Otto Pfister est revenu sur la Coupe d’Afrique des Nations, qu’il estime ratée pour les Lions Indomptables. Le technicien, qui revient sur son séjour au Cameroun, pense que son bilan est meilleur que ce qu’on en a retenu.
Quelle est votre avis sur la prestation du Cameroun à la dernière Coupe d’Afrique des Nations en Angola ?
Je pense tout simplement que la prestation du Cameroun à cette compétition est une catastrophe ! Une catastrophe totale ! Parce que deux ans avant, le Cameroun a quand même joué la finale. Mais cette fois-ci, à chaque match, on avait 11 joueurs différents sur le terrain. Il est inacceptable que le Cameroun quitte la Coupe d’Afrique des Nations avant les demi-finales. Je n’ai rien compris. Comme je n’ai pas regardé le match sur place en Angola, je n’ai rien compris sur ce qui s’est passé en interne dans cet équipe pour que les choses soient ainsi. C’est un dommage pour la population camerounaise. Tout le tralala autour de l’équipe n’est pas bon : il y a des gens qui passent leur temps à critiquer, mais on ne sait jamais de quoi ils sont capables.
Pensez-vous que l’impréparation du Cameroun soit une des raisons de ce retour ?
Oui, cette impréparation a eu un coup sur cette équipe. Je me souviens qu’avant la Coupe d’Afrique 2008, nous avons commencé avec les entraînements et quelques tests médicaux en Allemagne longtemps avant la compétition. Nous avons également joué un match amical en Espagne, puis un stage au Burkina Faso dans les mêmes conditions de chaleur qu’au Ghana. Nous avons tous travaillé dur pour préparer cette Coupe d’Afrique et après, nous avons fait une très bonne compétition. Pour ce qui s’est passé avant la Coupe d’Afrique en Angola, je n’ai rien compris. Pendant la trêve, les joueurs se sont retrouvés à Yaoundé et Douala sans rien faire. Dans ces conditions et avec une préparation de trois jours, je ne sais pas comment il est possible de gagner. Je n’ai rien compris à cette manière de travailler. C’est peut-être une erreur, je ne sais pas, mais la préparation mentale aussi n’était pas bonne.
Pensez-vous que c’est parce que l’entraîneur actuel n’a pas l’expérience africaine qu’il a travaillé ainsi ?
Je ne critique jamais un entraîneur, car c’est toujours un collègue. Il n’est pas évident de critiquer un entraîneur européen qui travaille en Afrique parce que nous avons notre culture, nos méthodes de travail, etc. Les Africains ont leur mentalité, leurs particularités, il y a des choses qui sont contraires à l’Europe. On parle toujours des grands noms, mais ça ne suffit pas. Il faut être quelqu’un qui sait analyser. Il n’y a personne qui a gagné une compétition en Afrique alors qu’il n’avait jamais travaillé sur ce continent auparavant. Jusqu’aujourd’hui, il y a plusieurs joueurs qui continuent à me téléphoner. Quand j’étais là, on m’a tellement critiqué, mais nous étions douzièmes au classement Fifa, mais aujourd’hui, je ne sais même pas à quel rang nous sommes.
Le Cameroun est passé de la 11ème à la 20ème place…
Nous étions premiers en Afrique quand j’étais là. Il faut quand même réagir sur ce fait. Moi je pense que nous avons le potentiel pour mériter mieux et je pense que c’est une position regrettable pour un pays comme le Cameroun.
Si on revient aux éliminatoires de la Coupe du Monde et à la Coupe d’Afrique des Nations, pensez-vous que vous auriez pu qualifier le Cameroun qui était dernier de sa poule à votre départ ?
Mais tout ça c’est du bla bla bla, vous le savez bien. On a joué la finale de la Coupe d’Afrique. Pendant le premier tour, j’ai fait 16 points sur 18 et après nous sommes rentrés dans le deuxième tour et nous avons perdu un match. J’ai perdu un match et on a changé mon adjoint. Je pense que, quel que soit l’entraîneur, tout le monde peut perdre un match à l’extérieur.
Pendant votre passage à la tête de l’équipe nationale, certains ont estimé que vous n’aviez pas la main sur vos joueurs. Comment ça se passait avec les cadres de cette équipe, notamment Eto’o, Song ou Gérémi?
Ça c’est une histoire écrite par quelqu’un ! Je ne sais pas, mais l’auteur d’une telle information est de mauvaise foi. Ce n’est pas vrai ! Je n’ai jamais eu un problème de discipline avec mes joueurs. Jamais aucun joueur n’a fait de classement dans cette équipe. Je crois que malgré mon âge, j’ai quand même encore des choses à apprendre. Tous les grands entraîneurs du monde font pareil : ils dialoguent avec les joueurs, ils les écoutent avant de prendre des décisions. Avant de mettre sur pied chaque tactique, je discutais avec les joueurs pour leur demander à quel niveau ils peuvent donner le meilleur d’eux-mêmes. Finalement, je dis à chacun son idée, mais la dernière décision me revenait toujours. Ça, je le tiens d’un entraîneur comme José Mourinho, qui est très fort dans ce domaine. Il travaille beaucoup avec les joueurs. Je ne peux rien faire contre l’esprit de l’équipe, sinon je suis foutu.
Vous n’avez donc jamais eu de pression de la part des joueurs ?
Jamais, jamais, jamais ! Dans ma vie, je n’ai jamais eu ce genre de problème. Tout d’abord, j’étais à Yaoundé, j’étais permanemment en contact avec le ministère des Sports, avec la Fédération. Durant tout mon séjour au Cameroun, j’ai travaillé avec d’autres entraîneurs et j’étais surpris de lire que j’étais en combine avec les joueurs. C’est faux ! Vous savez, entraîner une équipe de football ne veut pas dire aller rester en Europe, lire France football ou Internet pour suivre les performances des joueurs. Moi je me suis souvent déplacer avec mes propres moyens et je suis allé en Turquie, en Angleterre, en Espagne pour observer tous les joueurs sur place et discuter avec leurs entraîneurs pour avoir les vraies performances de chacun. C’est toujours comme cela que j’ai fait mon travail. Tout ce que j’ai lu dans les journaux après ma démission m’a fait trop mal au cœur parce que ce n’est pas vrai. J’ai quand même une bonne réputation. Avec tout mon parcours, le palmarès que j’ai eu, pensez-vous vraiment qu’un joueur puisse m’influencer ? J’ai toujours collaboré avec tout le monde, mais la dernière décision me revenait toujours. Chacune de mes listes était attaquée. Pourquoi tel ou tel n’a pas été sélectionné, celui-là n’est pas bon, tel joueur ne joue pas mieux que l’autre, etc. Je ne me suis jamais laissé influencer par qui que ce soit.
Pendant votre séjour, est-ce que vous avez eu des pressions du ministère des Sports ou de la Fédération camerounaise de football pour sélectionner un joueur ?
Oui, j’ai connu certaines pressions de la Fédération, mais je n’ai jamais écouté. Je ne vais pas rentrer dans les détails. Parfois ces pressions ne concernaient pas les joueurs, mais j’ai su rester moi-même. Parce que si vous mettez cinq personnes sur une table et que vous leur posez des questions sur un joueur, chacune des personnes va vous donner un avis différent de celui des autres. A la fin, je comprends qu’il faut que je fasse selon mes compétences. Un entraîneur qui est incapable de gérer la pression, je crois qu’il s’est trompé de métier. Vous savez, si je me mets à écouter tout ce que les gens disent, je suis foutu, au vu des nombreuses personnes qui ont des avis à donner. Parfois, même un joueur qui n’est pas content d’être sur le banc, il téléphone à des journalistes pour que ceux-ci commencent à dire n’importe quoi. Mais je ne m’occupe pas de ça. Je regarde juste les joueurs selon leurs performances à l’entraînement et en club. Ce sont les seuls facteurs qui peuvent m’influencer.
Pensez-vous que vos problèmes à la tête des Lions Indomptables sont dus au fait que vous avez été sélectionné par le ministère des Sports et non par la Fécafoot ?
Oui, je le crois et je l’ai lu dans les journaux. La Fédération a toujours attaqué le ministère en disant ce n’est pas notre entraîneur, il n’est pas choisi par nous, il a été choisi par le gouvernement. Je pense aussi que c’est une catastrophe, c’est bla bla bla. Nous sommes des Camerounais ou nous sommes quoi ? Où est le problème si c’est le gouvernement qui choisit un entraîneur compétent ? Tout ça c’est la catastrophe, c’est du bla bla bla. Lorsque le ministre m’a téléphoné, je suis allé là-bas, j’ai discuté avec tout le monde et tous les dirigeants de la Fédération étaient là. Personne ne m’a renié. Ils ont crée cette querelle en mon absence. Si j’avais été au courant de cette situation avant la signature de mon contrat, je n’aurais jamais signé. Mais ça ne m’a jamais gêné. Ce qui compte pour moi, c’est mon résultat sur le terrain. Les gens s’opposent beaucoup à moi parce qu’ils savent que je suis très dur. Je suis le seul entraîneur qui a démissionné de son poste au Cameroun.
Qu’est-ce qui vous a poussé à démissionner ?
J’étais en Rome en Italie pour la finale de la Ligue des Champions et j’ai reçu un fax dans lequel on m’annonçait que mon adjoint avait été limogé et remplacé. Alors, j’ai directement pris la décision de démissionner. Ceux qui ont pris cette décision l’ont fait sans me consulter, alors j’ai considéré que je n’avais pas ma place dans cette équipe.
Vous avez démissionné alors que vous conduisiez les Lions à un match en Belgique pour préparer les éliminatoires de la Coupe du Monde et de la Can. Qu’est-ce qui vous a emmené à prendre une telle décision à un moment crucial ?
Il y a deux choses qui ont directement entraîné ma démission. Comment est-ce possible qu’on change mon adjoint sans en discuter avec moi ? Comment peut-on organiser un match en Belgique contre une équipe folklore ? Pour ces deux raisons, j’ai démissionné. Je ne peux pas accepter ça. Vous savez, si quelqu’un organise un match amical, il y a de l’argent, ce n’est pas gratuit. Comment peut-on organiser un match amical sans informer l’entraîneur ? Je vous le dis, il était impossible de travailler dans ces conditions.
Qui organisait ces matchs amicaux ?
Il faut le demander à d’autres, c’est bien simple à trouver. Dans mon contrat, il n’était dit nulle part que c’est moi-même qui organisait les matchs amicaux, mais il fallait quand même que je donne mon ok pour qu’un match soit négocié. En Belgique, ils ont organisé un match amical folklorique sans même me demander mon avis. A l’aéroport, j’ai décidé de tout laisser tomber. Cela ne s’est jamais passé nulle part ailleurs qu’au Cameroun et moi je ne pouvais pas travailler dans ces conditions. J’ai demandé mille fois des matchs amicaux, aucun n’a jamais été organisé. On a fait un match amical contre l’Afrique du Sud et ils n’ont pas été capables de gérer ni les tickets, ni les visas pour les joueurs. Alors nous sommes allés en Afrique du Sud avec une équipe folklorique. J’ai été obligé parfois de prendre certaines initiatives, mais le plus souvent, je n’étais pas accompagné par ceux qui dirigent le football au Cameroun.
Vous n’aviez pas le soutient du ministère qui vous a recruté ?
Le contrat pour le match amical était signé par la Fédération et à ce moment, il revient à la Fédération de prendre ses responsabilités. On m’a souvent dit que ce sont des questions de budget, mais je crois qu’une Fédération devrait quand même avoir le minimum pour assurer son fonctionnement. Ici, je peux parler, moi je n’aime pas ces tralala.
Ne pensez vous pas que vous avez démissionné parce qu’on vous a adjoint trois encadreurs pour remplacer votre adjoint ?
C’est aussi la vérité. Je n’ai rien compris. On remplace une personne avec trois du même acabit. Il n’y a qu’au Cameroun qu’on voit ça. Je n’ai rien contre les trois adjoints, mais je crois que c’est le folklore total. Ce n’est pas possible, c’est inacceptable. Je ne pouvais pas accepter ça et c’était la raison principale raison de ma démission. Il n’est pas possible de travailler avec trois personnes. En plus, dans le monde du football, il revient à chaque entraîneur de choisir son adjoint. Comment peut-on imposer à un entraîneur un adjoint avec qui il n’a jamais travaillé ? Avant même de faire une chose pareille, il fallait tout au moins qu’on discute avec moi, mais ça n’a pas été le cas. Il fallait au moins me donner l’occasion de discuter avec eux avant de voir quel est le niveau de chacun. S’ils ont la même philosophie que moi, il n’y aura pas de problème. Mais quand on a des philosophies différentes, il est impossible de travailler ensemble. Je n’ai pas accepté ça.
Que dites-vous des accusations portées contre votre adjoint Ngwéha Ikouam, dont on disait qu’il demandait de l’argent aux joueurs avant de les sélectionner ?
Jusqu’aujourd’hui, je ne suis pas en contact avec lui et la seule chose que je puisse vous dire, c’est que je n’ai jamais vu un encadreur aussi fort. Je ne sais pas ce qu’il a fait. On lui reproche des choses. Mais il était très fort et très bien. Par rapport à ce qu’on lui reproche, je n’en sais rien, mais tout ce que je sais, c’est que c’est un homme bien. Avec lui, j’ai toujours travaillé dans une bonne coordination. Je n’ai donc pas compris qu’on le remplace.
Pendant votre séjour, vous avez eu plusieurs accrochages avec l’ancien Lion Indomptable Roger Milla. Tout ceci était dû à quoi ?
Je n’ai jamais eu un contact privé avec lui. Tout ce que j’ai lu dans les journaux par rapport à une quelconque relation entre lui et moi est tout simplement faux. C’est quand même une grande personnalité dans le milieu du football au Cameroun, mais je pense qu’il peut aussi diriger une équipe nationale pour montrer à quel point il est fort avant de commencer à parler. Certains disent qu’il venait dans les vestiaires, mais pendant toute la période où j’ai travaillé avec les Lions, il n’était jamais venu aux vestiaires, jamais ! Si certains le disent, c’est faux ! Je n’ai jamais discuté avec lui et je ne le voyais que pendant les cérémonies officielles ou pendant les matchs. Il n’est jamais venu discuter de technique avec mes joueurs et moi. Les gens ont dit des tralalas et maintenant j’espère que les Camerounais connaissent la vérité.
Aujourd’hui, certains parlent de la fraîcheur physique de certains joueurs et de leur âge. Certains noms comme Song et Njitap reviennent le plus souvent. Qu’en pensez-vous ?
Je pense qu’au lieu de parler de leur âge ou de la fraîcheur physique, il faut faire un contrôle médical. Si j’étais là, j’aurais fait beaucoup de choses. Njitap par exemple a été choisi par la Commission technique de la Fifa comme meilleur latéral droit lors de la Can 2008. Rigobert Song a réalisé une bonne Coupe d’Afrique des Nations en 2008, sauf son erreur en finale. Je pense qu’il n’est pas le seul responsable sur ce but. Il était en duel avec Zidan et il est tombé. Malheureusement, il n’a pas été soutenu par un autre défenseur et le but a été marqué. Ce type d’erreur arrive dans le football. Il ne faut pas juger un joueur par son âge, mais il faut voir ce qu’il est capable de donner pour son équipe. Quand on parle de rajeunissement, il ne faut pas oublier que j’ai fait venir plusieurs jeunes dans cette équipe. J’ai fait appeler des joueurs comme Alexandre Song contre l’avis de la presse. De temps en temps, il faut quand même trouver un mélange pour assurer la relève. Mais il ne faut pas carrément écarter ceux qui sont les cadres de l’équipe. C’est ainsi que les choses fonctionnent.
Si vous étiez encore entraîneur, auriez-vous donné le titre de capitaine à Eto’o ?
C’est un problème délicat. Je ne peux pas faire de commentaire là-dessus. Moi je continue à avoir des contacts avec plusieurs de ces joueurs. Je n’ai aucun commentaire à faire à ce sujet. Je ne veux pas créer un conflit inutile.
D’après vous, que faut-il faire pour assurer une bonne Coupe du Monde au Cameroun?
Il faut que les entraîneurs suivent les joueurs à tout moment et qu’ils assurent la prospection pour trouver de nouveaux joueurs. Il ne faut pas faire une préparation de trois jours, mais une préparation que mérite le Cameroun.
Quelles peuvent être les performances du Cameroun à la prochaine Coupe du Monde?
Je crois que le Cameroun mérite au moins les demi-finales en Coupe du Monde. Je crois que l’équipe actuelle en a les capacités au vu de son potentiel. Moi, mon objectif était de remporter la Coupe d’Afrique des Nations en Angola et d’atteindre au moins les quarts de finale de la Coupe du Monde. Pour moi, c’était clair et c’était réalisable. Maintenant, avec tous les tralalas autour de cette équipe, ce sera difficile.
Quel souvenir gardez-vous de votre passage à la tête des Lions Indomptables et quelle est votre plus grande déception ?
Ma grande déception c’est d’avoir raté cette finale de Coupe d’Afrique au Ghana. Je regrette aussi d’être parti, car, j’avais des bons rapports avec les joueurs et certains dirigeants. Le fait que je ne sois plus en contact avec ces amis me fait très mal au cœur. J’étais très content au Cameroun.