Terrain de football de Pecten, à Douala : on aperçoit une silhouette de taille moyenne, vêtue d’un survêtement bleu, des sandales de sport aux pieds . Une voix rappelle que c’est Mbom Ephreim, célèbre latéral gauche des Lions indomptables et du Canon de Yaoundé qui a quitté le terrain pour le banc de touche. Une voix qui n’est pas altérée par le poids de l’âge.
Comme tous les dimanches, depuis 2003, il use de son droit d’aînesse et de son expérience d’ancien footballeur pour encadrer « l’équipe du dimanche » des Weah, Ndoumbe Endene, Etame Ndedi, Otele, et l’ancien international de basket-ball Jules Lengue… Une activité qu’il mène avec bonheur : « Je suis très heureux de venir partager mon expérience avec mes petits frères qui sont venus me chercher. Cela me permet de rester dans mon milieu, mais aussi de m’amuser avec ces jeunes surtout lorsqu’il faut assurer la discipline car ils sont pour la plupart très désordonés et très gentils « . A côté de celle-ci, il met son expérience auprès des jeunes de minimes et cadets d’une l’école de football à Douala. Entre temps, il a été remercié de la Régie National des Chemins de Fer du Cameroun (RNCFC) en 1990 alors qu’il avait cessé de jouer au football quatre années plus tôt.
Si comme tous les enfants, Mbom Ephreim est attiré par le football, sa motivation principale au début des années 70 est surtout de ressembler à son idole Mbappe Leppe et de jouer un jour dans une grande équipe telle que l’Oryx de Douala. Le champion d’Afrique 1980 face à Bilima n’avait pas les qualités d’un attaquant, mais il sera donc un latéral de métier. Pourtant, ce n’est qu’à 20 ans qu’il signe sa première licence de football alors que d’autres jeunes de sa génération font déjà le bonheur de Eclair ou Tonnerre, tels Thomas Nkono ou Albert Roger Milla. Tout commence avec son recrutement dans le Canon de Yaoundé qu sera impressionné par le talent de ce latéral qui évolue à l’époque au Léopard de Douala. Mbom est venu prendre part au tournoi inter poules avec son club. Malgré l’échec de son équipe, il s’en sortira avec une place dans le Canon de Yaoundé où il va rejoindre Aoudou, Akono Jean Paul, Abega, Nkono et Manga Onguene…
Différence
Ceci marque le départ d’une carrière fulgurante. Nous sommes en 1977. Après une saison d’adaptation, il devient titulaire dès 1979. Ses performances lui valent une trentaine de sélections, jusqu’à cette vilaine blessure au genou droit qui le privera de la grande fête de la Coupe d’Afrique des Nations en 1984 à Abidjan (Côte d’Ivoire). Mais avant, il aura eu le plaisir de prendre part à la première Coupe du Monde du Cameroun en Espagne. Il explique dans quelles dispositions ses coéquipiers et lui se trouvaient : « Tout en reconnaissant qu’à l’époque, nous venions, avec le Canon d’être sacrés Champion d’Afrique face à Bilima de l’ex-Zaïre, performance qui nous valut le célèbre bana ba cameroun bazalaki sorciers*, et avec l’équipe nationale une participation moyenne à la CAN en Libye sans défaite, nous n’avions pas d’expérience avec le niveau mondial. Il n’y avait pas de télévision comme aujourd’hui. Tout ce que nous savions de l’étranger c’était des photos des journaux sportifs de l’époque, nous découvrions nos adversaires sur le terrain, je reconnais qu’animés par un sens élevé de patriotisme et le désir de ne pas être ridicule comme le Zaïre en 1974, nous étions mentalement préparés à nous battre « .
Et à l’arrivée, trois matches nuls dont un contre le futur champion du monde : l’Italie de Paolo Rossi. Une performance qui est restée exceptionnelle jusqu’à ce jour, même si les conditions de jeu ont beaucoup évolué et la configuration de l’équipe nationale a elle-aussi beaucoup changé. Etre professionnel est maintenant synonyme de sélection. Une situation que déplore le coach de « l’équipe du dimanche » : « Il est regrettable que l’ossature des Lions actuels ne soit constituée que de joueurs professionnels ! A quoi sert le championnat de première division ? C’est une situation qui doit évoluer car je reste convaincu que si les joueurs locaux sont enrôlés à l’équipe nationale , la D1 serait plus attrayante ».
Cela diminuerait également l’exode massif des jeunes joueurs et relèverait le niveau du championnat de D1. Malgré son éloignement des grands centres de décision du football camerounais, il appartient depuis le début de l’année 2004 à l’Association des anciens joueurs de Canon de Yaoundé qui s’est réunie la première fois pour discuter des problèmes de gestion dont souffre l’équipe de Nkoldongo depuis quelques temps.
Il suit l’évolution du football national et international. S’il est conscient de la différence qui existe entre la gestion du football des années 80 et celle d’aujourd’hui, il invite ses jeunes frères à plus de responsabilités : « à notre époque, on jouait par amour et avec beaucoup de foi. Or, maintenant les jeunes jouent d’abord pour de l’argent, et je les comprends… Car si nous avions eu leurs opportunités, peut-être que nous serions mieux vus dans la société. Au de-là de mon soutien , ils devraient cultiver l’esprit patriotique car ce n’est pas en portant le maillot du Cameroun que leur compte en banque double de volume, leur contrat professionnel s’en charge. Ils devraient donc jouer d’abord pour faire plaisir à l’exigent public camerounais ».
Par ailleurs, Mbom Ephreim estime que les Lions indomptables, au de-là des décorations, méritent des égards mais, il leur revient à leur tour de le prouver en faisant montre d’un peu plus de discrétion, d’humilité et de sobriété car, reconnaît-il, « il était très difficile de voir notre vie privée faire la une des journaux – même si je reconnais que la presse chez nous s’occupe un peu trop de la vie privée des joueurs, ou de nous voir traîner dans les boîtes de nuit les veilles de matches importants comme c’est le cas pour nos jeunes Lions ».
Lions indomptables
En ce qui concerne le jeu de l’équipe nationale, l’ancien défenseur a sa petite idée sur le manque de résultats observés chez les Lions : « J’ai l’impression que l’équipe actuelle est essoufflée. Il faudrait la réorganiser, lui imprimer un autre rythme ; elle vient de subir trois échecs : Coupe du Monde 2002 ratée, élimination précoce de la CAN, absence aux JO d’Athènes… Il faut un nouveau départ et pour cela il est urgent de changer d’entraîneur. L’équipe a besoin d’un regard neuf. J’ai le sentiment que les joueurs sont embarrassés face à leur entraîneur actuel et ils ont eux-mêmes compris qu’il a des limites ».
Cela restera juste l’avis de Mbom qui n’aura pas connu que des joies à l’entame de ses 50 ans. La belle victoire camerounaise à la CAN de Côte d’Ivoire s’est faite sans le latéral, il s’est vu fermer les portes de cette glorieuse épopée par une blessure au genou qu’il ne réussira pas à soigner et le contraindra à partir du Canon en 1984 pour Dragon de Yaoundé, où il ne restera que deux saisons, avant de mettre un terme à sa carrière.
Louisette R.Thobi, Mutations