Tous les augures l’avaient annoncé : le match du 4 septembre en terre d’Éburnie devait être un véritable guêpier. L’approche de l’équinoxe a été funeste pour les Ivoiriens, cueillis à froid par des Lions qui ont, il faut bien le reconnaître, montré des potentialités qu’on croyait longtemps perdues.
De ce match, qui n’avait rien d’extraordinaire si on se rappelle certains rendez-vous nettement plus terrifiants que les Lions ont tenus avec succès dans le passé, on pourrait dire beaucoup de choses, d’importance fort relative toutefois. Les Lions l’ont non seulement bien gagné, mais ils nous ont mis l’eau à la bouche en nous faisant entrevoir des voluptés dont on avait perdu le goût depuis si longtemps.
Alors, heureux, oui ! Et pour fermer ce chapitre, qu’on remette donc les clés de la cité au moustachu, qu’on le laisse travailler, que la Fécafoot et le Ministère donnent leur blanc-seing, les yeux fermés, à ce technicien qui nous fournit enfin des raisons d’espérer !
De mémoire d’observateur de la chose footballistique, on n’a pas connu de période aussi vide d’histoires que depuis que M. Jorge a pris les rênes des Lions Indomptables. L’absence d’histoires, nous le croyons, est le début du bonheur. À Camfoot, nous avons appelé de tous nos vœux le recrutement d’un entraîneur de haut niveau, le nettoyage des Écuries d’Augias qu’était devenue la gestion des Lions, la moralisation des mœurs et la professionnalisation de la logistique et de l’administration. Nous pensons avoir été entendus et avons pris acte de certaines initiatives, quoique timides, porteuses de beaucoup d’espoir. Les Lions vont bien ; c’est ennuyeux, mais c’est tant mieux.
Pourtant, ce sirupeux ronron qui se prolonge depuis Créteil aurait pu être interrompu par quelques pavés qui ont jeté un certain émoi dans le Landerneau. Deux listes de joueurs retenus ont été publiées à la veille du match d’Abidjan. Le rappel de Lauren et de Kalla avait tous les ingrédients des pantalonnades auxquelles nous avaient habitués la Fécafoot et le Ministère. Et Roger Milla se serait confié à certains médias en tenant des propos que beaucoup ont jugés intolérables et qui auraient entraîné sa mise à l’écart de la camarilla de copains et de pique-assiettes qui accompagnent les Lions.
Heureusement, aucune de ces « affaires » ne s’est amplifiée ni ne s’est auto-alimentée pour nuire durablement à l’objectif du 4 septembre. C’est un excellent signe de maturité. La publication de deux listes est, bien sûr, une sottise qui, je crois, ne devrait plus se manifester à l’avenir. La liste officielle des joueurs doit émaner de la Fécafoot ; c’est cette liste que Cameroon Tribune doit reproduire.
En ce qui concerne Lauren, ça suffit, à la fin ! La comédie doit s’arrêter. Lauren a été un bon membre de l’équipe. Il est libre de prendre ses distances, quelles que soient ses raisons. Il a fait ce qu’il a pu, nous lui en savons gré et lui souhaitons tout le succès qu’il mérite. J’ai rarement vu Raymond Kalla se faire ridiculiser sur un terrain de foot. Il est encore sans doute valable, mais est-il vraiment sage de le soumettre à l’enfer d’un match de 90 minutes ? Je suis de ceux qui souhaitent que ‘’Baresi » se retire dans la gloire, maintenant, car le temps joue contre lui. À quelques occasions, au cours du match, j’ai vu un cœlacanthe qu’on avait tiré par mégarde du fond de la mer où il était sagement endormi.
Mais qu’a donc dit l’ambassadeur itinérant pour mériter une impétueuse levée de boucliers et une sanction ministérielle ? Qu’il souhaiterait que la Côte d’Ivoire se qualifie pour la Coupe du monde 2006. Ou si vous voulez, qu’il souhaiterait que le Cameroun ne s’y qualifie pas.
Rien que ça, venant de Roger Milla, notre Roger Milla, le nom le plus connu au monde du football camerounais, la seule valeur positive que le monde nous envie depuis plus de dix ans, et la machine à broyer, à brocarder, à médire et à insulter, se met en marche. Milla jaloux ; Milla aigri ; Milla mauvais patriote. Et puis, quoi encore ?
Nous sommes un peuple terrible, qui n’a aucun respect ni pudeur devant des icônes ou des idoles véritables. Nous sommes un peuple de censeurs réfractaires à la contrariété. Que la déclaration de Milla en ait choqué beaucoup, je le comprends très bien. Il n’est pas n’importe qui, et il nous a peut-être blessés. Mais que subitement, cet homme que nous avons idolâtré soit traité de traître et interdit de match pour cause d’atteinte au moral des joueurs, il y a maldonne.
Peu me chaut ce que dit Milla : je reconnais qu’il a gagné le droit de dire ce qu’il veut partout où il veut. Ce droit, il l’a gagné sur les terrains vagues de Douala et sur les stades du monde entier ; ce droit, il l’a gagné par son amour du foot et sa connaissance de ce sport. Personne n’a le droit d’exciper d’une déclaration somme toute banale pour mettre en doute l’engagement patriotique de Roger Milla.
Je le connais depuis l’enfance à Douala. Je l’ai vu faire des choses extraordinaires sur un terrain de foot. Je l’ai retrouvé, après la folie de 1990, un matin d’été à Oxnard, en Californie, sur le terrain d’entraînement des Lions en 1994. Il était là, dans une atmosphère terrible, ostracisé par les plus jeunes, vieillissant, mais toujours aussi fringant, ses fines jambes largement ravagées par tant d’années de football. Je l’ai revu à Tunis, les yeux rougis, loin du corps de sa femme arrachée à la vie un peu par la faute du football. Et c’est cet homme, élevé au rang d’ambassadeur, qu’un ministre atrabilaire écarterait d’un voyage important pour cause de propos qui fâchent ?
Et puis, zut, le vieux Lion n’a sans doute pas besoin d’avocat. Les avanies qu’il a subies ces derniers temps n’ont pas été, Dieu merci, de nature à perturber les Lions, et je sais qu’il s’en félicite parce c’est lui qui a forgé l’âme de cette équipe, c’est son héritage que gèrent les Makoun et Song, et la sévérité de ses propros et de ses remontrances n’est que la manifestation d’un intérêt qui ne s’estompera jamais. Les ministres passent, mais Milla ne mourra jamais.
L. Ndogkoti, ndogkoti@camfoot.com