Il existe une cellule des équipements au ministère de la Jeunesse et des Sports. On n’y meurt certainement pas de boulot, parce qu’au Cameroun, l’Etat n’a manifestement aucune politique de développement des infrastructures sportives. Avant d’avoir la chance de devenir un jour professionnel, et d’avoir comme premier choc à l’étranger la qualité des équipements de sport, c’est dans la rue, au sens premier, que les jeunes sportifs camerounais apprennent à taper dans un ballon, à sauter, à courir, à combattre…
Normal donc que l’on n’entende jamais le nom de notre pays dans des disciplines olympiques qui ne se pratiquent pas sur des terrains vagues telles que le 3000m steeple ou la natation. Le seul nageur camerounais présent à Athènes lors des derniers Jeux olympiques, Cole Shade, vit à l’étranger.
Quelques semaines après quatre renvois d’un match de Sable de Batié à Douala en Coupe de la Confédération africaine pour cause d’impraticabilité du stade de la Réunification, et au moment où le gouvernement vient de signer (enfin) une convention avec la République populaire de Chine pour la construction d’un palais des sports à Yaoundé, Mutations revisite la question des infrastructures sportives au Cameroun, véritable plaie béante et puante d’un sport national par ailleurs respecté pour ses résultats internationaux.
Trop proche du centre-ville, le stade Mbappe Leppé ( ex-stade Akwa) a échappé à la destruction. Ce monument situé en face de l’archidiocèse de Douala porte témoignage de l’histoire cahotante des infrastructures sportives au Cameroun. Son aire de jeu sablonneuse et ses vieux gradins couchés presque sur un cimetière, continuent d’abriter des matches de football de deuxième division. Créé dans les années 40-50 et géré par les missionnaires catholiques au départ, il a notamment accueilli les exploits de l’Oryx bellois, premier vainqueur de la Coupe d’Afrique des clubs champions en 1965.
Son pendant à Yaoundé était d’abord le stade de l’Hippodrome, dans l’emplacement actuel de la Caisse nationale de prévoyance sociale (Cnps) et de l’hôtel de ville de Yaoundé. Les grandes joutes du championnat national aux premières heures de l’indépendance s’y sont déroulées. On se souvient de l’écroulement d’une tribune lors d’un Oryx-Prison’s, qui a peut-être précipité la fin de ce petit temple. Vint ensuite le stade militaire, surnommé à l’époque Golgotha, toujours opérationnel à ce jour, mais qui a perdu ses tribunes en bois posées sur des escaliers en béton, et ne cesse de se dégrader, malgré quelques replâtrages mal fichus.
Il faut être indulgent pour parler de stades en désignant ceux d’Akwa, militaire et de l’hippodrome. ll s’agit en fait de petits terrains de jeu, sans pelouse, certes clôturés et aux dimensions réglementaires. Les premiers véritables stades de football camerounais sortent de terre en 1972, I’année où le Cameroun abrite, pour la seule fois de l’histoire à ce jour, une édition de la Coupe d’Afrique des nations.
C’est donc à la » huitième coupe » que nous devons le stade de la Réunification de Douala (35.000 places) et le stade Ahmadou Ahidjo de Yaoundé (50.000 places). Autrefois objet de fierté, ces deux enceintes sont devenues ces dix dernières années la honte du Cameroun. Pendant cette période, le stade « Omnisports » de Yaoundé, comme on l’appelle abusivement alors qu’il n’est prévu que pour le football et l’athlétisme, et, en forçant le rugby, a été suspendu trois fois par la Fédération internationale de football association (Fifa) pour non-conformité avec les exigences internationales. Celui de Douala, lui, n’a pas eu besoin d’être formellement interdit à la compétition ; son état désastreux après la moindre pluie vaut suspension naturelle.
Inertie
L’un et l’autre des stades « omnisports » de Yaoundé et de Douala possèdent des vestiaires approximatifs, un tableau électronique à l’arrêt depuis des temps immémoriaux, une tribune de presse inexistante. L’éclairage n’y fonctionne que par intermittence.
Dans la même dimension, mais en plus frais et mieux entretenu, il y a le stade Roumde Adjia. C’est le troisième stade omnisports du pays, construit entre 1979 et 1980. D’une capacité de 25.000 places, Coton Sport de Garoua, le club de la décennie au Cameroun, a le loisir d’y jouer ses matches des coupes africaines à domicile. C’est ce stade qui accueillit aussi, pour son inauguration officielle le 30 novembre 1980, la fameuse finale aller de la Coupe d’Afrique des clubs champions entre Canon de Yaoundé et Bilima Fc de Kinshasa (2-2). Hors de ces trois « omnisports » de Yaoundé, Douala et Garoua, c’est le grand désert.
L’Etat camerounais n’a plus investi dans les infrastructures sportives, si ce n’est pour construire le complexe en plein air baptisé « Mateco » de l’université de Yaoundé. Malgré sa surface rugueuse en ciment, il dépanne, avec un relatif bonheur, les sports collectifs autres que le football et le rugby : handball, basket-ball et volley-ball.
Si les footballeurs devraient se plaindre de ne pas disposer d’installations adéquates, eux qui ont rapporté tant de lauriers au Cameroun, la situation des autres disciplines sportives est encore plus alarmante. Pas de piscine olympique appartenant au ministère de la Jeunesse et des Sports ou à une municipalité. Les quelques rares qui existent, à Yaoundé, Douala, Garoua ou Niété, appartiennent à des entreprises privées ou parapubliques. Le handball, le volley-ball et le basket-ball se jouent dans les cours ou hangars des établissements scolaires ou universitaires. Même les fameux parcours Vita créés à la fin des années 80 par la présidence de la République pour favoriser le développement du sport pour tous, sont délabrés.
Le nouveau Minjes, M. Etame Massoma, s’en est lui-même rendu compte lors d’une visite des infrastructures sportives effectuée en juillet dernier à Douala. L’athlétisme, grâce à la coopération française, a pu se doter en 1996, d’une piste en matière synthétique au stade Ahmadou Ahidjo. Et c’est tout ! La coopération extérieure pourrait pourtant être une voie de salut, si le gouvernement camerounais, noyé dans son inertie, veut réellement résoudre le problème des infrastructures sportives. D’ailleurs, les quelques chantiers annoncés empruntent ce chemin : le palais des sports de Warda avec la Chine, le centre d’entraînement des Lions indomptables de la Fécafoot avec le projet Goal de la Fifa et l’académie de la Caf à Mbankomo. Ailleurs, cette coopération internationale a porté des fruits palpables en Afrique. Il suffit que la volonté politique suive.
Emmanuel Gustave Samnick, Mutations