Mon jeune confrère Jean Lambert Nang aura désormais mesuré en perdant son poste de chef de service des sports à la Crtv-télé, combien il en coûte de préférer aux idées originales du Pr. Mendo Ze la pensée «imbécile» d’un rêveur de l’antiquité comme Aristote.
Celui-ci disait en effet, trois cents ans avant Jésus-Christ, que «l’on peut avoir de l’affection pour les amis et la vérité, mais la moralité consiste à donner la préférence à la vérité». Malheureusement, nous sommes en 2004 après Jésus-Christ, et, au Cameroun plus qu’ailleurs la moralité n’est plus une vertu, tandis que la vérité est suicidaire. Jean Lambert aurait dû, dans la logique domestique, donner la préférence au mensonge convenu, pour protéger le système qui le nourrit. Il lui restera le mérite d’avoir honoré les règles de son métier et respecté ses téléspectateurs.
Pourtant, il n’a dit que la stricte vérité. La sanction de la Fifa qui frappait surtout les Lions Indomptables et le public sportif camerounais était le résultat des manoeuvres cupides et extra-sportives doublées d’une arrogance inconséquente du ministère de la Jeunesse et des sports.
Le président de la République a frappé où il fallait ; encore qu’il resterait à savoir ce que le ministre a fait avec l’argent. Le sport a repris ses droits et l’on sait dans quelles circonstances le congrès de la Fifa a annulé la sanction qui frappait les joueurs et leur public. La chasse aux sorcières devrait donc cesser en ce qui concerne la Fécafoot. Car au Cameroun et cela dure depuis 32 ans c’est bien le ministère de la Jeunesse et des sports qui gère singulièrement l’équipe nationale de football et tous les clubs engagés dans les compétitions africaines de clubs. Et cela en vertu d’un décret présidentiel qui fixe le statut des Lions Indomptables.
Il aura même fallu l’intervention de la Fifa en 1999 pour que la Fécafoot cesse d’apparaître comme une direction du Minjes, et redevienne la fédération des associations de droit privé ou (clubs) pratiquant le football, alors que l’article 10 de la Charte des sports de 1996 (alinéa 2) stipule que les clubs civils sont rassemblés à l’échelle nationale par la fédération. L’article 16 de la Charte quant à lui indique (a.1) que «les fédérations sportives sont placées sous le contrôle du ministre chargé des sports …». Une tutelle de contrôle que je sache, n’est pas une tutelle administrative ou de gestion.
Si les choses se passaient sur le terrain conformément à ces dispositions d’une Charte relativement liberticide, la Fécafoot serait entièrement responsable des Lions Indomptables. Or voici d’où vient le flou.
– Primo, l’article 16 cité plus haut dit en son alinéa 2 qu’un décret d’application précise les modalités du contrôle du ministère chargé des Sports sur les fédérations sportives. Si ce décret existe déjà, c’est qu’il est encore secret.
– Secundo, l’article 25 pour sa part dit que «le statut des sélections ou équipes nationales sportives des différentes disciplines sportives est fixé par des textes particuliers». Ces textes particuliers ont-ils déjà été pris ? Rien ne l’indique. Rien ne permet par conséquent de penser que les termes du décret 72 signé par M. Ahidjo aient changé en ce qui concerne le statut et la gestion des équipes nationales.
Le dindon de la farce
Ce flou entretenu à dessein permet aux ministres successifs des Sports de camoufler derrière la Fécafoot qui fait office de dindon de la farce, leur interventionnisme très intéressé dans la gestion des Lions Indomptables, sous le fallacieux prétexte que c’est l’Etat qui finance l’équipe. Comme si l’Etat n’avait pas précisément l’obligation de financer la promotion des sports. L’article 4 de la Charte qui est clair à ce sujet ne prévoit pas de contrepartie financière à l’action de l’Etat que générerait les activités sportives. Il serait malheureux de faire croire que l’Etat finance l’équipe nationale du Cameroun comme il investirait dans une entreprise publique à but lucratif.
Quoi qu’il en soit la Fécafoot ou plutôt ses présidents, ont toujours voulu et su avaler les couleuvres, pour couvrir les turpitudes de leurs ministres de tutelle, depuis celui à qui un secrétaire général de la présidence de la République demande d’ouvrir un compte pour planquer les 1,9 milliards cfa de la recette des Lions Indomptables après le Mondial 90, jusqu’à l’actuel qui, à Tunis a préféré prendre sur lui la promesse de faire changer de maillot à l’équipe, au lieu d’indiquer à M. Blatter qu’il devait en réalité s’adresser au ministre de la Jeunesse et des sports, partie dans le contrat avec Puma en lieu et place de la fédération.
En fait, ce n’est pas la Fécafoot, mais le gouvernement qui nomme l’entraîneur des Lions, leurs directeurs technique et administratif. C’est le Minjes qui gère les fonds que l’Etat débloque pour le rassemblement des joueurs. C’est le Minjes qui dirige la délégation camerounaise aux compétitions internationales, même si sur place c’est la Fécafoot qui participe aux réunions techniques de la Caf et de la Fifa, parce que ces structures traitent avec leurs membres et non avec les gouvernements. Dans ces conditions, il faut bien que les Camerounais comprennent que la Fécafoot, n’en déplaise à tous les Gérard Dreyfus de France et du Cameroun, ne peut être tenue pour responsable des forfaitures du Minjes. Le problème, c’est que apparemment, personne ne veut dire à l’opinion publique qui est qui et qui fait quoi sous l’ombre des Lions.
C’est d’ailleurs en quelque sorte l’histoire qui se répète quand on se souvient qu’en 1972, lorsque le président Ahidjo exigea que les responsabilités de la débâcle de l’équipe nationale à la 8ème coupe soient établies, le Minjes initia plutôt un procès en détournements des deniers publics contre les membres du Comité d’organisation. D’honorables citoyens de ce pays furent jetés en prison sans qu’on ait vérifié les comptes bancaires où ils affirmaient avoir déposé les recettes de la coupe. Certains en sont morts… Et la magouille a continué. Jusqu’à nos jours ! Avec le même recours à la tactique du bouc-émissaire.
En désignant à la vindicte les dirigeants actuels de la Fécafoot, il est possible que des lobbies mafieux aient voulu profiter de l’affaire Fifa-Minjes pour régler des comptes internes au football camerounais. Drôle de maladresse quand on sait d’abord que ces dirigeants ne gèrent pas l’équipe nationale, quand on sait ensuite qu’ils ont été élus conformément aux statuts-type de la Fifa, quand on sait enfin, sur la foi d’un contrôle de l’Igera bouclé le 13 janvier 2004, que l’équipe de Iya Mohammed a pu payer 44 mois d’arriérés de salaire au personnel de la fédération, et honorer plus de 80% les vieilles créances de 732 millions cfa dont elle a hérité ; sans compter l’acquisition d’un siège pour la Fécafoot et d’un terrain pour le projet Goal à 115 millions cfa. Même si elle n’a pas encore payé la Cnps.
Pourtant, c’est bien le gouvernement qui gère les milliards engrangés par les Lions Indomptables depuis ses quatre participations à la Coupe du monde, lesquels milliards sont désormais inscrits comme recettes du budget de l’Etat (voir Loi des finances 2004).
Alors qu’on laisse donc la Fécafoot tranquille. Surtout à l’heure où la Fifa vient encore de démontrer avec la suspension du Kenya qu’elle n’apprécie pas du tout les interventions intempestives telle que la suspension de l’Assemblée générale de la Fécafoot par le Sg de la présidence dans les affaires de ses fédérations membres. Le cas du Kenya est un signal plus fort que la dernière correspondance de Blatter à ceux qui veulent relire les statuts de la Fécafoot, comme si c’était les textes qui étaient en cause et non les hommes chargés de leur application.
Jean Baptiste Sipa, Le Messager