Suite de l’entretien avec Jean Claude Mbvoumin : « Je lance donc un appel au secours. La situation est grave. Il y a des centaines qui arrivent par an. Dans dix ans ils seront combien? Où va-t-on caser tous ces jeunes sans papiers, sans perspectives? Ce sont des forces, des talents qui partent. Si ça se trouve ce footballeur aurait pu être un bon informaticien, un bon maçon, un architecte ou un grand commercant. L’appel est lancé aux États, aux mouvements sportifs. Soutenez-nous… »
Camfoot.com: Quel est votre message aux média pour cette conférence de presse du 10 février?
J-C Mbvoumin : Je parle de la situation du jeune footballeur africain. On en a pas assez parlé sauf lors de cas de dérives graves médiatisés. Il faut prendre en charge ce problème. Il y a les droits de l’enfant qui sont bafoués, il y a des mineurs se retrouvant en Europe dans des situations lamentables parfois à l’insu de leurs familles. Le jeune qui traîne sans aller à l’école est peut être celui là qui va nous agresser au coin de la rue. Il faut donc se mobiliser derrière le jeune footballeur qui ne reste qu’un enfant, ce que les gens ne voient pas toujours. Ce que je veux dire c’est que le débat se recentrer sur la situation de l’enfant. Ensuite je demande une aide. Si ces jeunes viennent c’est qu’il y a une raison, on n’a pas su les retenir, on n’a pas pu les retenir. Ce n’est pas sorcier, il faut leur donner des structures, un encadrement, une éducation à la base. L’idéal serait que le jeune vienne en Europe déjà préparé à ce qu’il va trouver pour réussir son projet sportif. Au cas où son projet sportif ne marche pas, qu’il puisse se réinsérer dans un autre domaine qui sera aussi profitable à lui même et à son pays.
Je lance donc un appel au secours. La situation est grave. Il y a des centaines qui arrivent par an. Dans dix ans, combien seront-ils? Où va-t-on caser tous ces jeunes sans papiers, sans perspectives? Ce sont des forces, des talents qui partent. Si ça se trouve ce footballeur aurait pu être un bon informaticien, un bon maçon, un architecte ou un grand commercant. L’appel est lancé aux États, aux mouvements sportifs. Soutenez-nous financièrement. Aux clubs professionnels, vous utilisez les footballeurs africains, et il s’agit ici de leur avenir. 40% des joueurs du championnat de France sont d’origine africaine. Le projet que nous mettons en place est pour l’intérêt de tout le monde. Les clubs n’ont aucune retombée financière sur les jeunes qui partent, et les familles perdent leurs enfants.
Camfoot.com: Quel est le rôle des agents dans tout cela?
J-C Mbvoumin : Ils trouvent des proies faciles. Quand vous allez quelque part et que les gens sont crédules… Vous dites à une famille donnez moi deux millions et je mets votre fils à Bordeaux. Le parent vous fait confiance puisque vous venez d’Europe et voilà. Il faut armer les familles contre cela; il faut armer les présidents de club; il faut armer les jeunes footballeurs, leur dire qu’il y a des lois, des gens à qui il faut se confier. C’est pour cela que nous voulons créer des passerelles, que les gens au pays n’aient plus l’impression de voir des martiens qui leur propose la lune. Il faut que le dirigeant camerounais puisse traiter avec le dirigeant de Bordeaux, que celui là puisse venir au Cameroun, et que les vrais agents ressortent. Que se passe-t-il quand l’enfant est parti à Bordeaux et que ça ne marche pas? Qui le prend en charge après? Quand ça marche, tout le monde est content. Mais pour un Eto’o, combien de X ou de Y restent sur le carreau? combien ont même honte de retourner chez eux? Moi je connais un enfant qui jouait en Allemagne dans un petit club. Il a été viré. Chaque fois qu’il retourne au pays, il achète des maillots de club allemand, il fait floquer son nom et va les distribuer à ses amis et famille à Douala. C’est une situation complètement aberrante, ce jeune en situation d ‘échec ne veut pas qu’on dise qu’il n’a pas réussi. Aujourd’hui c’est intolérable de perdre sa vie rien que pour le sport, même si en arrière, il y a un aspect économique.
Par mon expérience, je sais ce qui se passe au Cameroun en matière de jeunes. J’ai joué en sélection provinciale, dans Canon cadets, et en sélection de jeunes. En France j’ai connu le haut niveau et aussi le bas de l’échelle. Je suis à même de reflechir à ce qu’on peut proposer au jeune footballeur pour mieux s’intégrer en Europe. Les gens en Afrique ne pensent pas à l’aspect climat, alimentation, intégration, racisme, choc de culture. Il faut préparer les jeunes à ça.
Camfoot.com: Quelle expertise ont pu apporter vos parrains Aimé Jacquet et Roger Milla à votre travail avec vos collaborateurs, Marie-Laure et Pierre?
J-C Mbvoumin : Le soutien de ces gens de poids dans le football nous a beaucoup apporté. Aimé Jacquet nous a beaucoup aidé par ses conseils dans la conception du projet.
Nos parrains nous apportent leurs conseils judicieux et aussi leur carnet d’adresse. Ils nous envoient chez des gens qui nous reçoivent parce qu’on est recommandé par Aimé Jacquet ou Roger Milla. Il y a aussi des élus et des députés qui nous soutiennent.
On a besoin des hommes politiques pour refléchir ensemble à tout ça. On dit au mouvement sportif de trouver avec nous ce que l’on peut faire ensemble pour ces enfants footballeurs qui viennent d’Afrique. On a un écho maintenant, à l’image de l’article qui est paru sur notre association dans France Football.
Camfoot.com: Concrètement comment va se présenter le projet au Cameroun?
J-C Mbvoumin : Il faut mettre en place une maison d’accompagnement pour les enfants, les moins de 18 jusqu’à 20 ans maximum. On organisera des stages pour ceux qui veulent partir en Europe, pour apprendre par exemple la vie là bas, une sorte d’éveil à la culture internationale. Ils apprendront l’anglais, l’espagnol, le portugais, pour ceux qui auront obtenu leur lettre de sortie. On organisera des campagnes d’affichage pour informer sur les blessures, comment se soigner. Il y a de quoi bien faire manger au niveau diététique le jeune aspirant footballeur au Cameroun. Il faut des bonnes volontés et de la motivation. Je suis motivé parce que je sais comment j’ai souffert quand j’étais jeune footballeur, je sais ce que j’aurais aimé avoir, je dis donc que la Maison du Jeune footballeur est une chance pour les Africains.
Camfoot.com: Comment conciliez-vous votre carrière de joueur qui continue avec vos activités associatives?
J-C Mbvoumin : Je fais deux entraînements par jour tout en enchaînant les rendez-vous. Je prends du temps pour les jeunes mais tel que le projet se dessine, si je me rends compte que l’avenir du jeune footballeur est plus important que ma carrière, je vais voir dans quelle mesure je ne jouerais plus que pour le plaisir. Pour l’instant le foot est ma passion et il me fait vivre.
Camfoot.com: Votre passion du football a été assouvie en partie au Cameroun. Quels ont été vos meilleurs moments avec les Lions?
J-C Mbvoumin : Je n’ai pas eu beaucoup de sélection avec les Lions, mais je me souviens d’un voyage en Angola lors des éliminatoires de la Coupe du Monde 1998. On a été bloqué à l’aéroport au Zimbabwé pendant 15 heures environ. On est arrivé à Luanda à 5 heures du matin. Le souvenir que j’ai de ce voyage est que le camerounais est costaud, il ne se laisse jamais abattre. Quand il y a des problèmes, il cherche toujours une solution. Tout le monde était zen à l’aéroport, on a attendu. Epallè improvisait des danses. Arrivés finalement au match à Luanda, Tchoutang marque le premier but, ils égalisent et on fait match nul un partout. Pour moi c’est ce qu’est le camerounais : capable de renverser les situations, de se battre quand il est dans un monde hostile. C’est un honneur de jouer en sélection, il ne faut pas oublier d’où on vient. Le football c’est TOUT pour les Camerounais. Il faut penser à ces gens qui aiment voir leur pays gagner, il faut respecter les supporters en mouillant le maillot.
Camfoot.com: Croyez-vous encore aux chances du Cameroun actuel pour la Coupe du Monde 2006?
J-C Mbvoumin : Il y a encore un espoir pour les LIONS ; d’abord gagner tous nos matches et ensuite compter sur les troubles fêtes comme la Libye ou le Soudan pour accrocher la Côte d’Ivoire. Il va se passer forcément quelque chose dans ces éliminatoires.
Pour en savoir plus :
le site de l’association www.footsolidaire.org
Propos recueillis par Jean-Pierre ESSO, à St GRATIEN