Le Président de la Fifa, Gianni Infantino a commencé, en Mauritanie, un séjour africain qui devrait comporter des arrêts au Nigeria et en Tanzanie. Il vient présider des sommets de la Fifa, moments de rencontres et d’échanges entre les fédérations pour servir le développement du football. Malgré un emploi du temps chargé, le Président Infantino a décidé de livrer sa vision du football, et de la place du football continental dans les années à venir à la presse africaine.
Une interview menée par Aliou Goloko, avec le concours de journalistes venus de tout le continent pour la préparer. Quatre grands thèmes : la Coupe du monde, le racisme et la diversité, le programme Forward et la particularité de l’Afrique dans le concert des nations de football. Camfoot vous offre le contenu de cet entretien
Bonjour Président et merdi de nous faire l’honneur de cet entretien. Qu’est-ce qu’un sommet Fifa et quelle en est la portée pour le football africain ?
Gianni Infantino : Les sommets de la Fifa, c’est une initiative que j’ai voulue afin de donner une voix, aux associations membres, qui sont en fait les patrons de la Fifa, leur donner la possibilité d’échanger, de discuter, d’écouter aussi. Et de me permettre, ainsi qu’à mon administration, de pouvoir entendre le point de vue des administrations. On est amené à la Fifa, au Conseil – surtout après ce qui s’est passé – à prendre des décisions, à réformer, la gouvernance de la Fifa, mais aussi les compétitions. Donc on est amené à échanger avec chaque Président, chaque Secrétaire Général et on est espère ressortir de ces sommets enrichis de nos échanges. On va parler du développement du football des jeunes, des formats de compétitions pour les jeunes, on va parler du football des femmes et du programme Fifa Forward pour le développement du football, et particulièrement en Afrique. Et on va être amenés à parler de sujets d’actualité comme le système des transferts et le calendrier international.
Il y en aura trois en une semaine sur le continent. Après la Mauritanie, le Nigeria et la Tanzanie accueilleront les sommets. Pourquoi ce choix de rendez-vous rapprochés ? Et que peut attendre l’Afrique à l’issue de ces sommets ?
On a décidé d’en faire trois en Afrique, parce que c’est un grand continent. C’est un continent en pleine expansion et qui doit apporter beaucoup au football mondial. J’y crois fortement et je veux le mettre en pratique, c’est pour ça que les sommets qui se dérouleront accueilleront toujours des représentants de deux autres confédérations en plus des fédérations africaines. Notamment l’UEFA et la CONCACAF, les asiatiques seront présents au dernier sommet. Parce que c’est important de créer les échanges fédérations – Fifa. Le Président de la Fifa n’a aucun intérêt à s’enfermer dans une tour ou plutôt un joli bâtiment suisse. On veut être là, avce les gens, pour écouter, pour apprendre.
On pourrait dire que c’est une forme de démocratisation de la pratique d’échanges de bons procédés entre confédérations et avec les associations nationales…
Effectivement, c’est une démocratisation. Je l’avais dit pendant ma campagne, je trouvais dommage que dans le passé, le rôle des fédérations était limiter à voter ce qui leur était présenté au Congrès. Moi, j’ai dit que je vais leur donner deux voies. Une voie pour voter, mais aussi une pour parler, entendre et s’enrichir mutuellement.
L’actualité, c’est également la Coupe du monde. L’Afrique y sera représentée par cinq ambassadeurs. Un carré d’as est-il possible, pour une sélection africaine, niveau jamais atteint depuis la création de la compétition ?
Écoutez, tout est possible, dans le football. Et c’est d’ailleurs pour ça qu’il est le sport-roi. Et surtout, je pense que pour cette compétition en Russie, il n’y a pas un grandissime favori. Il y a les équipes habituelles, mais le niveau général est devenu exceptionnel. Il n’y a plus d ‘équipes faibles, les cinq équipes africaines sont fortes. Il y a des équipes qui ne se sont pas qualifiées, mais qui ont des joueurs extraordinaires. Je pense au Cameroun, au Ghana, à l’Algérie, qui n’y sont pas, ce qui montre la valeur des équipes qualifiées. Après, il faut de la chance, un ballon qui touche le poteau ou pas. Mais on peut avoir une surprise africaine.
Coupe du monde toujours, mais celle de 2026. Le candidat africain, le Maroc se plaint que la candidature américaine a pu être présentée au congrès de la COSAFA, alors que le Maroc s’ était vu interdire la présentation de sa candidature au congrès de la CAF. Quelle est votre position ?
Cette question me permet de clarifier des points, pour éviter de tomber dans des théories de conspiration. Et je vous en remercie. Il y a un règlement. Malheureusement dans le passé, l’attribution des Coupes du monde de la Fifa a été ternie par des situations pas très claires. Pour cette raison, on a décidé un cahier des charges clair et strict. Il l’est peut-être trop, mais il y a des règles qui sont là et qui doivent garantir, que tous les candidats soient traités de la même façon. Que disent donc ces règles ? Par exemple, pour ce qui concerne la présentation des candidatures, que les candidats n’ont pas le droit de présenter leur dossier de candidature aux confédérations, à moins qu’ils en fassent une demande spécifique à la Fifa en détaillant toute leur présentation. Ceci n’avait pas été fait lors du congrès de Casablanca, et c’est pour ça que la présentation n’a pas été faite. Contrairement à la COSAFA, où une demande avait été faite, et je sais que COSAFA va donner la possibilité au Maroc, afin que tous les candidats soient traités de la même manière. Et c’est la philosophie de notre règlement, qu’aucun candidat ne soit traité différemment. C’est comme toute compétition sportive, il faut y aller avec fair-play. Et que le meilleur gagne.
Et vous, que pensez-vous de la candidature marocaine ?
Écoutez, pour la première fois, le président de la Fifa ne vote pas. Avant c’était le Comité exécutif qui votait avec une voix prépondérante pour le président. Aujourd’hui, ce sont les 211 fédérations qui votent. Et moi, en tant que président de la Fifa, ma tâche est de m’assurer que la procédure se passe bien, qu’il y ait du fair-play entre les fédérations. Chacun doit soutenir le candidat qu’il estime meilleur, mais moi en tant que garant de la bonne tenue, je ne peux évidemment pas prendre position, pour l’une ou l’autre des candidatures. En tant que président de la Fifa, je vais attendre les dossiers de candidature qui sont dus pour la mi-mars et les rapports techniques, importants eux aussi. On verra aussi les intérêts de la Fifa, mais au final, ce sont les fédérations qui vont décider.
La Coupe du monde 2026 passera à 48 participants dont 9,5 places pour le continent africain. Quels sont les critères qui ont guidé ce choix et pourquoi pas plus de places pour l’Afrique ?
(Quand on passera à 64, il y aura plus de places. Pour moi, c’était évident qu’il fallait augmenter le nombre d’équipes pour la Coupe du monde. Si on parle du développement du football et qu’on voit qu’il est devenu universel, et que la qualité du football est en hausse constante partout et particulièrement en Afrique, il fallait prendre cette décision. Parce qu’il n’y a rien de plus puissant pour développer le football que la participation à un grand événement comme la Coupe du monde. Alors, le fait qu’on ait augmenté à 48 et presque doublé le nombre d’équipes africaines est, je pense, un pas très très important. Parce que depuis des décennies, on promettait à l’Afrique une place de plus à chaque fois et on ne faisait rien parce que les places étaient limitées. Maintenant, on a pratiquement doublé les places (de 5 à 9,5) ça va changer complètement la dynamique des matchs de qualification de l’Afrique. Parce qu’aujourd’hui, même au dernier tour, un match perdu dans le groupe de quatre, peut vous renvoyer à la maison. Avec le nouveau système, si le dispositif de qualification reste le même, il y en a deux qui passent par groupe. Donc, ça change la philosophie de ceux qui veulent participer à la Coupe du monde. Commencer à se préparer maintenant pour participer dans dix ans. Après, pour le futur, est-ce qu’il y en aura plus ? On verra à ce moment, et il faut aussi le mériter sur le terrain, évidemment.
Vous avez décidé de supprimer la task force contre le racisme, alors que le phénomène semble plus récurrent dans les stades du monde. Quel est le plan de la Fifa aujourd’hui pour éradiquer toute forme de violence et de ségrégation dans les stades ?
Est-ce que vous croyez vraiment qu’on puisse lutter efficacement contre le racisme en créant un groupe de travail ? Je pense qu’on lutte plus efficacement contre le racisme avec des faits, des actions et c’est ce qu’on fait à la Fifa. Un ancien politique du football me disait, « si tu ne veux pas résoudre un problème, tu crées une commission, une task force. Comme ça les gens s’assoient et discutent et tu peux dire qu’on a créé une commission. » Vous voyez que ça ne résout rien. Nous, on a fait des choses très concrètes. On a par exemple, engagé une Secrétaire Générale africaine, pour la première fois dans l’histoire de la Fifa, on a engagé des membres de la Direction qui viennent de tous les continents. Avant, ce n’était que des Européens de l’Ouest, qui venaient de 2-3 pays : des Suisses, des Allemands, des Français. Je pense qu’il y a des gens compétents ailleurs, même si les ressortissants de ces pays le sont. Donc, ouvrons déjà la Direction de la Fifa, ouvrons le Conseil exécutif de la Fifa. On a augmenté le nombre d’Africains, on a augmenté le nombre de femmes. Il ne faut pas oublier qu’en matière de discriminations, les femmes le sont toujours dans le football. On a mis en place une procédure lors de tous les matchs de la Fifa et le conseille également à toutes les associations nationales. Pour monitorer tous les matchs et intervenir en cas d’incident dans les matchs, avec des mesures disciplinaires très fortes. On a mis en place aussi une procédure qui permet à l’arbitre d’interrompre, suspendre et même arrêter un matchs en raison de cris racistes. Et nous avons en plus des campagnes de sensibilisation pour lutter contre ce fléau qui est le racisme. C’est important, ces campagnes où on a des anciens joueurs, des légendes du football qui viennent nous aider. Et je pense que c’est important qu’on fasse passer ce message tous les jours, dans tout ce qu’on fait. Pas seulement une fois tous les six mois lors d’une réunion d’une task force.
Justement, la nomination d’une femme, africaine, en l’occurrence Mme Fatma Samoura du Sénégal au poste de SG de la Fifa est-elle une réponse à ce problème et qu’est-ce qui a motivé son choix ?
J’étais persuadé que la Fifa étant une organisation mondiale, elle devait être également mondiale au niveau de ses structures d’organisation et de gestion. Ce n’est pas possible de comprendre les différentes cultures du monde depuis un bureau en Suisse, ou si vous êtes entourés de personnes comme vous. Et on ne se rend compte de ça que si on voyage et qu’on se met en situation. C’est pour ça que je voulais une Secrétaire Générale qui venait d’un autre continent. L’Afrique étant un continent important, j’ai focalisé sur l’Afrique. Et je crois que c’est important d’avoir quelqu’un d’un milieu en dehors du football, mais qui connaisse l’aspect développement. Et pour toutes ces raisons, nous avons choisi Fatma. Nous sommes tombés d’accord et voilà.
Nous abordons le troisième axe concernant le programme Forward. En quoi peut-il être bénéfique au continent africain ?
Il est bénéfique au continent africain, parce que déjà les investissements faits par la Fifa sur le continent ont été multipliés par quatre. On est passés de 27 millions par an à 100 millions de dollars par an, investis par la Fifa via les associations ou la CAF pour des projets liés au football en Afrique. Avec de tels montants, même si ce n’est jamais assez, vous devez avoir des résultats si vous travaillez sérieusement. Et ça, c’est la deuxième partie, avec le programme Forward, on oblige les fédérations à avoir un contrat avec la Fifa, un contrat qui permet de déterminer quelle est la stratégie
de la fédération. On oblige de fait les fédérations à réfléchir sur leur futur et à focaliser sur les besoins réels. Évidemment, on focalise sur les compétitions nationales, sur l’infrastructure… Et si on y arrive avec de belles infrastructures et de belles compétitions, le bénéfice va être énorme. Et on le verra très bientôt.
Ça m’amène à vous poser la question des mécanismes mis en place par la Fifa pour s’assurer de la bonne utilisation des fonds par les fédérations africaines.
Là aussi, en tenant compte du passé, on est obligé de mettre en place la gouvernance et le contrôle de façon importante pour l’utilisation de ces fonds. On a mis en place des systèmes très détaillés avec des demandes de fédérations pour chaque projet où tout est contrôlé par l’administration de la Fifa, et approuvés par une Commission du Développement, avec des membres indépendants, qui ne viennent pas forcément du milieu du football. On a mis en place un système d’audit centralisé qui oblige chaque fédération à être auditée par des experts indépendants de la Fifa. Je l’ai dit et je le répète, on investit quatre fois plus (1,4 milliards de dollars sur quatre ans), si quelqu’un pense encore qu’il peut s’enrichir illicitement avec l’argent du football, il faut qu’il parte, parce qu’on va le choper et si on le prend, on va le sanctionner.
L’Afrique a une particularité. Le football et la politique font bon ménage, ce qui est contraire à la vision de la Fifa. La Fifa ne gagnerait-elle pas à mieux apprécier le contexte africains où les États sont les principaux bailleurs du football ?
Vous savez, pour, moi les États doivent être des partenaires. J’ai une vision un peu différentes de celles du passé, parce que je pense qu’on doit avancer la main dans la main avec les États. Évidemment, on ne va jamais tolérer une ingérence de l’Etat dans les affaires purement footballistiques. Par contre, quand on doit lutter contre la violence, contre la corruption, contre le trucage des matchs, pour le développement du football dans les écoles, on doit travailler de concert avec les Etats. Et c’est dans cette optique que j’ai rencontré le Président Paul Kagamé, président de l’Union Africaine, afin de discuter de projets communs pour le football, les écoles qu’on va bientôt présenter.
Pour conclure, quels sont les projets de la Fifa pour les femmes et les jeunes du continent africain ?
On a de beaux projets. On va augmenter le nombre d’équipes participantes à la Coupe du monde des femmes de jeunes, donc forcément du nombre d’équipes africaines. On va créer une nouvelle compétition, la Ligue mondiale féminine, qui sera une compétition officielle de la Fifa, pour générer plus d’attention pour le football féminin. On va investir une partie du programme Forward pour le développement du football féminin, on va travailler pour que les 50% de la population mondiale que constituent les femmes soient content.
Dernière question. Quelle est l’Afrique de Gianni Infantino ?
C’est un continent magnifique, plein de surprises, de chaleur, de chaleur humaine, de passion, de talent. Un continent où on vit, on mange, on danse, on se réjouit et on joue et adore le football. C’est ce qui me touche en Afrique. Et surtout l’amitié et la loyauté des personnes en Afrique. Ça c’est quelque chose qui me touche le cœur.
Merci monsieur le Président.