Jean-Lambert Nang, chante-t-on dans les couloirs de l’immeuble siège de la télévision nationale, est tombé. Après près de quinze années passées à la tête du service des Sports devenu rédaction des Sports et Loisirs dans la même boîte, le journaliste, devenu éditorialiste plus tard, a été démis de ses fonctions vendredi dernier.
La décision de Gervais Mendo Ze, directeur général de la Crtv, le remplace par Daniel Anicet Noah, journaliste respecté dont on se souvient qu’il avait fait ses débuts dans le sport (couverture de la Coupe du monde en 1982) et, alors que son prédécesseur faisait déjà l’objet d’une suspension, couvert pour le compte de la télé, la Coupe du monde France 98. C’est un véritable coup de tonnerre à la Crtv et en dehors où on parle d’un intouchable qui est tombé. On glose. On s’interroge sur les raisons d’une décision qui puise ses racines dans les dernières sorties, à partir du 21 mai, de l’éditorialiste déchu. Ce vendredi, le Congrès de la Fifa décide de revenir sur la sanction qui frappe l’équipe nationale du Cameroun. L’amende des 200.000 francs suisses est maintenue. Mais, surtout, les six points à enlever ne sont plus qu’un triste souvenir.
C’est l’information du jour. Sur le synthé qui défile sur l’écran de la Crtv, elle défile. L’heure du journal télévisé bilingue arrive. Alex Mimbang et Emmanuel Ayilé qui le présentent l’annonce avec grand enthousiasme. Le premier, pour la partie francophone, reçoit Jean-Lambert Nang. Qui s’installe. En maillot Puma des Lions. Pour un éditorial qui ne va pas plaire à tout le monde. Pour une prise de position qui va courroucer sa hiérarchie.
L’éditorial du soir dit, en substance, que la sanction de la Fifa était motivée par des raisons extra-sportives. Il loue l’action de la Fécafoot et de la Caf. Qui ont conduit au recul de la fédération internationale. Et recommande, la sanction étant levée, l’impérative nécessité d’arrêter la chasse aux sorcières. Comme si, interprète-on à la Crtv, il voulait s’adresser au gouvernement. Il a justement oublié de mentionner que le gouvernement avait lui aussi travaillé pour la levée de la sanction, lui reproche-t-on dès lors. Il n’a pas fait cas de la réaction du ministre de la Jeunesse et des Sports, contenue dans un communiqué de presse. La partie française du journal n’a pas fait mention du point de presse donné par ce dernier au siège de son ministère. Tout s’emballe.
Le Dg Crtv appelle sur-le-champ. Au bout du fil, il a le standard du Studio IV de la télé où se fait le grand journal. Il veut s’entretenir avec l’un des présentateurs. Le standardiste répond que cela n’est pas possible. Et raccroche. Gervais Mendo Ze débarque. Tout furieux. Sa voiture croise celle de Jean-Lambert Nang à la guérite. Ne s’arrête pas. Fonce. Le Dg descend. Au pas de course. Atterrit au Studio IV. Premier acte. Le standardiste reçoit une mise à pied de cinq jours. Prochaine étape. Le sujet qui le met hors de lui. « Qui a demandé à Nang de faire l’éditorial? », s’enquiert-il. Silence du personnel technicien. Il exige que les deux présentateurs du journal descendent du plateau pour lui fournir des explications. Le journal est en train de se poursuivre. Un élément est lancé. Alex Mimbang descend et explique qu’il a suivi le conducteur de son rédacteur en chef du week-end. De Ibrahim Chérif. Gervais Mendo Ze appelle. Il demande que ce dernier rapplique. Ce qu’il fait illico presto.
Foudre
Entre temps, le Dg ne décolère pas au siège de la télé à Mballa II. Il demande en tempêtant que l’élément en français du point de presse du Minjes soit retrouvé et diffusé. En même temps que le communiqué de presse. Lorsqu’on lui dit que le texte et les cassettes se trouvent dans les bureaux fermés du service des Sports et Loisirs, il demande que les portes soient défoncées. Le temps presse. Le Journal est en train de courir vers son terme. Le téléphone du Dg n’arrête pas de sonner. Très souvent, sous le thème de la dernière sortie de Jean-Lambert Nang. On retrouve une version du communiqué de presse en anglais. Ibrahim Chérif va se mettre sous la table de présentation du Journal. Pour la traduction. Il dit. Alex Mimbang répète. Gervais Mendo Ze a tenté de rattraper le coup. A l’emporte pièce.
Toujours ivre de colère, il décide de repartir. Sur le chemin du retour que son épouse coupe, devant le hall d’entrée, pour lui annoncer que sur son deuxième téléphone portable, les services de la présidence ont tenté de le joindre pour s’offusquer de la tonalité de l’éditorial d’un de ses collaborateurs, Gervais Mendo Ze croise Jean-Lambert Nang qui était revenu à Mballa II et attendait tranquillement dans son véhicule. Le journaliste n’a pas le temps de placer un seul mot. Son patron lâche : « Tu m’as eu. Tu m’as eu. Je te remercie beaucoup. Je te remercie pour tout. » Et s’en va.
Le lundi qui suit, le Dg Crtv reçoit chez lui le nonce apostolique. Il invite pour l’occasion ses principaux collaborateurs. Jean-Lambert Nang qui s’est rendu au domicile du Dg pour ces rendez-vous privés qui font partie des éléments d’appréciation des sujets les plus fidèles de la cour, va partir avant la fin de ces agapes certainement ennuyeuses. Surtout que l’interpellation du ministre chargé des missions à la présidence, Philippe Mbarga Mboa, qui s’y trouvait n’a pas dû lui plaire. A Gervais Mendo Ze qui demande à voir le journaliste sportif, les collaborateurs consultés répondent qu’il s’en est allé. Certainement un autre crime de lèse-majesté. A ces heures de consultation tardives, on présente au Dg-Crtv le chapelet des mauvaises habitudes du rédacteur en chef des Sports et Loisirs, où « arrogance » et « zèle » occupent une bonne place.
Arrive le mercredi qui suit. Celui de la semaine dernière. Il y a le match de finale de Champions’s League. Il oppose Monaco au Fc Porto. 19h40. Jean-Lambert Nang débarque à la télé. A Alain Bélibi qui lui demande vers où il court, il répond qu’il veut simplement coordonner le plateau de ce jour. L’autre s’en va en lui rappelant, tout de même, la colère du Dg qu’il faut au moins esquiver. Mais Jean-Lambert a pris lui-même les commandes de son affaire. Avec cette indépendance qui ne lui ont pas toujours apporté que du bonheur. Gervais Mendo Ze n’a pas dû apprécier cette sortie qui ressemblait à de la défiance. Deux jours plus tard, le vendredi, il signe un texte. C’est son plus proche collaborateur, Gervais Mbarga, qui le porte à l’antenne. Où Emmanuel Ayilé et Alex Mimbang présentent le journal bilingue. Le directeur des Programmes (Dp) les somme de lire la décision. Exécution. Le Dp repart avec la chemise. Et le texte avec. Jean-Lambert Nang reste éditorialiste. Les avantages du service en moins. Victime, crient certains, d’avoir peut-être oublié que la raison d’Etat était parfois plus forte que les amitiés et les convictions même les plus enivrantes.
Thierry Gervais Gango