Il y a deux jours, en match amical au stade Robert Diochon de Rouen en France, les Lions indomptables du Cameroun ont fait jeu égal (1-1) avec le Sily national de Guinée. La fédération guinéenne de football qui a sollicité ce match, a versé à sa consoeur camerounaise, 22.500 euros (environ 15 millions de francs Cfa).
Ce forfait avait été préféré par la Fécafoot à un pourcentage sur les recettes de ce match. En plus de ces 15 millions, on a appris à la Fécafoot que cette dernière avait débloqué plus de 60 millions de francs Cfa pour faire face à toutes les charges engendrées par cette rencontre. Une somme à laquelle il faut ajouter les 15 millions de francs Cfa débloqués par le ministère des Sports et de l’Education physique et remis la semaine dernière au 1er vice-président de la fédération, Jean-René Atangana Mballa. Si on s’en tient à ces différents montants, les dépenses inhérentes au match de mercredi dernier avoisinent les 100 millions de francs Cfa et ont été supportées à plus de 60% par la fédération.
Une situation d’ailleurs exceptionnelle puisque ce match n’a pas été négocié par Imc, l’entreprise ayant signé en février 2001 un contrat avec la Fécafoot pour la conclusion de matchs amicaux pour le compte des Lions indomptables. Les dispositions de ce contrat, révélées par le rapport de la Commission d’enquête conduite par Christophe Ngack Mahop à la Fécafoot en 2004, sont les suivantes: « pour chaque match amical, Imc garantit: le transport aller-retour pour 30 personnes maximum dont 15 au départ de Paris et 15 au départ de Yaoundé; séjour en pension, transport local, les droits télévisuels pour le territoire camerounais, un cachet global de 120.000$ US pour un match ou de 180.000$ US pour un tournoi (2 matches). » Au taux actuel du dollar américain, ça ferait près de 70 millions de francs Cfa pour un match. En appliquant la clé de répartition contenue dans la Convention Minjes/Fécafoot signée le 18 décembre 2000, 50% de ce montant seraient réservés au paiement des primes des joueurs et encadreurs, 40% à la Fécafoot et 10% au ministère. Or, cette Convention n’est pas appliquée depuis fin 2004.
Donc, ni la Fécafoot encore moins le ministère n’ont besoin de débloquer le moindre centime pour faire face aux charges qu’imposent un match amical. Dans le cas du ministère, ce n’est pas que valable pour les matchs amicaux si on s’en tient aux déclarations du président de la Fécafoot à Mutations. Iya Mohammed affirmait dans une interview en avril dernier: « chaque année, nous prenons entièrement en charge l’organisation de tous les matches internationaux disputés par les différentes catégories de nos équipes nationales et nos clubs. Ceci représente d’énormes sommes d’argent, quand on sait que l’organisation d’un seul match international coûte à la Fécafoot au minimum dix millions de nos francs! »
Pompe à fric
A quoi servent donc ces dizaines voire centaines de millions de francs Cfa débloqués pour les mêmes causes et en même temps par le ministère des Sports. Notre confrère Le Messager se faisait d’ailleurs l’écho il y a quelques jours d’auditions en cours au secrétariat d’Etat à la Défense chargé de la gendarmerie sur la gestion de plus d’un milliard de francs Cfa mobilisé pour le match Côte d’Ivoire – Cameroun du 4 septembre 2005 à Abidjan et comptant pour les éliminatoires Can-Coupe du monde 2006. Le même montant aurait été mis à disposition pour la rencontre Cameroun – Egypte, un mois plus tard à Yaoundé.
Une gestion opaque de la tutelle qui a des proportions plus importantes aux yeux des responsables fédéraux. « Depuis huit ans que nous sommes à la Fécafoot, nous évaluons à 20 ou 25 milliards de Fcfa l’argent que l’Etat a dépensé pour les équipes nationales. En se basant sur le rapport Ngack Mahop rendu public par Mutations, ce sont 13 milliards qui ont été sortis du trésor public entre juillet 2002 et décembre 2003. On ne connaît pas le montant des interventions de l’Etat entre 1998 et 2000, et entre 2004 et 2006. Mais c’est énorme ! Qu’est-ce qui a été fait avec cet argent ? », s’interroge Iya Mohammed pour qui la Fécafoot « pourrait avoir de quoi financer largement toutes [les] équipes nationales. » Il faut tout de même préciser que les 13 milliards, auxquels fait mention le président de la Fécafoot, concernaient l’ensemble des fonds dépensés pour le financement des compétitions internationales durant cette période.
Il apparaît que, même pour les compétitions majeures (Coupe du monde, Can, Coupe de la confédération, Jeux olympiques) l’argent versé par les sponsors, la Fifa, la Caf où le Cio permet largement de faire face aux charges, avec la possibilité pour la fédération de se constituer un trésor de guerre qui, au lieu de servir quelques individus, permettrait le développement du football au niveau local avec des subventions plus conséquentes accordées aux clubs de l’élite et des divisions inférieures.
Pourquoi donc cet acharnement du ministère à maintenir son autorité sur les équipes nationales avec des options managériales suspectes alors que du côté de la Fécafoot on est péremptoire : « Il est clair dans nos statuts que la gestion de l’équipe nationale revient à la fédération, et on en est capable. » Lors de la Coupe du monde en 1998, en France, le gouvernement avait refusé une proposition gratuite d’hébergement des Lions comme celle de 2002 à Nakatsue, préférant payer. Un cadre du ministère des Sports se contente d’indiquer que l’omniprésence du ministère aux côtés des équipes nationales de football, c’est une affaire de souveraineté nationale.
L’Etat, à travers le ministère des Sports, devrait se consacrer prioritairement aux infrastructures et accessoirement à manifester plus de sollicitude pour les sports dits mineurs qui, eux, n’ont de cesse de quémander le soutien de l’Etat. A l’heure où l’hypothèse d’une candidature du Cameroun à l’organisation de la Can 2012 prospère, des économies plus que substantielles sur les faramineuses sommes souvent mises à contribution pour le rayonnement des Lions indomptables, pourraient permettre pour les quatre ans qui viennent la construction d’au moins deux stades d’une valeur de dix milliards de francs Cfa chacun.
Junior Binyam