Faute d’avoir suffisamment fréquenté les passages à niveau, Florentino Pérez, le tout-puissant président du Real Madrid, n’a pas retenu cet avertissement connu de tous les automobilistes au moment de traverser une voie ferrée. L’été dernier, Pérez se vantait d’avoir payé un Ballon d’Or France Football, l’Anglais Michael Owen (de Liverpool), avec l’argent rapporté par la vente de Samuel Eto’o, dont le Real partageait les droits contractuels avec Majorque. Mais ce qui paraissait un assez joli coup il y a six mois, est devenu aujourd’hui un sujet de plaisanterie, y compris dans la presse la plus favorable au club madrilène.
Ainsi, le 28 décembre dernier, jour des Saints-Innocents, l’équivalent en Espagne de notre poisson d’avril, le journal As faisait ses gros titres en annonçant qu’Arrigo Sacchi, le nouveau directeur du foot au Real Madrid, voulait construire une équipe autour de… Samuel Eto’o. Et le quotidien sportif madrilène de préciser que, pour réparer l’erreur de l’avoir laissé partir, Florentino Pérez serait prêt à débourser les 150 M€ prévus dans sa clause libératoire !
La ficelle était grosse, mais elle a fait du bruit à Madrid, où le transfert de Samuel Eto’o au FC Barcelone est considéré comme l’un des plus gros ratés de l’ère Florentin Pérez. Le Barça l’a pourtant payé plus cher que prévu : 24 M€ en quatre échéances – ce qui, avec les intérêts, monte l’opération à 27 M€ -, que se sont partagés Majorque et le Real, mais l’investissement est déjà rentable : quinze buts en vingt matches de Championnat et trois en cinq rencontres de Ligue des champions. Outre le fait de posséder le meilleur buteur de la première partie de la Liga, le club catalan a trouvé en Eto’o un joueur extrê¬mement populaire, que seul le Brésilien Ronal¬dinho parvient à devancer sur ce terrain.
UN SYMBOLE ANTI-REAL
Mais le Camerounais est également un symbole de la revanche des Catalans sur les Madrilènes. A Barcelone, on n’a pas oublié le traumatisme provoqué par le départ, en juillet 2000, du Portu¬gais Figo chez l’ennemi. Samuel Eto’o les a enfin vengés. D’autant que le joueur semble toujours disposé à lancer des piques vers le club qui, après l’avoir fait venir en Europe, ne lui a jamais offert sa chance. Il faut remonter aux temps du Bulgare Hristo Stoitchkov pour retrouver un joueur barcelonais si farouchement « antimadridiste ! »
Pour son premier match contre le Real sous les couleurs blaugrana, le 20 novembre dernier, c’est lui qui avait ouvert le chemin de la victoire (3-0) au Barça avec un but qui mit en évidence son exceptionnelle vitesse d’exécution. Quelques jours plus tard, visitant – comme il le fait souvent – une école barcelonaise, il confiait au millier d’élèves qui le contemplait avec vénération que « ce but avait été un des plus beaux moments de ma vie » . « J’ai alors eu envie de courir jusqu’à mon pays pour embrasser tout le monde ». Des mots simples et émouvants pour un garçon de vingt-trois ans, qui participe tout de même à sa huitième saison en Espagne.
La vie de Samuel Eto’o a beaucoup changé depuis ce jour de 1997 où, âgé de seize ans, il débarqua à l’aéroport madrilène de Barajas pour jouer au Real Madrid. Sans un sou en poche, sans aucun représentant du club pour l’attendre, il gagna le siège du Real en bus grâce à la bienveillance d’un « frère (un homme noir). Ce qui aurait pu être le début d’une formidable histoire d’amour entre l’adolescent noir et le club blanc n’a pourtant débouché que sur un gigantesque malentendu. La maison blanche n’a été qu’un lieu de passage pour Samuel Eto’o, prêté d’abord au FC Levante, le deuxième club de Valence, alors en Deuxième Division, puis à l’Espanyol Barcelone et, enfin, au Real Majorque, où il est devenu, en cinq saisons, le plus grand buteur de l’histoire du club.
Une errance qui l’a conduit à haïr progressivement le Real Madrid, livrant toujours de grands matches contre lui, surtout au stade Santiago Bernabeu. C’est donc sans surprise que, l’été dernier, il laissa clairement entendre qu’il ne souhaitait pas y retourner, affichant son envie de porter le maillot blaugrana.
« JE TRAVAILLE COMME UN NOIR POUR VIVRE COMME UN BLANC »
Même si cela aurait suffi à lui garantir une large popularité du côté du Camp Nou, Samuel Eto’o ne s’en contenta pas. Confirmant sa réputation d’enfant prodige – il n’avait que dix-sept ans et trois mois pour ses débuts au Mondial 98 -, il marqua dès la première journée de la Liga des buts souvent déterminants, puisqu’ils ont offert au Barça la bagatelle de 28 points. Son adapta¬tion extrêmement rapide a étonné beaucoup de monde, mais pas celui qui fut son dernier entraineur à Majorque, Luis Aragones, l’actuel sélec¬tionneur espagnol : « Si Eto’o avait réussi dans un petit club comme Majorque, il était clair que, dans une équipe aussi équilibrée et riche que le Barça, il ne pouvait que progresser ». Des propos d’autant plus appréciés qu’ils proviennent d’un homme récemment accusé de racisme pour ses propos insultants à l’encontre de Thierry Henry. Notons que, sans l’excuser, Eto’o a pris la défense de celui qu’il appelle « Grand-Père ».
Idole au Barça, Samuel Eto’o, malgré sa nonchalance et son côté espiègle, n’a plus rien aujourd’hui du gamin sans le sou débarqué de son Cameroun natal. Riche, il peut s’adonner aux plaisirs qui sont les siens : les grosses cylindrées, les habits de valeur et les jolies filles, même si, depuis son arrivée à Barcelone, il se montre plus assagi que pendant son long séjour aux Îles Baléares. Des goûts de luxe – « Je travaille comme un Noir pour pouvoir vivre comme un Blanc » – qui n’ont pas asséché son coeur, comme le prouvent la disponibilité, qu’il partage avec Ronaldinho, envers les enfants et ses innombrables largesses en faveur de sa famille et de ses amis camerounais. Ses nouveaux rêves passent par la conquête de nombreux titres avec le Barça et… par la volonté de continuer à faire souffrir le Real Madrid !
Autant dire que Florentine Pérez n’a pas fini d’entendre parler de lui, en attendant le 10 avril et le déplacement du Barça à Bernabeu, terrain qu’il affectionne particulièrement. Nul doute que le président madrilène regardera désormais à deux fois. Une star peut en cacher une autre.
Correspondance PACO AGUILAR