Au début des années 80, il existait une sorte de semi-professionnalisme du football d’élite camerounais qui qui ne disait pas son nom. Parmi les équipes pionnières, on peut citer le Canon sportif de Yaoundé. Celui de la grande époque, qui compte alors dans ses rangs de talentueux joueurs tels Jean Manga Onguéné, Théophile Abéga, Jean-Paul Akono, Grégoire Mbida, Marco Emana, Jacques Nguéa, Thomas Nkono, Jean-Daniel Eboué, Jean Akoa, Dagobert Moungam…
Balle aux pieds, ces footballeurs ont fait rêver bien de personnes à leur époque. Au point où la vie s’arrêtait le temps d’un match de Canon, ou de Union de Douala. Partenaires sur le terrain, amis (pour certains) dans le civil, leur destin opposé va séparer la plupart de ces joueurs qui connaîtront des fortunes diverses aussitôt après avoir raccroché les crampons. On a comme l’impression, aujourd’hui que, contrairement à ce que l’on pouvait croire, nombre de ces joueurs avaient préparé leur avenir, depuis les aires de jeu. Au Canon par exemple, les dirigeants, qui se recrutaient parmi les hauts responsables de l’Administration, ont pensé, très tôt, à caser leurs joueurs dans des entreprises para-publiques.
Une décision qui, en général, se prenait au moment de leur recrutement dans l’équipe. On avait ainsi Louis-Marie Ondoa, Jacques Songo’o et Emmanuel Kundé à la Cnps, Théophile Abéga, Dagobert Moungam et Jean Aoudou à la Camair, le gros de la troupe (Grégoire Mbida, Thomas Nkono, Jacques Nguea, Jacques Roux…) à la Sne, où trônait alors Clément Obouh Fegue, à l’époque membre influent du clu.
Au Tonnerre de Yaoundé, la politique des responsables était tout autre: une place à l’Institut national de la jeunesse et des sports (Injs), après quelques fois un intermède au Lycée Général Leclerc, du temps de Charles Etoundi, dirigeant du club de Mvog-Ada. C’est le chemin emprunté par les Bonaventure Djonkep, Alexandre Belinga, Dieudonné Nké, Lucas Mbassi, Onana Esselé, et même certains de leurs prédécesseurs comme Gilbert Mballa, qui ont pu bénéficier d’une formation de professeur d’Eps et intégrer la Fonction publique.
Entraîneurs
« Ce qui nous donnait une certaine stabilité », affirme Louis-Marie Ondoa, aujourd’hui président de la commission nationale de football des jeunes de la Fédération camerounaise de football (Fécafoot). Aussi, bon nombre de ces joueurs avaient un statut particulier, celui de joueur/travailleur. « Mon travail était ma vie. Le football ma passion ». N’empêche que ce cadre de la Cnps va tout de même démissionner pour évoluer à son propre compte. Et pratiquer ce qu’il avait toujours souhaité faire, « l’administration du football ». Il en sera de même pour David Mayebi. Alors qu’il évolue dans Union de Douala, le footballeur sera parallèlement recruté à la Biao.
La plupart des footballeurs du ministère des Sports sont restés dans la Fonction publique d’où ils sortaient en catégorie A2. Aujourd’hui, ils sont professeurs d’Eps ou entraîneurs de football. Contrairement à ces derniers, très peu d’anciens Lions indomptables et footballeurs de renom à qui les dirigeants de clubs avaient préparé l’avenir vont demeurer dans les administrations publiques ou para-publiques où la plupart n’étaient que de simples agents.
La plupart ont poursuivi une carrière professionnelle et sont ainsi restés dans le milieu du football « car nous avons beaucoup d’entraîneurs », déclare Théophile Abéga,le directeur général de Canon, qui avait tout de même passé un brevet d’éducateur en 1985 à Toulouse (France). L’ancien capitaine du Kpa Kum et des Lions indomptables (1986) voulait « assurer [ses] arrières parce que le football est éphémère. Je pensais faire carrière à la Camair, mais cela n’a pas été possible », car il sera licencié en 1997.
Jean-Manga Onguéné avait profité d’un stage à l’Insep de Paris pour passer ses diplômes de technicien. L’ancien entraîneur de Canon, des Juniors et Seniors est le représentant zone IV du projet Goal/Fifa. « Je pensais rester dans le football. C’est pourquoi j’ai passé mes diplômes d’entraîneur. Parallèlement, j’ai appris l’administration du football », confie David Mayebi, 4ème vice-président de la Fécafoot qui s’est également lancé dans les affaires.
Cependant, la plupart des anciens footballeurs, et beaucoup plus les « professionnels », se sont naturellement tournés vers l’encadrement technique : Michel Kaham (Ksa Douala), François Omam-Biyik (France), Thomas Nkono (Espanyol Barcelone, Espagne), Emmanuel Kundé (US Bitam, Gabon)… Eugène Ekéké est longtemps resté joueur amateur en raison de ses études qui l’avaient emmené en France. Aussi, le problème de sa reconversion ne s’est pas posé de la même façon que pour ses anciens coéquipiers, puisqu’il avait la possibilité de faire valoir son doctorat d’état en droit en travaillant pour son propre compte. Et c’est apparement beaucoup plus par passion qu’il s’est tourné vers l’entraînement, en encadrant l’équipe du Pmuc.
Débrouillardise
D’autres, à l’instar de Adalbert Mangamba, recruté à la Communauté Urbaine de Douala, ou de René Ndjeya, employé à la Camrail, vont se créer leurs propres voies. Il faut ajouter que ce ne sont pas tous les joueurs de Canon, Tonnerre ou Union qui étaient systématiquement intégré dans une structure publique ou para-publique. Et même que, de sources dignes de foi, rares sont ceux des anciens footballeurs qui se sont vus proposer un travail à l’issue de leur carrière. Démarraient alors la débrouillardise. Les affaires pour certains, pour Emmanuel Mvé (homme d’affaires), Emmanuel Maboang Kessack; la restauration pour André Kana Biyik, l’importation de voitures d’occasion pour Stephen Tataw. Dans cette catégorie, l’on pourrait classer Joseph Antoine Bell, également dans la communication (consultant de Rfi et de France Football).
L’administration du football lui ayant jusqu’ici échappé. Jacques Roux gère un site internet dédié au football africain et propose des images de football aux télévisions étrangères. Il faut dire que la reconversion a été plus difficile pour les joueurs locaux. Bon nombre d’entre eux tirent le diable par la queue. Après sa carrière de footballeur, Dagobert Moungam, avait souhaité se remettre à l’arbitrage : « Je n’ai pas eu la chance comme certains autres anciens footballeurs, mais je ne désespère pas de pouvoir continuer d’apporter mon expérience du football aux générations actuelles ». Marco Emana revit sa jeunesse grâce son fils Achille qui est en train de se construire une carrière professionnelle en France. Grégoire Mbida survit.
Bertille M. Bikoun, Mutations