Des dizaines de jeunes footballeurs africains survivent au Caire en attendant de faire le grand saut dans un des championnats européen. Nombreux sont ceux parmi eux qui ont atterri dans la capitale égyptienne, dupés par des représentants sans scrupules, qui après leur avoir promis monts et merveilles, en échange de grosses sommes d’argent, ont disparu sans laisser de trace. Une pratique, comme on a pu le constater, qui s’est vite répandue dans certains pays sub-sahariens.
Les joueurs proviennent du Nigeria, de la Guinée Conakry, du Libéria ou encore du Cameroun. Ils ont passé des mois à écumer les rues du Caire, déprimés, regroupés dans de petits appartements et disposant à peine de quoi survivre.À présent, une vingtaine d’entre eux peut de nouveau voir la lumière au bout du tunnel.
Reuben, l’espoir
Leur espoir a un nom et un prénom : Elvis Reuben, un ancien joueur professionnel nigérian qui a mis fin à sa carrière après avoir joué au Zamalek, un des meilleurs clubs du championnat égyptien. Reuben, 28 ans, a proposé de transformer le grand rêve de ses élèves en réalité. Il les garde en forme, en attendant l’ouverture du marché européen en fin mai.
Reuben aime la ponctualité et il déteste que ses pensionnaires arrivent en retard à l’entraînement. « Nous sommes restés jusqu’à trois heures, et il en manque encore la moitié « , se plaint son assistant, Camara, un ancien footballeur qui pendant 10 ans a joué dans la sélection de sierra Leone. « On ne peut pas travailler comme ça« . Lorsque le groupe est au complet, il réunit les joueurs et leur passe un savon. Après, commence l’entraînement. Des exercices physiques exigeants et un peu de jeu avec ballon.
Un terrain d’entraînement improvisé
Reuben a réuni les joueurs en fin d’année dernière et a débuté les entraînements au mois de janvier. Les ressources sont très limitées. Ils disposent de sept ballons, dont seulement trois sont réglementaires. Il n’y a pas d’argent pour la location d’un terrain d’entraînement. On leur a laissé, à contre cœur, un petit terrain situé dans un complexe sportif géré par des expatriés américains et britanniques. On y trouve deux terrains de baseball, un de rugby et un autre de football, qui appartient à un collège égyptien, sur lequel le ballon a de la peine à rouler. Un vigile surveille qu’ils ne piétinent pas la zone interdite.
« Il y a du talent dans ce groupe, ce qui manque c’est qu’ils le développent« , affirme Reuben. « La grande majorité possède un bon niveau technique, cela saute aux yeux. Eux tous pourraient être en train de jouer en Europe, pas dans les championnats comme celui de l’Espagne, de l’Italie ou de l’Angleterre, mais plutôt dans des équipes de Première Division de pays comme la Macédoine, la Slovénie ou la Croatie. Après, aller plus haut ou non dépendra d’eux. Le problème c’est qu’ils n’ont pas eu de chance. Ils sont tombés entre de mauvaises mains« , ajoute l’ancien joueur.
Sunday Pius, un nigérian de 19 ans, évoluait aux Rangers, un des bons clubs au Nigeria. Il y a quelques mois, on lui a demandé de se joindre à une expédition de 20 jeunes joueurs pour aller jouer plusieurs matches amicaux en Biélorussie. Aveuglé par son grand rêve, il a laissé son club et a accepté l’offre, qui comprenait le paiement par ses propres soins du voyage et des frais de séjour. 1.800 euros en tout -une véritable fortune dans les pays africains–, une somme qu’il parvint à réunir grâce à l’aide de sa famille. Il se disait alors qu’une fois arrivé là-bas, il lui serait plus facile de rester jouer dans n’importe quel club européen.
En attendant la bonne occasion
« Le représentant nous a dit que nous devions d’abord faire une escale d’une semaine au Caire pour régler les formalités de visa, puisqu’il n y a pas d’ambassade de Biélorussie à Lagos « , explique Pius. « Mais une fois dans la capitale égyptienne, les jours passaient, et rien n’arrivait. J’étais le capitaine de l’équipe et j’ai demandé des explications au représentant. C’était tout le temps des excuses. Finalement, il a disparu avec notre argent à tous. »
Certains joueurs sont rentrés dans leur pays. Pius, un attaquant rapide et bon dribbleur préféra rester avec six autres compagnons qui sont à présent avec Reuben. « J’ai refusé de jeter l’éponge. Je veux jouer en Europe, car je crois que j’ai les qualités pour le faire, comme tous mes compagnons. Nous avons tous confiance en Reuben, et c’est pour cette raison que nous sommes avec lui. Il nous garde en forme, et c’est le plus important. »
L’entraîneur nigérian se meut dans les eaux du petit monde du football égyptien comme un poisson dans l’eau. Il arrange des matches amicaux, qui en plus d’aider à discipliner les joueurs sur le terrain, lui permettent de faire des vidéos montrant l’évolution de ses joueurs pour pouvoir en envoyer des bandes aux clubs européens. Le dernier match qu’ils ont joué, c’était contre une équipe de Deuxième division égyptienne, le Naddi Tasalat. Son équipe a ouvert le score, mais a finalement perdu 3-2.
Les joueurs sont arrivés sur le terrain par groupes, certains en retard, pour le désespoir de Reuben. Non seulement, il n’est pas facile de se rendre au lieu du match, mais en plus ils ont perdu. S’il n ‘ y a pas d’argent pour acheter des ballons, il y en a encore moins pour louer un autobus pour le transport du groupe.
Reuben vient d’une famille humble et, déjà tout petit, il savait comment se battre dans la vie. Sa carrière sportive n’a pas du tout été facile. « J’ai aussi eu des problèmes avec mes représentants. Finalement, j’en ai eu ras-le-bol de toutes ces fausses promesses. Je ne veux pas qu’ils fassent les mêmes erreurs« , explique t-il.
Il y a trois mois que Emile Besong, un camerounais de 21 ans, s’est joint à Reuben. Il a débuté sa carrière professionnelle au Nigeria, où vivent ses parents. Mais il a été formé au Cameroun dans l’école de football des Brasseries, à Yaoundé. Sa grande idole, Samuel Eto’o, est sortie d’une autre école de football, la Kadji Sport Academy.
« Mon représentant, un nigérian, m’a promis de jouer en Croatie. Il m’a convaincu de d’abord voyager ici, car selon lui, un club finirait par me recruter. Mes parents, qui gagnent bien leur vie à Lagos lui ont payé 4.000 euros. En fait, c’était une grosse arnaque. Il m’a finalement abandonné ici au Caire« , se lamente t-il.
Rêve de jouer en équipe nationale
Besong rappelle que, dans les pays africains, pour celui qui ne joue pas en Europe, c’est très difficile de jouer dans l’équipe nationale de son pays. C’est une règle non écrite, mais qui est appliquée dans la réalité, comme on a pu le vérifier lors de la dernière Coupe d’Afrique, qui s’est jouée en février en Égypte. Les effectifs de la majeure partie des équipes subsahariennes étaient formés de joueurs qui évoluent dans le Vieux continent.
« Cela ne veut pas dire qu’ils sont les meilleurs. En Afrique, il y a des joueurs de grande qualité qui n’ont pas eu la chance d’aller en Europe« , affirme le jeune camerounais.
Ibrahim Sory, un guinéen de 20 ans, partage le même avis. Il est arrivé au Caire il y a cinq mois après avoir également payé une forte somme à un faux manager.
Depuis lors, il vit dans un appartement d’à peine 60 mètres carrés situé dans un quartier populaire de la capitale égyptienne. Il partage le logement, sans lumière extérieure et de construction très précaire avec cinq autres joueurs, deux guinéens et trois nigérians. Ils paient ensemble 500 livres égyptiennes mensuels pour la location, soit environ 70 euros. « Chacun donne ce qu’il peut, avec l’aide de nos familles. Nous essayons de faire le moins de gaspillage », explique t-il.
Admirateur de Puyol
Il est presque midi et Sory tue le temps en regardant un match de football à la télévision en compagnie de ses compatriotes Djiba Condé, milieu de terrain, et Sylha Mansa, un défenseur de prêt de 1,90 mètres de hauteur qui se déclare grand admirateur de Carles Puyol. Reuben et Camara sont aussi là. Sur les murs moisis sont accrochées diverses photos, parmi elles une de Ronaldinho et une autre de Ronaldo. Les trois nigérians, pendant ce temps, dorment les poings fermées dans une des chambres de l’appartement, tous sur le même grabat, quelque peu disproportionné, d’une grandeur moyenne.
« Ils mangent peu et mal et dépensent beaucoup d’énergie dans les entraînements chaque soir, c’est pour cela qu’ils choisissent de dormir le plus possible« , assure Camara. Pour palier à cette situation, Reuben envisage de demander une aide financière aux footballeurs africains qui jouent dans le championnat égyptien, une quinzaine. Pour un de ses joueurs, Johnson Samuel, on voit bien que tout se passe à merveille pour lui. Il s’habille bien et possède un portable de dernière génération. Cette saison, il est titulaire à l’Ismaelia, une des six meilleures équipes du pays où s’écoule le Nil. Après avoir vu la situation de ses compatriotes guinéens, ses amis Sory, Condé et Mansa, il comprend qu’il est un homme chanceux. « J’ai eu de la chance, et j’ai rencontré un représentant honnête« , dit-il, tout en observant les joueurs de Reuben à l’entraînement.
La survie, grâce à la famille
En ce moment, il ressent quelques douleurs au pied droit et manquera le match de son équipe contre Al Ahly, le meilleur club du championnat égyptien et actuel détenteur de la Ligue des Champions africaine. « Mon objectif, c’est l’Europe. Je ne suis pas pressé. Je suis encore jeune. Au moins, je joue dans un championnat, ce qui me donne de la régularité« , dit-il plein d’espoir.
En Afrique, une grande partie des jeunes aspirent à devenir footballeurs. Le football, plus qu’un sport, est perçu comme un moyen pour sortir de la pauvreté. » 80% des parents souhaitent que leurs enfants s’adonnent au football. Si tu vas en Europe, les problèmes d’argent vont se résoudre« , explique Samuel, qui vient de fêter ses 21 ans. « Le football te donne une valeur absolue. Si tu réussis, tu deviens une personne respectée. Tu es aussi important sinon plus que le président de ton pays« , ajoute t-il.
Eloges pour Samuel Eto’o
Le joueur guinéen prend le cas de Samuel Eto’o en exemple. « Quand la délégation du Cameroun est arrivée à l’aéroport du Caire pour jouer la Coupe d’Afrique, il y avait des centaines de personnes qui attendaient Eto’o. Ils voulaient tous le voir et le toucher. C’est le seul joueur qu a été reçu dans la salle de l’aéroport réservée aux autorités « , dit-il en souriant.
Mais Reuben, un homme pragmatique, ne croit pas en ses rêves de grandeur. Selon lui, le succès du buteur azulgrana ne correspond pas uniquement à cette réalité, mais est le résultat de son travail. « Le meilleur d’Eto’o, c’est sa mentalité, sa discipline ». L’ancien joueur nigérian est convaincu que l’Afrique regorge de nombreux Eto’os. « Il y a des jeunes avec un grand talent dans des villages perdus, mais il n y a personne qui puisse établir leur valeur. L’Afrique. Ce n’est pas l ‘Europe où il est facile de détecter un joueur de qualité. Mon grand rêve c’est d’aller à la recherche de ses petits Eto’os. Je sais où les trouver« , affirme Reuben.
Traduit de l’Espagnol par Guy Everard Mbarga – Camfoot.com