Un phénomène bizarre parcourt le monde du football européen depuis deux ans, et l’échec inattendu de la France au premier tour de la Coupe du monde Corée/Japon 2002. La France était championne du monde en titre, et sa sortie prématurée de la compétition, qui fut ressentie douloureusement à travers tout le pays, avait amené les dirigeants du football français à modifier leur méthode de recrutement du sélectionneur national. On fit d’abord un appel à candidatures, on auditionna ensuite les candidats avant de désigner le successeur de Roger Lemerre.
Le même manège a repris après l’échec de l’Euro 2004. Et cette fois, d’autres nations se sont retrouvées dans la situation de la France, parmi elles, l’Allemagne.
Rudi Völler a démissionné, et il faut lui trouver un successeur. Pressentis, Ottmar Hitzfeld et Otto Rehhagel ont décliné l’offre. Parmi les nouvelles candidatures, on retrouve le Néerlandais Guus Hiddink, le Danois Morten Olsen et l’Allemand… Winfried Schäfer. C’est le Kaizer Franz Beckenbauer, icône historique du football allemand, qui a rendu publique la candidature de l’entraîneur actuel des Lions indomptables du Cameroun. Comment cela a-t-il été possible?
Dans l’édition de Cameroon Tribune de mercredi dernier, Schäfer nie avoir eu le moindre contact avec la Fédération allemande de football, alors que son nom a été évoqué par le vice-président de ladite fédération en la personne de Beckenbauer. Le coach des Lions avait déjà fait le même coup après la Can Tunisie 2004, quand il prit à contre-pied le secrétaire général de la Fédération égyptienne de football qui affirmait mordicus que celle-ci, en quête d’un sélectionneur pour les Pharaons, était en pourparlers avec M. Schäfer. C’est vrai que toutes les rumeurs ne sont pas fondées, mais le fait que le nom du patron des Lions indomptables, avec lesquels il a un contrat courant jusqu’en 2006, soit régulièrement cité dans les pays à la recherche d’un sélectionneur pose au moins un problème: celui de savoir si le technicien allemand (au-delà de ses déclarations d’intention) a réellement un projet sportif avec l’équipe du Cameroun.
Winfried Schäfer n’a que trop rarement et faiblement montré sa disponibilité à travailler en permanence pour les Lions indomptables. Un an et demi après sa nomination, il n’avait toujours pas de logement à Yaoundé, préférant se prélasser dans son Allemagne natale ou il coordonnait des simulacres de regroupements de l’équipe du Cameroun, en compagnie de quelques joueurs évoluant en Europe. Il a fallu la grosse déception de la Can 2004 en février dernier, pour que le ministre des Sports de l’époque, Bidoung Mkpatt, annonce solennellement l’obligation faite au sélectionneur de résider au Cameroun. Mais, la récente élection de l’intéressé au conseil municipal de son village natal, et le fait qu’il ait souligné il y a deux jours qu’il a besoin de vacances parce qu’il a passé cinq semaines d’affilée à Yaoundé (un calvaire à son goût), témoignent encore de ce que le technicien aux cheveux blonds semble véritablement en transit chez nous.
Et si l’on évacue cette dimension de résidence continue au pays des Lions indomptables, les états de service et les arguments techniques de l’homme plaident-ils pour une valeur marchande capable de remuer le marché des transferts? L’univers du football est plein de surprises et on pourra bien s’accommoder aussi de celle-là. Seulement, une équipe en quête de renaissance comme la Mannschaft allemande prendrait un gros risque en confiant sa destinée à un entraîneur qui sort de deux échecs cuisants, malgré un effectif de qualité : à la Coupe du monde 2002 (avec un match contre l’Allemagne, perdu 0-2 sur le plan tactique) et à la Coupe d’Afrique des nations 2004. Au Cameroun, M. Schäfer n’a pas su préserver le bel héritage qui lui a échu. En Allemagne, c’est une équipe à reconstruire en moins de deux ans et à mener le plus loin possible à la Coupe du monde 2006, laquelle se joue à domicile. Avec une vraie pression sur le dos de l’entraîneur. Rehhagel et Hitzfeld n’ont pas refusé le cadeau pour rien! Que Winfried Schäfer, qui n’est pas à une contradiction près, y aille donc!
Emmanuel Gustave Samnick