Une âme bien pensante a soulevé ces jours le problème du véritable niveau du football au pays de Roger Milla et Patrick Mboma. Surprenant car on le sait, ici ce sport est Roi et son diadème brille de mille lauriers, surtout pour qui regarderait la place que tiennent les Lions Indomptables sur l’échiquier du football mondial.
Quand on aborde le football camerounais, l’image la plus évocatrice qui vient à l’esprit est son équipe fanion. On est alors tenté de sauter à la hâtive conclusion d’un sport plutôt bien portant, d’autant plus que les talents individuels s’exportent sans trop de mal. Les championnats européens et pas des moindres en redemandent, les clubs les plus prestigieux en veulent. Manshester, Chelsea, Arsenal, PSG, OM, Réal, Parme, Stuttgart sont tous sur les rangs. Et les effets de ces qualités individuelles se ressentent sur la prestation de l’équipe nationale, ce qui pourrait laisser penser que la structure de formation des jeunes joueurs est plutôt harmonieuse.
Le Lion qui cache le désintérêt
À consultation de l’indicateur officiel des performances qu’est devenu le classement Fifa-Coca, l’on est marqué par une 13e place bien envieuse que tient le Cameroun. Ce classement est flatteur. Il est supposé ne pas tenir compte exclusivement des prestations de 22 internationaux mais de la qualité du football dans sa globalité. Le pays y apparaît bien avant des nations où l’industrie football est plus organisée et mieux structurée.
Sur le plan continental et mondial, on s’attarde à égrener le chapelet des victoires glanées ces dernières années, et on n’est pas loin du satisfecit. La présence du pays aux diverses compétitions organisées par la FIFA, au cours de la dernière vingtaine, 5 participations sur 6 à un tournoi finale de coupe du monde, une finale de la coupe des confédérations, le doublé en coupe d’Afrique des nations, le trophée des jeux africains et une coupe d’Afrique des cadets… Quelle agape! C’est donc à juste titre qu’en foulant le sol camerounais, on s’attendrait à une structuration rigoureuse du football, une orchestration rationnelle digne de la place que tient ce pays sur l’échiquier mondial dans le domaine.
Pour autant que le football camerounais se résumerait aux Lions Indomptables, le tableau serait réjouissant mais la réalité du terrain et du quotidien tel que vécue dans les villes camerounaises est cruelle. Les victoires des Lions ne profitent pas au football. L’étendard Lions est un leurre, une grosse chimère.
L’image et la réalité
Quand le regard que l’on jette sur le football camerounais sort des clichés et se fait plus insistant, cette vision idyllique des Lions Indomptables cède du terrain. Dès qu’il s’agit d’arrêter de concevoir le football en terme de résultats immédiats en terres africaines d’un groupe de joueurs évoluant pour la plupart à l’étranger, et d’envisager une perspective d’avenir, vite on déchante et la réalité est difficile à imaginer. Difficile en effet de se faire à l’idée que ce pays de football est des bons derniers de classe en Afrique en termes d’infrastructures et d’organisation du football amateur.
L’horloge de l’évolution y est grippée depuis 30 ans. Rien n’a été fait depuis 1972 pour rendre au football ne serait-ce qu’une parcelle de la noblesse et de la fierté qu’il a au fil des années donné à la Nation, mieux que toute diplomatie et politique extérieure. Le tableau macabre de la situation générale de notre sport-roi se passe de mots:
Pas de stades, pas de camp d’entraînement, pas de bus pour les joueurs, pas de politique générale du sport, pas de statut du footballeur, pas de prospections, pas de tournois de jeunes, pas de tournois scolaires…
Le football spolié
En ce mois de Décembre 2003, aucun match officiel ne peut se jouer sur le stade trentenaire de M’fandena. Son palliatif de Douala tout aussi vétuste n’est utilisé que par la grâce d’un défaut d’inspection de la FIFA. Les Lions Indomptables, pour ne pas évoquer les amateurs, ne bénéficient d’aucun centre de regroupement, ce qui justifie les diverses rencontres allemandes de ces dernières années…rien n’est fait, rien n’est prévu et pourtant le football camerounais est productif et génère des dividendes.
Si ces dernières années nous avons vu défiler des firmes soucieuses de leurs intérêts telles que Darmon, Puma, Orange, Mtn, c’est que les Lions Indomptables se vendent. Au-delà de ces partenariats, la Fifa octroie des centaines de millions de fcfa par an aux fédérations à titre de subventions pour le développement du football amateur, chaque participation en phase finale de coupe du monde se mérite un chèque de plus d’un milliard de cfa. Où va ce pactole?
Le label Lions Indomptables est pourtant utilisé, dans les produits dérivés, les retransmissions télé… voilà des sources de revenus supplémentaires, les projets et partenariats sont tout le temps annoncés sans réel effet sur le football à Baham ou à Mouloundou.Qu’est-ce qui peut justifier que le football camerounais soit à ce point le parent pauvre en Afrique quand on évoque son organisation et ses infrastructures? Le budget 2004 récemment alloué au MINJES est une enveloppe de plus de 11 milliards de CFA pour dit-on remplir sa mission principale, la promtion du sport. A quoi sera destiné cet argent? Voilà une question qui crée un consensus chez la quasi-totalité des dirigeants sportifs camerounais. Surtout ne pas en parler. Et le football amateur? Et les stades? Et la relève? L’attitude est la même : Silence. Silence éloquent cependant, quand on sait à qui profite cette nébuleuse orchestrée autour de l’argent de notre football.
Roch Senji