Le « clasico » de la Liga, joué dans un Nou Camp des grands soirs samedi dernier, a consacré l’entrée de Samuel Eto’o Fils, dans la cour des grands footballeurs de notre temps. L’avant-centre des Lions indomptables a, une bonne fois pour toutes, rangé dans sa remise l’image de jeune espoir en gestation qui lui collait à la peau depuis que le Real Madrid l’avait révélé au monde du football lors de la Coupe du Monde des clubs au Brésil. Samedi soir, devant plus de 100.000 spectateurs et plusieurs centaines de millions de téléspectateurs à travers le monde, Samuel Eto’o Fils a, une fois de plus, humilié le Real Madrid. Ce match était le sien et les enjeux, pour lui, allaient au-delà des trois points de la victoire.
Après avoir formé le jeune Camerounais, le Real Madrid l’avait rejeté, le trouvant uniquement bon pour être prêté à des clubs de seconde zone. Depuis son recrutement par le Real Majorque au début de la saison 2001, Eto’o Fils s’applique, à chaque rencontre entre les deux formations à infliger une correction au Real Madrid dans l’espoir qu’enfin le Santiago Bernabeu reconnaîtrait ses mérites et qu’il lui ouvrirait ses portes. Elles restèrent désespérément closes. Le comble est atteint l’été dernier.
Sacré ballon d’Or africain de l’année 2003, Eto’o Fils pense que le moment est enfin venu pour lui d’intégrer l’effectif d’un club à la mesure de son talent. Le Président du Real Madrid, Florentino Perez, de son côté, n’est pas de cet avis. Encore une fois, il décide de le prêter, cette fois à l’Atlético de Madrid, avec une clause à la clef, qui lui interdit de jouer contre le Real Madrid. La réaction du Camerounais est tranchante. Il n’y a pas plus de raisons de le prêter, lui, plutôt que Ronaldo, Raul, ou Zidane. Il estime que, comme eux, il est une vedette à part entière, dont tout club peut être fier.
Le Président du F.C. Barcelone, Juan Laporta, saute sur l’occasion et décide d’amener la perle noire au Nou Camp envers et contre tous. Fank Rijkaard, l’entraîneur du F.C. Barcelone, qui a déjà son effectif bien en place pour la saison, l’accueille froidement. Samuel Eto’o doit donc se battre pour se faire une place dans une attaque constituée par une constellation de vedettes. En quelques matchs, il parvient à éclipser le Suédois Henrik Larsson et prend très vite la tête de la course au titre de pichichi qui consacre le meilleur buteur de la Liga.
Samedi soir, Samuel Etoo’o devait prouver à la planète football tout entière que son transfert mouvementé, baptisé par la presse ibérique « le feuilleton de l’été », n’était pas un marché de maquignons et qu’il était bel et bien le bon cheval pour le Barça. Il n’y a guère, l’entraîneur du Real ironisait d’ailleurs en disant qu’il préférait de loin Michael Owen à Samuel Eto’o. Dans une interview d’avant-match, Florentino Pérez, anticipant la « bronca » des fans du Bernabeu en cas de défaite, a cru bon de faire un appel du pied au No. 9 des Lions indomptables en lui annonçant que les portes du Real Madrid lui étaient toujours ouvertes. La réponse d’Eto’o a fusé, sans concessions : « Je me sens bien au Barça et j’y reste. Tes portes, tu peux te les refermer ». Camfoot vous a publié des extraits de l’interview d’Eto’o dans l’édition de samedi matin.
Enfin, pour la première fois de l’histoire, 10 prétendants au Ballon d’or du football mondial s’affrontaient sur la même pelouse, sans compter la présence de 12 autres joueurs de classe mondiale dans l’arène.
C’est tout cela qui était en jeu pour Samuel Eto’o Fils samedi soir. L’Espagne tout entière tenait à voir ce match. C’est pour cela qu’il a été programmé à 22 heures et qu’il a été diffusé par la RTE, la chaîne nationale. Le derby, remporté par les Blaugrana par 3 buts à 0, a tenu toutes ses promesses. A l’image de tout le collectif du Barça, Samuel Eto’o, virevoltant, a illuminé cette rencontre de toute sa classe, fermant ainsi la bouche à tous ses détracteurs. Il a été au four et au moulin. C’est tout logiquement donc qu’il a ouvert le score à la 28è minute de la première mi-temps.
Ce but, son dixième cette saison en 12 matchs, est un véritable chef d’œuvre artistique, digne des plus grands exploits du Roi Pelé. Ayant observé la trajectoire asymptotique d’une balle broussée et anodine de Ronaldhino depuis la ligne médiane, malheureusement vers Roberto Carlos, retranché en dernier défenseur dans la moitié de terrain madrilène, Eto’o Fils, légèrement excentré sur le flanc droit, suit l’action à distance et poursuit sa course. Roberto Carlos laisse filer la balle vers son gardien de but à qui il fait signe de la main de venir à sa rencontre. Quand Iker Casillas s’apprête à ramasser la balle, à la limite des 18 mètres, Samuel Eto’o Fils jaillit dans le dos de Roberto Carlos. Il s’engouffre dans le trou noir créé entre les deux madrilènes, s’empare du ballon et s’en va le pousser au fond des filets avec une maîtrise qui lui a souvent fait défaut, devant un Nou Camp en délire.
La chevauchée fantastique d’Eto’o Fils qui a amené le troisième but est un récital technique. Eto’o Fils intercepte sur la ligne médiane une de ces passes en retrait de Zinedine Zidane, dont le Français a seul le secret. Il se lance, balle au pied, sur le flanc gauche du camp madrilène, se jouant et se déjouant du dispositif défensif des Galactiques. Quel florilège de gestes techniques en cinq petites secondes ! Humiliés, exténués et frustrés, Walter Samuel et Guti le prennent dans une grossière tenaille et le fauchent en pleine surface de réparation. Le penalty qui s’ensuit, indiscutable, est transformé par Ronaldinho. La mine dépitée de David Beckham et de Walter Samuel, l’international argentin du Réal Madrid, en dit long sur la bérézina des hommes en blanc qui, sonnés par la virtuosité du garçon de New Bell, promènent sur le terrain leur regard hagard, tels des somnambules.
Après cette leçon de football infligée au club merengue, Samuel Eto’o Fils fait son entrée dans le gotha du football mondial. Il mérite les félicitations fraternelles de Camfoot. Dorénavant, la pression va être énorme sur ses épaules. Saura-t-il la supporter, voire la canaliser pour la transformer en facteur de motivation? C’est ce qu’il affirmait avant le match et il en a donné la démonstration. Il doit persévérer dans cette voie.
Certes, avec le club catalan, Eto’o Fils joue la Champions League cette année, mais la Coupe du Monde 2006 en Allemagne rehausserait davantage sa dimension mondiale. Pour cela, il faudrait qu’il y participe avec le Cameroun. La qualification des Lions indomptables se trouve donc au bout de sa godasse. Pour l’obtenir, Eto’o Fils doit monter au créneau et assumer pleinement ses responsabilités. Il est à espérer que celui qui, samedi soir, a cessé d’être « Eto’odihno » pour devenir tout simplement Samuel Eto’o Fils, le Camerounais, saura mettre une sourdine à ses multiples frasques qui ont failli, à plusieurs reprises, lui coûter la vie, pour devenir un leader exemplaire sur la pelouse comme en dehors des stades. Les rêves et les espoirs de tout un peuple au Cameroun reposent plus que jamais sur son No. 9.
Bon vent, petit frère !
SANGA TITI, sanga@camfoot.com