Le tir groupé que Samuel Eto’o Fils a essuyé de la part de la plupart des journalistes espagnols à la suite d’une interview plutôt inoffensive, ainsi que la volée de bois vert qui s’est ensuivie, sont révélateurs du sentiment trouble que les Espagnols éprouvent à l’égard du génial hurluberlu. Mais au-delà du combat à fleuret moucheté que se livrent la vedette et la presse, il y a une vérité toute prosaïque que la gloire de New Bell maîtrise parfaitement maintenant, et qui est qu’il est une véritable star et que tout le monde doit le savoir et le traiter avec tous les égards.
Je n’ai pas eu pour habitude de me découvrir devant l’artiste ni de lui cirer les godasses qu’il a acérées et fines. Je fais amende honorable aujourd’hui, je bats ma coulpe, je le salue bien bas et reconnais avec délectation que la star est enfin devenue, dans sa tête, une diva. On va se régaler.
Peu importe ce qui arrivera aujourd’hui ou dans les mois à venir. Eto’o a gagné le droit de dire ce qu’il pense et de forcer tout le monde à respecter ses envies, ses choix, voire ses caprices. Ce droit a été gagné de la seule façon qui compte : sur le terrain de jeu et sur le terrain de la loyauté et de la solidarité. Il était temps, après des saisons de performances éclatantes toujours applaudies du bout des doigts même au sein de son propre club, après moult avanies, après des tentatives avérées de mettre son talent en doute, il était temps qu’il se rebiffe.
La bagarre qui a certainement cours dans le vestiaire de Barcelone, les fausses amabilités que se font joueurs et encadreurs et l’écho que s’en font les gazettes, tout cela n’a rien de particulier. Il n’existe pas vraiment, parmi les joueurs de grands clubs, des liens d’amitié ou d’amour profonds qui vont au-delà de leurs intérêts professionnels. Des poches d’amitié existent sans doute, comme cela se remarque au sein de tout groupe, mais le ciment de la relation reste toujours la reconnaissance du rôle primordial que joue la solidarité sur le terrain. Quel que soit le talent individuel, la performance et la notoriété sont largement tributaires de l’apport et de l’aide des coéquipiers.
Ce qui, je crois, a amené Eto’o à taper du poing sur la table, c’est justement que ses coéquipiers, dans une bonne proportion, ceux-là même qui devraient reconnaître en premier son formidable apport, ont agi comme s’il était fini. Que l’entraîneur ni la presse ne l’aient soutenu après sa blessure, Eto’o s’y attendait et y était sans doute préparé. Que des coéquipiers qui ont profité de sa générosité et de son talent sur le terrain pour gagner de l’argent et des titres soient prompts à l’enterrer au premier coup dur, cela, Eto’o n’était pas prêt à le laisser passer sans réagir.
Et c’est bien ainsi. Je suis de ceux qui ont bu l’interview d’Eto’o comme du petit-lait. La métamorphose du personnage, la légitimité de son coup de sang, la cohérence de ses propos, tout cela augure bien pour l’avenir.
C’est une transformation que j’appelais de tous mes vœux, car je redoutais de voir cette perle écrasée comme d’autres perles africaines broyées par le laminoir des championnats européens. Eto’o n’obtiendra rien de particulier à accepter des salaires de misère, à raser les murs, à s’effacer devant Deco ou Xavi, à chanter les louanges de Ronaldinho, à se plier à toutes les humiliations de la part d’un entraîneur qui n’a jamais voulu de lui.
Alors, qu’il parle et qu’il exige, qu’il pose des conditions, qu’il joue enfin à la très grande vedette qu’il est et dont le rayonnement dépasse de loin la petite Catalogne. Qu’il joue au football comme il sait si bien le faire, sans retenue, pour notre très grand bonheur. Et que ce faisant, il en tire tous les avantages qu’il juge dignes de l’un des rares artistes auxquels le panthéon du foot est déjà promis.