En Afrique du Nord et dans les régions fortement islamisées, on a tendance à assigner à des phénomènes surnaturels ou incompréhensibles des causes immédiates et directes. Généralement, Allah explique tout. C’est donc à lui qu’on finit toujours par tout attribuer. C’est la façon qu’ils ont de somatiser dans ces pays de l’autre côté du Wouri. Alors, somatisons un peu.
Auparavant, je dois avouer qu’il y a un problème, pour nous qui ne sommes pas musulmans ou qui n’avons pas la grâce. Le problème est que Allah étant Dieu, il fait évidemment ce qu’il veut et n’a ni à être juste ni à expliquer ses faits et gestes. Nous ne pouvons donc jamais obtenir de lui qu’il réponde, qu’il nous confirme quoi que ce soit. Mais faisons comme si de rien n’était.
La victoire des Grecs à l’Euro 2004, que certains de mes lecteurs ont brandie pour stigmatiser la mauvaise foi qu’ils suspectaient dans mon propos, n’est évidemment pas la fin du foot dans la mesure où je ne voulais pas entendre par là que le foot finissait parce qu’un petit pays avait gagné une compétition majeure. Les Grecs sont de bons champions ; peut-être pas exemplaires, mais cela n’enlève rien à leur victoire. Ils ont gagné parce que Allah l’a voulu, bien sûr. Mais on peut aussi dire que leur victoire est révélatrice de la mutation profonde, du bouleversement si vous voulez, que subit le football, et de la naissance d’un nouveau jeu que nous connaissons encore mal et que nous ne sommes pas sûrs d’aimer.
Mais on n’a pas besoin des Grecs pour illustrer la fin du foot comme nous l’avons toujours connu et adoré. Restons chez nous, chez les Lions indomptables.
Revoyez les Lions d’avant la Coupe des confédérations. L’équipe devenait une machine bien huilée qui commençait à maîtriser un jeu compétent, dur, méchant et parfois même négatif. Il y en a qui aimaient ; il y en a qui se posaient des questions, mais tous reconnaissaient que nos Lions avaient les moyens de faire mal.
Arrive la Coupe des confédérations, une compétition relativement mineure, et nous assistons dans une extrême douleur à la mort de notre compatriote.
Marc-Vivien est mort comme nous mourrons tous, parce que Allah l’a voulu ainsi. Soit. Mais Marc-Vivien est mort aussi parce qu’il a joué, qu’on l’a laissé jouer, alors qu’il n’était pas dans les conditions optimales pour exposer son corps à la torture physique extrême d’un match de haut niveau. L’équipe aurait pu pourtant se passer de lui le temps de quelques matchs, l’enjeu de la compétition n’étant pas si grand.
Mais non, il fallait absolument qu’il joue. Parce que Marc-Vivien était devenu une pièce maîtresse, un maillon essentiel d’une chaîne qui aurait perdu de son coulant sans la courroie et l’agglomérant que constituait notre compatriote. C’est la clé, c’est là le tournant. Dans la chaîne du nouveau jeu qui se développe, tous les acteurs se spécialisent et se consacrent à une tâche unique, qu’ils sont appelés à maîtriser de façon quasi-instinctive. On ne remplace pas au pied levé un de ces maillons sans risquer d’enrayer toute la machine. J’en veux pour preuve nos Lions sans Marc-Vivien.
Nous avons remplacé Tokoto, Milla, Abéga, Mbida, Omam et bien d’autres. Pourquoi pensez-vous qu’il soit si difficile maintenant de trouver un remplaçant à Kalla, pourtant en surface très facilement remplaçable ? Et qui pensez-vous va remplacer Marc-Vivien ?
Nous allons pleurer notre compatriote pendant encore longtemps. Non pas parce que le talent manque pour le remplacer, mais simplement parce que le football qu’ont bâti des entraîneurs sans foi qui ont succédé aux géniaux Yougoslaves et Roumains des années 70 et 80 n’est plus le jeu du talent, mais un système sans joie qu’animent des hommes investis d’une seule tâche : faire de la résistance, s’accrocher, ne prendre aucun risque.
Lorsqu’une forte tête comme Rigobert Song prend un bon risque, on assiste au but de Utaka, parce que Djemba ne sait pas encore quoi faire dans le système des entraîneurs allemands du football planétaire. Je suis convaincu que, Foé sur le terrain, il n’y aurait jamais eu ce fameux but des Nigérians qui nous a coulés.
On va essayer dix Djemba, autant d’Emana, d’Olembé et de Mbami, mais nous allons continuer de souffrir parce que la brèche ne sera pas colmatée avant très longtemps. Mais surtout -et la dernière sortie des Lions le laisse croire- nous n’allons plus gagner aussi régulièrement que par le passé.
Le football nouveau ne se mesure plus qu’à l’aune du système universel gagnant, exclusivement. Et qui dit système dit pions irremplaçables pendant toute leur vie utile. Le Cameroun en a perdu trois -Kalla, Etamé et Foé- presque en même temps : c’est beaucoup pour ça que nous sommes pratiquement hors de la course.
Pour quelle raison, pensez-vous, les mêmes joueurs jouent-ils de trente à cinquante matchs en dix mois ? Simple : sans les mêmes soirée après soirée, les grandes équipes de foot ne sont plus les mêmes. Il faut que Totti joue, que Pirlo soit présent, que Giuly ne manque pas à l’appel, que Makélélé et Figo soient toujours frais et dispos, que Kalla soit interdit de faire valoir ses droits à la retraite.
Et comment pensez-vous qu’ils arrivent à tenir dans un tel régime ? N’ébruitez pas la chose, mais je suppose beaucoup de cortisone pour tuer la douleur et, peut-être, pourquoi pas c’est à la mode, quelques composés chimiques pour doper la résistance de l’organisme. Et tout cela pour quel résultat, vraiment ?
Des joueurs mal intentionnés et mauvais coucheurs ; des entraîneurs atrabilaires et, par dessus tout, des supporters excédés, sevrés de bon foot qui trouvent dans le hooliganisme un exutoire parfait pour leur mauvaise humeur.
Ne me parlez surtout pas de la Tchécoslovaquie ou du Gabon. Bien sûr, j’ai vu le Gabon étriller les Algériens ; bien sûr j’ai vu les Tchèques ressusciter le foot sans peur et sans reproche ; j’ai même vu AS Babimbi . C’était joli, j’ai adoré, je le reconnais volontiers. Mais ces prestations ne suscitent au mieux que de faux espoirs. Le Gabon, AS Babimbi et la Tchécoslovaquie se sont trompés d’époque. Ce football est fini et bien fini. C’est Allah qui le veut ainsi. Il faut s’en accommoder, car Il n’a de compte à rendre à personne, et c’est bien ainsi.
L. Ndogkoti, ndogkoti@camfoot.com