olympiques. Ceci, dans l’optique de la phase finale de la coupe d’Afrique des nations que notre pays a abritée en 1972. Mais, curieusement, c’est après ce grand évènement footballistique que les études de faisabilité de ces ouvrages ont été menées. Les appels d’offres lancés, la réalisation effective de ces marchés est entamée en 1976.
Tout comme le stade omnisports de Garoua, le plan du stade omnisports de Bafoussam est bien costaud, résolument poussé vers la modernisation. Des bouches officielles restent cousues à l’actuelle délégation provinciale de la défunte Jeunesse et des sports sise sur la route Bafoussam- Bamenda, non loin du Carrefour auberge, sur ce qui est des tenants et des aboutissants de ce projet. « Vraiment, allez voir ça à Yaoundé ; tout le dossier est là-bas », se rétractent des voies autorisées.
Gros projet
Dans le même projet, était incluse la construction d’un nouveau bâtiment devant abriter les services de la délégation provinciale de l’ex Jeunesse et des sports. Le joyau en lui-même était lancé pour accueillir 35 000 personnes. Mais, ce nombre de places peut s’étendre jusqu’à 50 000 puisque, indique-t-on, une distance d’un mètre devrait séparer un spectateur d’un autre. Une tribune présidentielle et son pendant de salon fastueux font partie du projet. L’électrification de toutes les tribunes et les gradins est prévue grâce à quatre antennes d’éclairage à monter. Des sanitaires modernes sont également envisagés partout, pour grand public et dans les vestiaires réservés.
Également, le projet met en ligne une descente marathon. Une piste d’athlétisme moderne, habillée d’une couche condensée de macadam difficilement dégradable. Une piste donc de sept couloirs approuvée pour tous genres de compétitions internationales. Quatre tribunes de presse et une grande cabine régie, ainsi que des logements pour outils techniques de renfort et autres équipements sportifs sont en sus pris en compte.
A en croire des personnes apparemment bien informées, l’œuvre en elle-même devait mobiliser plusieurs milliards de nos francs. L’on parle d’un financement de Cfa 7 milliards 500 millions dont 3 milliards devaient servir à pourvoir la grande architecture en attirails techniques de pointe requis, pour une réception officielle 12 ans après.
Si la construction du stade omnisports de Garoua n’a pas connu de difficultés énormes dans sa mise en route, celle du stade omnisports de Bafoussam, par contre, est, très rapidement, tombée sous le coup d’une grave crise de survie. Un an après seulement les premiers coups de terrassement de Nangah et Compagnie, l’entreprise adjudicataire du marché, les travaux sont suspendus. L’on tente d’expliquer que l’entreprise suscitée est, seconde curiosité, tombée en faillite. Mais alors, elle avait déjà construit les gradins de 25 000 places et l’aire de jeu.
Conséquence immédiate : le chantier est abandonné. Il est ainsi gardé par les éléments des forces de maintien de l’ordre, question d’éviter toute attaque quelconque des riverains. Près de dix ans après, les travaux sont relancés, cette fois-ci par l’entreprise Sobea, qui serait tenue par des Français. Les choses se passent plutôt bien, à faire rêver même plus d’un. Mais, près d’un an après, l’ouvrage tourne au ralenti et, s’estompe. Le gouvernement ne donne aucune véritable explication officielle. Le gardiennage du lieu par les flics armés s’en suit, et prend fin en 1990. Laissant libre cours à quidam d’y faire n’importe quoi.
Pétaudière de gain surexploitée
Abandonné, ce qui était programmé comme le futur stade omnisports de Bafoussam l’est. Son « ouverture officielle » s’est faite en 1992. Cette année-là, l’entraîneur Edouard Djonkam, alors chef service sport et éducation physique prît, à son corps défendant et astucieusement, le risque d’y programmer les finales provinciales d’athlétisme des jeux de la Fédération nationale du sport scolaire, ex Ossuc. Contre le gré de certaines personnalités sportives de la province, il y organisa des sessions de « 2-0 », comme on l’appelle ici. « C’est ainsi que je faisais venir des gars avec des machettes du quartier pour, explique-t-il, défricher d’abord ». Puisque, les hautes herbes sauvages et des sissonghos avaient envahi l’infrastructure.
À ce jour, ce lugubre décor n’a pas changé. Certains fonctionnaires de la délégation de la défunte Jeunesse et des sports se comporteraient comme des véritables propriétaires de ce chantier. « A quelque chose malheur est bon », dit le proverbe. C’est ainsi que ces véreux fonctionnaires donneraient des autorisations fictives à coup d’espèces sonnantes à des associations, à des équipes de D2 et autres qui y font, régulièrement, leurs séances de gala ou d’entraînement.
Pour leur calme observable, c’est sur ces injurieuses installations que Piment de Bayangam, Fovu club de Baham et autres ont préparé leur participation à des compétitions nationales en 1993. Le centre de suivi des Brasseries du Cameroun qui s’est affilié en championnat provincial et dirigé aujourd’hui par l’entraîneur provincial Nana Saleng s’y est installé depuis 1996, abandonnant le stade municipal. Les meetings nationaux d’athlétisme y sont aussi régulièrement organisés.
Malheureusement, l’entretien de ce stade omnisports de Bafoussam d’hier a été renvoyé aux calendes grecques. La meilleure piste d’athlétisme du Cameroun est tourmentée par plusieurs adversités. L’aire de jeu est bossue par endroits, partagée entre des allures de gazon à l’avenant de certains points de corners. Les herbes fraîches et hautes ont pris la place des spectateurs dans les gradins. Les sautoirs et autres points de lancers sont détériorés en continu. Ferraille, herbes fraîches et sauvages, feuilles de patates, maïs, haricots, ossements, cadavres et excréments d’humains et d’animaux, le stade omnisports de Bafoussam est, aujourd’hui, copieusement bien garni.
Le stade omnisports de Bafoussam est devenu une caserne où des malades mentaux se réfugient, un véritable Texas où les bandits de grand chemin se partagent le butin de guerre, où les vestiaires sont viscéralement transformés en mansardes pour des « matchs » forcés et expéditifs, où les ordures du coin y sont régulièrement déversées, où les populations riveraines n’en n’ont pas cure pour cultiver la terre fertile, etc. Leur raison : elles ne croient plus à ce que ce stade soit un jour terminé, non plus à la promesse électoraliste jamais réalisée des escrocs hommes politiques, à achever sa construction.
Démagogie d’hommes politiques
Pendant 22 ans de pouvoir, notre cher président de la République, Paul Biya n’a pas songé achever ce chantier, que son prédécesseur avait eu, disons-le, le patriotisme de lancer. A une certaine époque, l’opinion publique entérinait la rumeur que le milliardaire maire de Bandjoun dans le département du Koung-Khi, Fotso Victor avait pris la résolution de relancer et achever, à ses frais, ce chantier abandonné. Il se disait également qu’il n’avait pu accorder les violons avec l’État sur les clauses de la relève.
Ces dernières années, certains des frotte-manches du président du Rdpc, le parti au pouvoir, l’utilisent, à chaque approche de scrutin électoral, pour battre campagne. Et, dans ce registre, un certain Samuel Wembé, devenu aussi « honorable » par le dynamisme de ce qu’une certaine presse a appelé ses « menteries », a excellé en la matière.
Ainsi, pendant la campagne pour les élections couplées municipales et législatives de juin 2002, Samuel Wembé avait conditionné les suffrages des électeurs par la finition des travaux de ce stade. Chance pour lui, il avait été élu comme député de la Mifi. Près d’un an après son élection, le PCA du Tpo est revenu à la charge, rayonnant de son écharpe tricolore, persistant et signant qu’il a bien le dossier en main. Il brandissait alors des lettres que le Premier ministère aurait adressées au Pdg de Africa shipping and stevedoring agency (Assa Cameroun) qu’il est, pour signifier « son accord de principe ». Il évoquait quelques lenteurs administratives. Depuis lors, plus rien. Même des ingénieurs européens qu’il disait avoir guidés sur le site.
Pour dire vrai, sur ce plan, Samuel Wembé n’est pas le seul. Avant lui, l’ex ministre de la Jeunesse et des sports, Théodore Lando l’avait utilisé pour des mêmes buts, en faveur du candidat Paul Biya du Rdpc lors de la campagne pour l’élection présidentielle de 1992. Même des opposants ont été au rendez-vous du mensonge politique. C’est le cas du professeur Tekam Jean Michel du Pds (parti démocrate socialiste) qui, à l’occasion des élections municipales de 1996, disaient qu’il avait des amis en Europe qui pouvaient réaliser l’ouvrage. Il n’avait pas été élu.
Voilà donc comment les hommes politiques ont passé (passent) leur temps à émietter l’espoir de toute une ville qui ne rêve, nuit et jour, que de voir relancée et terminée la construction de son bijoux dessiné de stade omnisports. L’année dernière, l’on a également cité le nom de l’international camerounais, Gérémi Njitap comme l’un des fils de la région, qui voudrait relancer et parachever le chantier. Ceux des autres fils de la région qui sont passés au ministère de tutelle n’ont pas fait bouger les choses. Allusion faite, en plus de Théodore Lando cité plus haut, à Ibrahim Mbombo Njoya, actuel sultan des Bamoun et le « petit » Joseph Fofé. Même le fils adoptif de l’Ouest, Etamè Massoma n’aurait pas, pendant ses quelques semaines passées à la tête du ministère de tutelle, eu suffisamment de temps de se pencher, ne serait-ce que d’esprit, sur ce costaud dossier.
Depuis 1990 à une certaine date, des réunions ont eu lieu entre les autorités administratives, communales, et les entreprises adjudicataires du marché, les hommes et femmes élites de la province. Mais, toujours pas de suite favorable. Même le chantier de construction de la nouvelle délégation de l’ex Jeunesse et des sports, faisant partie du projet, est resté sous cale.
Sur ce gros dossier, personne ne veut dire mot, même dans l’anonymat, dans des services pour le moins aptes à donner relative idée sur les vraies raisons de l’arrêt des travaux, alors que ceux du stade omnisports de Garoua ont été terminés, presque. Sous les chaumières, il se dit que plusieurs autorités seraient trempées dans le dossier. Ce qui fait que, ici et ailleurs, l’on se convainc que tout dépendrait seulement de l’État, mais surtout de Paul Biya, le chef de l’État qui détient la clé des « grandes ambitions » du pays de Roger Milla…
Kisito NGALAMOU à Bafoussam, ngalamou@camfoot.com