En tout état de cause, l’effondrement du football camerounais n’est pas brusque. Il a simplement atteint un seuil critique qui rend plus visible les dégâts. Les facteurs de notre décrépitude on les connaît depuis longtemps et on n’a pas essayé de les corriger. Notre chance dans notre malchance est qu’aujourd’hui, notre équipe nationale, la vitrine de notre football qui entretenait l’illusion est atteinte par la gangrène. Dès lors, tout le monde constate qu’il y a péril en la demeure.
Quel regard portez-vous sur le sport camerounais au cours de l’année 2004 ?
Je pense qu’il est impossible de ne pas commencer par les Jeux olympiques. C’est la plus grande compétition sportive du monde. Et au cours de celle-ci, Françoise Mbango a remporté avec panache une médaille d’or olympique. Je ne pense pas qu’il soit utile de revenir sur les péripéties de sa préparation. Mais il faut s’intéresser uniquement à sa performance. En 2004 on a aussi beaucoup parlé de football avec beaucoup de choses négatives. Avant d’en parler, je voudrais relever que l’on peut aussi retenir de l’année écoulée, la deuxième place de Minuh de Yaoundé à la coupe d’Afrique des champions de Handball au Maroc. Ces handballeurs sont à féliciter, car ils ont démontré que les sportifs camerounais avaient des ressources dans de nombreuses disciplines. Mais d’une manière générale, l’année 2004 a été marquée par le net recul du football camerounais.
En parlant des Jeux olympiques, pensez-vous que la médaille de Françoise Mbango a été apprécié à sa juste valeur au Cameroun ? Et quelle appréciation faites-vous de son exploit ?
Sans vouloir susciter de polémique, je pense que j’ai été stupéfait par le cri de détresse de Françoise Mbango avant la compétition pour bénéficier d’un soutien. Personnellement, j’ai partagé de loin sa souffrance. Ma peine était d’autant plus grande que les performances de Mbango depuis plusieurs années laissaient présager en toute logique une possibilité de médaille. Je ne sais pas ce qui s’est passé au niveau de sa fédération et du ministère. Toujours est-il que son succès n’a pas été préparé et donc sa médaille a quelque peu surpris d’où la joie mesurée de beaucoup gens. C’est vrai que lorsqu’elle est revenue au pays, il y a eu une réelle mobilisation autour d’elle. Mais je pense que ce n’était pas suffisant. C’est pendant la compétition que le Cameroun devait se mettre derrière elle et retenir son souffle à chacun de ses sauts. Toujours est-il que ce n’est pas sa faute, ni celle du ministère du reste. Les médias ont une grande responsabilité dans la situation de détresse qu’a connue Mbango. Vous n’avez pas pris la pleine mesure du potentiel de Mbango et n’avez pas attiré l’attention nécessaire des dirigeants sur elle. On a eu l’impression qu’elle a surpris tout le monde, pourtant ce n’est pas vrai.
De manière générale quel regard portez-vous sur le sport camerounais. Du moins tel qu’il a fonctionné en 2004, était-il en mesure de remporter des victoires ?
Les résultats passés, à mon avis, très flatteurs, par rapport aux efforts consentis par la communauté et par les sportifs, nous ont longtemps distraits. Et en 2004, nous avons continué de penser que nous pouvions obtenir des résultats en manquant d’imagination. A ce titre, même la finale des handballeurs au Maroc reste un leurre. Le sport d’une manière générale s’est beaucoup professionnalisé aussi bien sur le plan de l’organisation que des entraînements. Et franchement, le Cameroun n’a pas donné le sentiment de suivre cette voie. Il ne s’agit pas d’un problème d’argent mais d’imagination. En 2004, on a encore observé des errements qui sont incompatibles avec le succès.
Pour autant, on ne peut pas dire que le Cameroun ne regorge plus de sportifs talentueux. Les sportifs n’ont pas simplement la possibilité d’exprimer leur talent. Pour prendre l’exemple du football, il arrive aujourd’hui d’entendre parler des Burkinabé, des Sierra-Leonnais, des Zambiens et des Gabonais qui sont des joueurs professionnels. Cela veut dire que le talent se trouve partout, il suffit de travailler. Et cela, le Cameroun ne l’a pas fait ou ne le fait pas assez. L’autre problème est lié aux infrastructures qui manquent cruellement.
En football, le Cameroun a plus brillé dans la rubrique des faits divers que sur le terrain en 2004. Quelle lecture en faites-vous et surtout que vous inspire le net recul des Lions indomptables ?
Le problème du football Cameroun est lié à la cécité congénitale voire viscérale de la plupart de ses acteurs. Ce qui s’est passé en 2004, je l’avais déjà annoncé en 1984. A cette époque, en observant l’organisation de notre football, j’avais laissé entendre qu’a mon avis aucun club camerounais ne pourrait plus remporter une coupe d’Afrique avant 10 ans. Nous sommes aujourd’hui 20 ans plus tard et je suis toujours dans le vrai. Pourtant, personne ne m’a jamais demandé pourquoi j’ai fait cette prophétie et surtout personne ne s’est penché sur les vrais problèmes. On s’est juste contenté de dire que Bell n’est pas patriote comme si j’étais un gourou qui distribue les trophées et qui refuse d’en donner à son propre pays.
En tout état de cause, l’effondrement du football camerounais n’est pas brusque. Il a simplement atteint un seuil critique qui rend plus visible les dégâts. Les facteurs de notre décrépitude on les connaît depuis longtemps et on n’a pas essayé de les corriger. Notre chance dans notre malchance est qu’aujourd’hui, notre équipe nationale, la vitrine de notre football qui entretenait l’illusion est atteinte par la gangrène. Dès lors, tout le monde constate qu’il y a péril en la demeure. Pourtant, il y a encore des irréductibles qui veulent nous faire croire que tout va bien et qu’il suffirait de changer un entraîneur ici, un joueur là pour que tout aille mieux. Ce n’est pas vrai.
2004 c’est aussi le feuilleton FIFA-Fecafoot-Minjes (devenu Minsep) et à ce jour ce feuilleton attend toujours son épilogue…
Ce feuilleton est symptomatique de ce qui se passe chez nous. On a l’impression que l’Etat a foutu le camp et qu’il a disparu. Or, étant donné que l’Etat, c’est chacun d’entre nous, ça veut dire que c’est chacun d’entre nous qui met de moins en moins l’intérêt du pays en avant. On a donc aujourd’hui des gens qui sont à la FECAFOOT, qui acceptent de se dresser contre l’Etat, au point de transporter les problèmes du Cameroun devant la FIFA. Qu’est-ce que la FECAFOOT sinon qu’une infime partie du Cameroun. Alors, à mon sens, je pense que les gens doivent être conséquents. Et les dirigeants actuels de notre football ne le sont pas. Prenons un cas pratique. Il n’y a pas longtemps on a viré Winfried Schäfer parce qu’il ne vivait pas au Cameroun entre autres raisons. Et aujourd’hui pour recruter un nouveau sélectionneur, on passe des entretiens à ses possibles successeurs à l’étranger. En toute logique, ces gens devraient venir ici au Cameroun et ce n’est pas à nous d’aller vers eux. Nous n’avons plus aucune dignité et nous n’avons plus aucune consistance dans notre manière de réfléchir.
Alors tout espoir est-il perdu pour le football camerounais et les Lions Indomptables ?
Non pas du tout. Il faudrait tout simplement se ressaisir. Et en ce qui concerne les Lions Indomptables ils ont par le passé réussi à sauver des situations désespérées. Mais à la lecture des matches aller, le Cameroun est quand même mal parti et son destin ne lui appartient plus. Même si nous faisons un sans faute lors de la deuxième phase, nous n’aurons aucune certitude de nous qualifier pour la coupe du monde. Toutefois, il faudrait une vraie union sacrée derrière les Lions Indomptables qui en ont bien besoin. Du reste, la nouvelle année doit etre placée sous le prisme des grandes ambitions et pas autrement. Cela voudrait dire qu’il faut être audacieux et avoir une conception bien pensée des choses. Il faut développer les infrastructures et ne pas se contenter des résultats au coup par coup.
Simon Pierre ETOUNDI, Cameroon-Tribune