Voici l’interview de Michel Platini dans les colonnes de l’Équipe. Des clichés et stéréotypes à la pelle; pas étonnant pour qui connait cette gloire au talent contesté et ses idées légères sur l’organisation du football mondial. A lire et à diffuser. (Commentaires de RW)
QUE PENSEZ-VOUS de l’évolution du football africain
depuis la précédente édition de la CAN, en 2002 ?
– Ce sont les grands rendez-vous comme celui-là qui le
disent. Mais je suis fidèle à certains principes : le
football africain possède des individualités ; il
avait aussi un certain langage mais n’était pas
forcément au top collectivement. Je ne voyais pas une
sélection remporter un rendez-vous mondial. Depuis
quelque temps, les Fédérations ont recruté de nombreux
entraîneurs étrangers qui leur ont peut-être donné des
moyens de gagner. Le problème, c’est qu’ils leur ont
aussi enlevé certaines qualités. (Rires.) Si on
arrivait à associer la rigueur européenne aux qualités
africaines, cela pourrait donner quelque chose de
bien.
Avez-vous l’impression que cette rigueur a fait
perdre au football africain sa folie ?
– Complètement. Quand on voit le Cameroun jouer, c’est
très sérieux. Ils ne prennent pas beaucoup de buts
mais n’en marquent pas beaucoup non plus. Lors des
dernières éditions de la CAN, il n’y a pas eu de
scores fleuves. C’est toujours 0-0, 1-0, 1-1… Ils
ont perdu des qualités qui leur étaient propres.
C’était peut-être, aussi, de la naïveté et, si on veut
gagner, il faut peut-être durcir son jeu. Mais je
trouve ça dommage. En 1996, quand le Nigeria a gagné
les Jeux Olympiques, il l’a fait en s’appuyant sur un
football offensif. Pour le reste, on sait que le
Sénégal a battu la France en 2002 (1-0). Ce fut un
grand coup pour l’Afrique et dans la durée, cette
équipe aurait même pu faire mieux. Mais on connaît le
côté un peu instable des joueurs africains « festifs ».
Vous parlez des Sénégalais ?
– Oui, oui…
Les résultats africains en Coupe du monde ne sont-ils tout de même pas décevants ?
– C’est difficile de dire ça. Ils ne sont pas nombreux
(cinq par édition) et il y a toujours une équipe qui
flambe. Le Cameroun, contre l’Argentine (1-0), en 1990
; le Sénégal, contre la France, en 2002… Ce furent
quand même deux coups de tonnerre ! Je répéterai simplement une chose : il faudrait qu’ils associent leurs qualités propres à cette rigueur nouvelle. Qu’ils mettent un peu de folie ! J’en suis persuadé : on peut gagner avec la folie. Ce serait beau.
« Qui est le grand joueur africain d’aujourd’hui ? »
Que manque-t-il, sinon, aux meilleures équipes
africaines ?
– Je ne pense pas que leurs groupes soient encore
suffisamment complets pour gagner une Coupe du monde.
Individuellement, il y a des qualités mais ils vont aussi devoir retrouver des gloires. Qui est le grand joueur africain d’aujourd’hui ? Il n’y en a pas un qui me marque. Avant, il y avait Abedi Pelé, Weah. Et aujourd’hui ? Le Ballon d’Or France Football se dispute uniquement entre les Européens et les Sud-Américains. Dans les clubs européens, on a un peu trop stéréotypé le joueur africain : c’est un grand costaud au milieu de terrain et un mec très rapide
devant. Il n’y a pas de créateur.
Les stars de l’époque, ce sont El-Hadji Diouf et
Samuel Eto’o…
– Ni l’un ni l’autre n’est Weah. Ni Owen, Raul, Totti
ou Ronaldo… On en est loin. Mais pour revenir sur
les résultats africains en Coupe du monde, il faut
aussi rappeler une chose : ils partent de loin. Le
football, finalement, est à l’image de la société. Les
Africains ont du retard dans le football comme ils en
ont dans le PIB. Finalement, c’est normal. Dès qu’on
donne les moyens à des pays de jouer, ils rivalisent
avec tout le monde. En Europe, la Lettonie va disputer
le Championnat d’Europe. Les jeunes du Liechtenstein
ou du Luxembourg battent ceux d’à côté. Pourquoi ? Car
des centres de formation se créent. Mais bon, c’est
quand même bien que les Africains ne nous battent pas
trop (Il sourit.) On est quand même européens…
Les cinq tickets mondialistes accordés à l’Afrique
font débat. Certains trouvent que c’est trop…
– Il y a quelque temps, j’ai fait une proposition au
Comité exécutif de la FIFA qui consistait à dire : le
nombre d’équipes représentées devrait être déterminé
en fonction des résultats en Coupe du monde. Elle n’a
pas été suivie car c’est un débat très politique, très
compliqué. Pour l’instant, c’est cinq, voilà… Si, un
jour, un Africain gagne, ils auront peut-être plus. En
Amérique du Sud, c’est quatre et demi sur dix. En
Afrique, c’est cinq sur cinquante-deux. On peut dire
que c’est beaucoup. Mais, là-bas, certains doivent
penser le contraire.
Les clubs européens engagent de plus en plus de
joueurs africains, souvent moins chers. Constituent-ils l’avenir du foot européen en clubs ?
– Je préférerais qu’ils soient l’avenir du foot africain. Comme je préfère que les joueurs français soient l’avenir du foot français plutôt que celui des pays voisins. Mais aujourd’hui, il y a de l’exportation. On interdit les transferts internationaux chez les jeunes, c’est bien. Le
problème, c’est que par manque de structures, les joueurs ne sont pas toujours affiliés aux Fédérations. Alors, ils peuvent venir sans lettre de sortie. On ne peut pas nier une chose : l’Eldorado est ici.
« Les clubs européens savent que la CAN a lieu tous
les deux ans »
– Le départ des joueurs pour la CAN provoque souvent
de gros problèmes dans les clubs. Qu’en pensez-vous ?
(Il semble agacé.) Tous les deux ans, c’est le même
débat. Pour des raisons climatiques, cette compétition
ne peut pas avoir lieu à un autre moment. On a proposé
qu’ils la fassent tous les quatre ans, ils préfèrent
conserver ce rythme car cela leur permet de structurer
leurs pays. Quand la CAN est organisée au Mali ou au
Burkina Faso, on crée des terrains. Les clubs européens savent que la CAN a lieu tous les deux ans. Alors, s’ils ne veulent pas que leurs joueurs s’y rendent, ils n’ont pas besoin de recruter des africains.
Même si, cette année, avec la nouvelle réglementation FIFA, certains ont pu changer de nationalité…
– C’est le seul sujet difficile. Mais cette décision
est logique. J’ai appuyé cette demande car on n’a pas
été fair-play, à un moment donné, de donner des
sélections à des gosses dans nos équipes nationales.
On l’a institué volontairement pour les bloquer. Comme
à une certaine époque, les clubs n’avaient droit qu’à
deux étrangers, on a vite intégré ces jeunes en moins
de 17 ans. Cela leur permettait d’être français. Cette
mesure peut, bien sûr, poser des problèmes pour le
développement de la formation du football français. Mais je la trouve très humaine.
Allez-vous assister à la CAN ?
– Je ne peux pas me rendre au match d’ouverture, ni au
congrès. Mais je vais voir les matches à la
télévision, et j’essaierai d’aller en Tunisie pour la
finale ou les demi-finales. Pour rendre hommage au
football africain. On a besoin de lui. »
Source: L’Équipe
Mise en page: Camfoot.com