Monsieur le Ministre,
J’ai l’honneur de venir par la présente vous féliciter à nouveau pour la confiance faite par S.E. M. Paul Biya – Président de la République, Chef de l’Etat – en votre personne, en vous confiant, dans son présent gouvernement, le département très sensible des Sports et de l’Education Physique.
J’ai été profondément touché que le Chef de l’Etat ait, pour la première fois, nommé à cette haute fonction, un grand sportif qui cumule trois statuts dans le sport (sportif, dirigeant de club et aujourd’hui administrateur du sport), et j’ai le grand espoir, ainsi que tous les Camerounais d’ailleurs, que vous serez à la hauteur de la tâche qui vous a été confiée.
Si votre nomination est un honneur que le Chef de l’Etat a fait à vous et au monde sportif camerounais, soyez certain que cet honneur comporte des devoirs, car la responsabilité qui vous est confiée est lourde et pluridimensionnelle, surtout à l’exigence des Grandes Ambitions. En effet, en suivant, avec une attention particulière, l’évolution depuis 1967, de Secrétaire Général au Président du Conseil Supérieur des Sages de l’Union Sportive de Douala, soit 38 ans du mouvement sportif national, on y constate beaucoup d’incohérence et de fragilité dans la perception des faits, lesquelles ont souvent abouti à des décisions très hasardeuses du Chef de Département des Sports.
Vous devez savoir, Monsieur le Ministre, que le sport est une science et comme toute science, il a besoin d’une profonde réflexion et d’une sérieuse analyse des faits, devant conduire automatiquement à des conclusions concrètes.
En votre qualité d’ancien sportif et surtout dirigeant de club, je ne pense pas que vos victoires sportives d’hier avaient été le fait du hasard. Si tel avait été le cas, vous ne devriez pas, bien sûr, en être fier. Sur le plan des infrastructures, on comprend mal aujourd’hui qu’un pays, double champion olympique en football et en saut, se trouve en permanence dans une incapacité notoire de réfectionner totalement deux stades omnisports inachevés depuis 1972 qu’on se contente de bricoler tout le temps, ou d’achever celui de Bafoussam, soit 33 ans d’errance infrastructurelle.
Nous venons de recevoir du Comité Olympique International un carton jaune.
Sur le plan de l’organisation des compétitions, on comprend mal aussi, qu’un pays qui, depuis plus de 20 années de réussite internationale couronnée par 4 trophées continentaux, deux médailles d’or olympique et auréolé de 4 mandats à la Caf, avec plusieurs présidents sur la scène africaine et internationale (Issa Hayatou football, Kalkaba Malboum en athlétisme), qu’un tel pays ne puisse pas devoir organiser, depuis 1972, une seconde Coupe d’Afrique des Nations. Ce qui, à mon avis est une honte, quand on sait que nous ne gagnons nos trophées que sur les stades des autres pays, parfois moins nantis que le Cameroun.
Disons tout simplement un Grand Merci au regretté professeur René Essomba et au Roi actuel des Bamoun, sa Majesté Mbombo Njoya, alors respectivement Président de la Fédération Camerounaise de Football et Ministre de la Jeunesse et des Sports, pour avoir eu le courage d’organiser en 1972 cette fameuse 8e Coupe d’Afrique au Cameroun.
Sur le plan des équipes nationales de football, on comprend mal en plus, qu’un pays comme le nôtre ne gagne ses titres africains qu’avec des joueurs «importés», c’est-à-dire préparés par les autres alors qu’à notre époque, sur les 22 éléments de la liste, 85% étaient des joueurs du championnat national et vous le savez parfaitement. Cette situation est regrettable, d’autant plus que ces joueurs «importés» qui ont été formés par nous avant de partir sont depuis fatigués et sont directement remplacés aujourd’hui par des jeunes qui n’ont pas, pour la plupart, évolué au bercail, et qui pêchent par une naïveté extraordinaire et un manque notoire de compétition africaine. C’est pourquoi j’ai peur d’une fracassante humiliation qui se dissimule petit à petit à l’horizon.
Sur le plan des résultats de nos clubs, comment expliquer que depuis 1981, date à laquelle Union Sportive de Douala avait gagné la dernière coupe sur le plan continental, aucune autre équipe camerounaise n’a plus jamais gagné de trophée, alors que depuis plusieurs années quatre équipes au lieu de deux, se baladent inutilement sur le plan africain. Les ministres, les dirigeants de la Fécafoot sont là et respirent tranquillement l’air frais dans une insouciance troublante et surtout coupable. Je voudrais vous dire simplement que je suis fatigué d’attendre mon successeur sur le trône africain, car j’ai déjà battu le record de longévité et je n’en veux plus. 24 ans c’est trop.
Les victoires de l’Union Sportive de Douala n’étaient pas hasardeuses, c’est-à-dire ponctuelles, mais élaborées et permanentes, de 1975 à 1981 comme vous le savez. Elles étaient tout simplement l’œuvre d’une équipe soudée et responsable de leur devoir face à la jeunesse et à la nation et je n’étais qu’un simple chef d’orchestre qui pouvait compter sur la clairvoyance de ses techniciens, sur le soutien total de ses membres, sur la combativité de ses joueurs, et enfin sur l’encouragement moral du gouvernement, en un mot, c’était un ensemble solide, fier d’appartenir à une grande famille, conscient d’appartenir à une équipe ambitieuse et à une grande nation, le Cameroun. Et en plus, ces victoires étaient surtout le résultat d’une stabilité reconnue à tous les niveaux (membres, joueurs, techniciens et dirigeants) et la prise de conscience individuelle de chaque partenaire de porter toujours plus haut l’étendard de l’Usd et, partant du Cameroun, notre beau pays. Voilà le secret de nos victoires.
Un autre point troublant est l’oubli gênant à tous les niveaux : Fécafoot, ministère, présidence… de tous ceux qui ont sacrifié leur famille et leurs revenus, pour faire vibrer Ô Cameroun, de l’Afrique du Sud en Algérie, de Tanzanie au Sénégal. C’est une ingratitude choquante voire douloureuse et inacceptable. Inviter officiellement un ancien président à assister tout simplement à la finale d’une coupe africaine, voire nationale, à participer à une cérémonie officielle à la présidence, pouvons-nous savoir combien cela coûtera, par rapport aux énormes sacrifices consentis hier ? Zéro franc. Et de toutes les façons, en ce qui me concerne, finales, présidence, c’est du passé vécu.
Ne soyons pas ingrats. La nation reconnaissante doit l’être pour tous ces valeureux fils qui ont souffert pour elle tels que Paul Norland Mbous qui a tout perdu pour Dynamo, Ondoua François de Tigre, Koungou Edima Ferdinand – l’inoubliable et l’incontournable permanent Président Honoraire de Canon et j’en passe. Dans d’autres pays, ils seraient les membres d’honneur à vie de la Fécafoot, du ministère des Sports… Mais hélas chez nous…
Je profite de l’occasion pour rendre un hommage mérité à un ancien ministre qui a toujours mon admiration, M. Félix Tonye Mbock qui n’hésitait pas à présider le congrès des clubs notamment (Union Sportive de Douala en 1976) et surtout à inviter les autres dirigeants à accompagner les équipes engagées sur le plan africain.
C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés en Guinée avec MM. Tsanga Soter et Omgba Zing Martin du Tonnerre, Ntamack Dieudonné de Dynamo, le roi Ngompe Elie de Racing, etc…, pour accompagner Canon – Quel bel exemple de cimentation de l’Unité Nationale par le Sport.
Je crois profondément que votre expérience dans le sport vous donne plus d’atouts pour réussir dans l’accomplissement de votre mission. C’est pour cela qu’en attendant que le Chef de l’Etat vous enlève, parce que vous n’êtes pas éternel à ce poste précaire, pouvez-vous au moins aller vers les anciens présidents des clubs pour un simple bonjour ? Soyez plus intelligent que vos prédécesseurs qui ne l’ont jamais fait et cela ne coûte pas grand-chose. Quand j’avais passé la nuit sur les banquettes de l’aéroport à Dar-ès-Salam en 1979 en partance pour le Losotho, avec mes joueurs, Bep Pierre, Ekoule Eugène, Bell Joseph Antoine, Ndjeya René, Kang Wilson, Ename, Doumbe Lea, Kamga Joseph, Mayebi, etc…, où quand je mangeais dans le même plat avec eux, je me demandais si mon titre de Président avait perdu de sa valeur ? Non bien sûr. Peut être, c’est cette complicité motivante qui nous a fait gagner au Losotho devant le Roi par 2 à 0.
Pourriez-vous penser à l’organisation par le Cameroun d’une Coupe d’Afrique des nations, ou même d’une simple coupe Cemac? J’espère qu’on ne nous brandira pas, comme cela est de règle aujourd’hui, la pancarte facile de Ppte. L’histoire vous en sera reconnaissante, même si l’organisation était faite au stade Mbappe Leppé – ex stade Akwa. Les Lions Indomptables n’ont-ils pas joué le mercredi 09 février au stade de Créteil en France contre le Sénégal ? On est descendu très bas, quelle honte. Enfin, où nous en sommes réellement avec les retombées financières de toutes les multiples victoires sur le plan africain et mondial depuis 1985 ? Que sont devenus les multiples contrôles ? Qui est-ce qu’on trompe réellement ?
Pouvez-vous nous montrer une réalisation concrète ? Si à Douala, on avait au moins clôturé l’emprise du stade omnisports qui est aujourd’hui occupée par les bœufs et les camions ou aménagé au moins les tribunes et mis du gazon aux stades annexes de Douala et de Yaoundé, on dirait au moins merci d’avoir apporté un plus à ce que nous avons laissé. On nous dira que la Fécafoot a un siège, mais avec l’argent investi, on aurait fait mieux. C’est vrai qu’au Cameroun le ridicule ne tue pas, on est au contraire satisfait du médiocre.
En parlant enfin d’autres sports, je ne voudrais pas trop vous encombrer toutefois, nous nous demandons en réalité que deviennent notre boxe, notre athlétisme, etc… ?
Il est vrai que pour l’athlétisme, on est content de la victoire exceptionnelle de Mbango à laquelle personne ne croyait. Combien avons-nous investi pour sa préparation ?
Que sont devenus les parcours Vita de Douala et de Yaoundé, que le Chef d’Etat avait gracieusement offerts aux sportifs ?
Quant à la boxe qui était jusqu’à un passé récent, un instrument de fierté nationale avec le football, on n’en parle plus. La pauvreté des infrastructures est totale : le peu que nous avons laissé, n’est même pas entretenu, c’est une triste réalité.
Nous nous réjouissons avec l’Union Sportive de Douala d’avoir été en 1978, champion d’Afrique avec Emebe Jean Marie. Mbappe Leppé est mort, abandonné à l’hôpital Laquintinie, j’ai peur que le même sort soit réservé à Bessala. Faudrait-il vous rappeler, M. le Ministre et vous le savez parfaitement, que la personne qui vous écrit n’est pas un néophyte dans le monde des sports, et encore un démagogue. Les résultats sont là pour une éclatante et évidente démonstration. De toutes les façons le seul et unique triple champion d’Afrique, du Cameroun et peut-être d’Afrique (champion d’Afrique en boxe avec Emebe Jean-Marie en 1978, champion d’Afrique des Clubs en 1979, vainqueur de la coupe d’Afrique en 1981) ne saurait être ni un griot, ni un aventurier.
Qui a fait mieux se signale ? Vous avez été toujours et toujours un de mes admirateurs que vous appelez couramment l’empereur, c’est d’ailleurs pourquoi je vous écris étant convaincu du sérieux que vous apporterez à la teneur de cette lettre, qui n’est qu’une simple interpellation d’un Camerounais parmi tant d’autres qui, chaque jour qui passe, s’inquiète de l’avenir de notre sport en général et particulièrement de notre football dont les résultats ont pris, depuis un certain temps, une courbe dangereuse à tous les niveaux (national – africain et international). Elle n’est surtout pas une invitation à provoquer un millième forum national qui pourrait faire croire qu’on puisse trouver, en un jour, des solutions miracles, ni non plus une suggestion à m’inviter à présider quoique ce soit, car pour ma part, un travail discret et efficace a plus de chance de réussir, que la création de multiples commissions inutiles et des tam-tams à la Radio et dans Cameroon Tribune.
Les Grandes Ambitions de S. E. M. Paul Biya, Chef de l’Etat, Président de la République, exigent des résultats et non plus des discours inutiles et surtout ennuyeux. Il attend sa première coupe africaine des clubs. C’est aussi une haute interpellation à chaque Camerounais et surtout aux ministres qui rejettent à chaque fois, honteusement, leur faillite sur la présidence. Comme si…
Il y a un moment où l’action est plus importante que la théorie ou des promesses inutiles, souvent fallacieuses. Et j’ose vivement espérer que la teneur de ma lettre sera bien comprise. J’en serai fier. Il est de mon devoir, pour une objective sensibilisation, d’adresser les copies de ma lettre à S.E. M. Paul Biya, président de la République et à S.E. M. Inoni Ephraïm, Premier ministre, car il est temps de changer et pour beaucoup de Camerounais, les Grandes Ambitions signifient les grandes réalisations, c’est tout.
Tout en vous réitérant mon fraternel respect et en vous redisant, avec l’Union Sportive de Douala, notre réel désir d’avoir un successeur sur le plan continental, car nous sommes fatigués de l’attendre depuis 1981, Je vous prie, Monsieur le ministre des Sports et de l’Education Physique, d’agréer mes salutations très distinguées, auxquelles je joins mes sentiments sportifs et mes meilleurs vœux pour l’année 2005.
Par Prince E. Ngassa Happi