La petite église St-Cyprien, nichée dans les contrebas de Sidi Bou Said depuis 1883, est un des trois lieux du culte catholique de Tunis. Elle attire des fidèles très people et une forte communauté de fonctionnaires internationaux des beaux quartiers de la Marsa, des Berges du Lac, de Gammarth et de Carthage. Roger Lemerre, ancien sélectionneur de l’équipe de France et sélectionneur de l’équipe de Tunisie depuis plus de cinq ans déjà, manque rarement le service de 10 heures les dimanches.
L’occasion était bonne dimanche 13 mai, le dimanche des premières communions et des baptêmes, au cours du déjeuner sur l’herbe devant le vieux presbytère, de parler avec le coach, histoire de contribuer à étouffer quelque peu le boutefeu footballistique qu’alimente la question du recrutement, chez nous, d’un entraîneur pour les Lions Indomptables.
Nous avons parlé de Zacharie Noah (le père de l’autre), son grand ami, de Roger Milla bien sûr, du vieil entraîneur Colonna, des footballeurs africains et, bien entendu, de son statut à Tunis. Pourquoi, ai-je demandé, vivre en permanence à Tunis, alors que le pays natal se trouve à une heure de vol de Carthage ? La résidence de l’entraîneur et, accessoirement, la nationalité de celui-ci, représentent-elles des facteurs déterminants du succès de la mission d’encadrement?
Nous avons bien entendu, par pudeur, glissé rapidement sur la question de la nationalité du sélectionneur pour les équipes nationales d’Afrique noire. Je n’ai pas insisté, parce que je pense que la question de la résidence est beaucoup plus importante dans la mesure où, si elle est réglée de façon claire, la question de la nationalité perd de son mordant même chez nous, râleurs atrabilaires patentés.
La résidence d’un entraîneur dans le pays employeur est déterminée par trois facteurs, dont deux sont objectifs. En premier lieu, il est capital de distinguer, dès le départ, les fonctions de DTN de celles de sélectionneur. Le flou qui existe dans l’esprit des Camerounais à cet égard, même lorsque le poste de DTN était effectivement occupé par un technicien connu, procède sans doute de l’imprécision du cahier de charges : on demande aux entraîneurs de nos équipes nationales d’assumer certaines fonctions d’animation. Roger Lemerre est le sélectionneur de la Tunisie. Point. Il n’est chargé d’aucune autre fonction touchant à la formation, au développement ou à l’animation. Cela est conforme aux pratiques que nous observons chez les grandes fédérations de football modernes.
L’autre facteur objectif est le lieu où se trouve le bassin de joueurs qui alimentent l’équipe nationale. Depuis les années 1990, l’ouverture du marché du football aidant, les championnats nationaux, même les mieux structurés, ont cessé d’être le vivier exclusif des équipes nationales. Chez nous, avec un championnat national sinistré depuis de longues années et des infrastructures à peine tolérables, Njanka Beaka a été, en 1998, le dernier joueur d’une certaine valeur à avoir sauté directement du championnat à l’équipe nationale. Les chances qu’un tel heureux accident se reproduise ne sont pas bonnes. Au Cameroun, l’avenir du football, du moins en ce qui concerne les footballeurs, se trouve en Europe, au Paraguay, en Asie-Mineure, etc.
Il y a enfin, souligne le coach, la nécessité pour un sélectionneur expatrié de s’imprégner de la culture nationale. L’importance qu’il y a à percer la mentalité du pays employeur, à vivre sa réalité sociale, psychologique et sociologique, est avérée dès lors que le comportement des hommes que le coach doit gérer est tributaire de valeurs qu’on ne peut comprendre qu’en vivant dans le milieu dont ces derniers sont issus.
Cela dit, le choix de la résidence du sélectionneur, quelque judicieux et avisé qu’il soit, n’est rien par rapport au confort des conditions de travail et à la liberté d’action qui sont, aux yeux du coach Lemerre, les seuls facteurs qui ne sauraient être soumis à un quelconque marchandage.
Roger Lemerre est à la barre des Aigles de Carthage depuis 2002 ; seul, Henry Kasperczak (1994 à 1998), est resté presque aussi longtemps à ce poste. Jamais, jure-t-il, aucune de ses décisions n’a été ni contestée en dehors du cadre normal des consultations avec son équipe ni annulée ; jamais, ses choix n’ont été invalidés, jamais a-t-on réussi à lui imposer quoi que ce soit. Les pressions, reconnaît-il toutefois, se font bien sûr sentir, mais le mandat qu’il a reçu est suffisamment clair pour qu’il soit en mesure de trouver chaque fois la parade idoine.
Cette totale liberté d’action s’accompagne d’un confort physique propice à la tranquillité d’esprit. Le contrat signé au début est respecté par toutes les parties. À cet égard, le coach Lemerre fait remarquer que son contrat de travail est en fait un contrat de divorce. Les deux parties savent au départ ce qui va causer le divorce et ce qui va arriver au moment de la séparation. On ne peut donc pas par exemple penser, dans un tel cadre, que le sélectionneur ne soit pas payé à temps.
Ramenées à la réalité camerounaise, les conditions d’emploi d’un sélectionneur de premier plan comme Roger Lemerre paraissent impossibles à satisfaire. De fait, selon le coach, on donne trop d’importance à des éléments valables, certes, mais pas transcendants, et pas assez à l’environnement et au système de gouvernance du football dans le pays. Le palmarès du sélectionneur le plus performant du monde reflète toujours le sérieux avec lequel s’organise le foot dans le pays concerné.
Roger Lemerre ne gagnera sans doute jamais la Coupe du monde avec les Aigles de Carthage et ne pense pas que la Tunisie a suffisamment de talent pour prétendre à terme à un tel exploit. Il fait néanmoins remarquer que le football tunisien s’est inscrit sur la durée et sur la qualité, sous l’impulsion d’une FTF sérieuse, travailleuse et incontestée. À Tunis, personne n’entend parler ni de Tahar Sioud, le président de la FTF, ni de Roger Lemerre, le sélectionneur national. Les gens heureux n’ont pas d’histoires.
Par L. Ndogkoti