17 mai 2006. Au lieu dit ‘’parlement 9 ‘’, à New Bell, le quartier d’enfance de Samuel Eto’o à Douala, le visiteur a l’impression de se retrouver dans les gradins du Stade de France. Debout sous des bâches géantes installées pour la circonstance, une centaine de supporters de l’attaquant camerounais du Fc Barcelone, les bras en l’air en forme de V, dansent sous un air de musique locale interprétée par un orchestre de la place. D’autres fans brandissent des cassiers de bières vides.
Pendant 90 minutes, le Cameroun entier et le ‘’Parlement 9 » en particulier a supporté leur enfant chéri jusqu’à la victoire. Jeunes, moins jeunes, enfants, hommes, femmes et même des handicapés, exultent après le coup de sifflet final de l’édition 2006 de la finale de la champions league européenne. « Le Cameroun vient de remporter sa coupe du monde ! » lance un fan.
La bière d’Eto’o
Un autre ‘’fou d’Eto’o » brandit une bouteille qui jaillit comme du champagne : « je bois la même bière qu’Eto’o ». Les baffles (hauts parleurs) géants distillent des sonorités locales à casser les tympans d’un sourd. La bière coule à flot. Les fêtards se marchent sur les pieds. Au rythme des musiques ‘’in » du pays. Une entreprise brassicole de la place, parrain de l’événement, lance des jeux-concours pour récompenser ses consommateurs. « 4 bouteilles de bière à 1000 frs pendant trois minutes [un temps finalement élastique qui a permis à presque tout le monde se ravitailler, Ndlr] » hurle M. Njapoum, directeur régional Littoral des ventes d’une société brassicole. Un tarif promotionnel (en temps normal, deux bières coûtent 1000 frs dans ces lieux) qui a créé un embouteillage devant le guichet du ‘’Parlement 9 ». Pourquoi avoir choisi cet endroit pour animer cette finale ? M. Njapoum, répond : « il fallait rentrer aux sources. C’est ici que Samuel Eto’o a commencé à taper dans le ballon ».
Avant le début de cette rencontre au sommet, le ‘’Parlement 9 », minuscule bar pittoresque de New Bell, a installé des chaises et des tables sous des tentes qui obstruent complètement l’artère de ce quartier populeux de Douala. Derrière un camion de l’entreprise brassicole, un écran géant diffuse déjà les images des joueurs qui entrent sur l’aire de jeu du Stade France. Les pronostics vont bon train. 2-0, 3-0, 3-1, chacun croit avoir déjà vu le match dans une calebasse divinatoire. Dès le coup d’envoi, chaque touche du ballon du ‘’Pichichi » (c’est ainsi qu’on appelle Eto’o ici) est applaudie.
Les ‘’Parlementaires » perdent la voix
C’est à la 19è minute que tous les ‘’parlementaires » entrent en transe. Samuel Eto’o se retrouve nez à nez avec le gardien Lehmann, d’Arsenal, qui n’a pas d’autre choix que de faucher le goleador du Fc Barcelone. Carton rouge. Expulsion du dernier rempart des Gunners qui entraînent dans sa chute, Robert Pires. « C’est le Pichichi qui est dans ses oeuvres!!! » éructe un fan. Tout le monde est debout, les deux mains sur la tête. Le coup franc direct sifflé et tiré à la lisière de la surface de réparation est raté par Ronaldinho. « L’arbitre aurait mieux fait de siffler un penalty que de donner un carton rouge qui ne nous sert à rien », regrette Dickson, un vendeur à la sauvette.
L’hystérie générale s’estompe à la 36′. Malgré la domination numérique du Barça, Thierry Henri, tirant un coup franc excentré à l’entrée de la surface de réparation de Puyol, place un caviar sur la tête de S. Campbell. Ce dernier d’une tête rageuse propulse le cuir au fond des filets des barcelonais. 1-0 pour Arsenal. Silence de cimetière au ‘’Parlement 9 ». Comme par réflexe, quelques ‘’Gunners » saluent l’exploit des Anglais. Jusqu’à la mi-temps, on n’entend plus que le commentaire télévisé des journalistes qui reportent le match. Charles Seppé, ami d’enfance d’Eto’o et président du ‘’Parlement 9 », toujours optimiste, souffle à l’oreille du reporter : « on va gagner ce match 3-1 ! »
Eto’o, le libérateur
À la mi-temps, l’entreprise brassicole profite pour continuer le jeu tombola qui consiste à donner le pronostic de la rencontre. Les tables sont noires de bières. À la reprise, Thierry Henry fait des incursions dangereuses dans le camp des Catalans. Le ‘’Parlement 9 » est muet. La délivrance intervient à la 76è minute. L’inévitable Samuel Eto’o Fils, orchestre une action rapide et se retrouve au finish; bien lancé par le suédois Larsson, entré encours du jeu, il se retrouve excentré à gauche de la surface de réparation des Anglais. Comme un éclair et sans trembler, Eto’o inscrit le but égalisateur dans un angle fermé, ‘’dans un trou de souris », précise un fan. C’est l’hystérie ! Les ‘’parlementaires » reprennent vie. Les bières sont brandies et jaillissent dans l’air comme du champagne.
Du coup, l’on se souvient de cette phrase d’Eto’o : « lorsque je marque un but en Europe, j’ai envie de courir jusqu’au Cameroun embrassé tout le monde ». Le second but inscrit par Belleti, cinq minutes plus tard, confirme que la « coupe aux grandes oreilles rentrera ici au pays », lâche, Bertrand Belog, les yeux chargés de bonheur. Le ‘’disc jockey » de circonstance entonne la Ola qui est reprise en chœur par les ‘’Parlementaires ». La fête qui va suivre ne s’estompera qu’au bout du petit matin.
Dans d’autres points chauds de la ville de Douala, l’ambiance est électrique. Au rond-point du carrefour Nkongmodo, habillé aux couleurs de Samuel, un groupe de jeunes, comme piqué par le virus ‘’etomania », hurlent à tue-tête, le nom du Pichichi, pour manifester leur joie. Au quartier Akwa, le très branché, les discothèques sont pleines à craquer. Dans les ruelles et les ‘’Circuits » de ce quartier, centre commercial de Douala, quelques filles de joie, tapies dans l’ombre, sont en poste, prêtes à ‘’renforcer » la joie de ces fêtards.
Douala prépare le retour de ‘‘son » champion
Au rond-point de la station d’essence Mobil Bonakouamouang, on a une manière particulière de manifester cette joie contagieuse. Devant une cinquantaine de spectateurs, quelques bendskinneurs (conducteurs de moto-taxi), juchés sur leur engin, font une démonstration de la maîtrise de leur moto. Pirouette, debout en équilibre sur le bicycle en pleine vitesse, toupie autour du rond, etc sont exécutés avec dextérité. Bref, ces cascadeurs n’avaient rien à envier aux amateurs du Paris-Dakar.
Entre temps, les proches Samuel Eto’o préparent déjà le retour au bercail du tout nouveau champion d’Europe : « Samuel va présenter toutes ses distinctions dans deux soirées de gala, une à Yaoundé, une à Douala. Idem pour les conférences de presse qui seront organisées dans ces deux villes. Le Pichichi arrive au Cameroun en principe après le 29 mai, on confirmera les dates à son arrivée », révèle Jolly Njock, un ‘’grand frère » qui gère certaines affaires d’Eto’o dans la capitale économique du Cameroun.
Eric Roland KONGOU, à Douala
REACTIONS DES ‘’PARLEMENTAIRES »
Patrick Thierry Dior alias Daguy Bakary, commerçant au quartier omnisport
« Au moment où Eto’o égalisait le but, ma femme a accouché d’une fille qui est morte aussitôt. C’est à la fin du match qu’on m’a annoncé la mauvaise nouvelle. Je l’ai aussitôt enterré au cimetière de Deido cette nuit même. Maintenant, je suis ressorti pour fêter la victoire de Samuel Eto’o avec mes amis, car c’est Dieu qui donne l’enfant et c’est Dieu qui reprend. »
David Enyegue Nzima, directeur de publication du journal ‘’Eto’o goal »
« Je ressens un sentiment de joie, car c’est la victoire de Sammy sur plusieurs adversaires, sur le terrain et dans les gradins. En début de saison, Sammy a promis marqué 50 buts toutes compétitions confondues. Les gens ont dit qu’il était prétentieux. En 18 matches, le garçon a marqué 18 fois. À ce moment là, les pessimistes ont commencé à dire, c’est possible. Aujourd’hui, il triomphe des racistes. C’est la meilleure récompense de la carrière d’Eto’o. »
Charles Seppé, ami d’enfance et président du ‘’Parlement 9 »
« Je soutiens Sammy, en dehors du football. Tout le monde est conscient que Eto’o a joué presque tout seul les demi-finales aller et retour de la champions league. Au match retour au Camp Nou, il a joué comme attaquant, milieu de terrain et défenseur. Aujourd’hui, il marque le but qui a libéré tout le monde. Il a montré à tout le monde entier qu’il est le meilleur joueur de la planète. Nous sommes fiers de notre porte-étendard ».
Propos recueillis par E.R.K.