À quelques heures de la confrontation au sommet entre la Côte d’Ivoire et le Cameroun, l’intérêt qu’affichent les populations camerounaises à l’intérieur du pays et plus précisément à Bafoussam, a déjà atteint le stade de l’obsession. Et pour cause, « C’est un match que tout le peuple camerounais attend », pense Henri Mbou, un chasseur d’images dans les stades de football de la province. Dans les marchés, bars, snacks et radios locales, le sujet est sur les lèvres et dans les menus. Si les effigies et fanions aux couleurs des Lions indomptables sont assez rares dans les coins du chef-lieu de la province de l’Ouest, les ‘Bafoussamois’ sont de tout cœur avec le capitaine Song et ses coéquipiers. En attendant la réalité du terrain, chacun y va de son pronostic…
Ce jeudi après-midi, peu avant 18 heures, des nuages ont couvert le ciel de Bafoussam. Il menace de pleuvoir. À pas pressés, nous sautons dans un taxi. Une conversation anime les trois passagers qui étaient déjà à bord. Le sujet est d’actualité : le match Côte d’Ivoire Cameroun, de ce 4 septembre à Abidjan. « C’est un match qui va se jouer jusqu’à la dernière goutte…», grossit Moussa Hubert, le taximan.
Il n’y a qu’à voir l’intensité avec laquelle ces passagers en parlent pour être déterminés que « le pays est en danger », lance l’un, tentant de convaincre un autre, qui estime que « la Côte d’Ivoire est plus en danger que le Cameroun. Les Ivoiriens sont divisés. Si une victoire sur les Lions peut leur permettre d’être unis, ce serait bien », lâche-t-il, en descendant du taxi, au lieu dit ‘Total d’en bas ‘, sis à la gare routière Bafoussam-Foumbot-Foumban.
Il n’est pas seul à argumenter ce point de vue. « Il n’y a pas à s’inquiéter, la Côte d’Ivoire va gagner le Cameroun par un score de trois buts à un », pense alors Ibrahim, tailleur au marché ‘A’ de Bafoussam, qui se justifie par « la performance de Didier Drogba, suivi de son coéquipier Bonaventure Kalou ». Pour Baleng, lui aussi commerçant, il y a que les Ivoiriens sont déterminés à assurer leur première participation à la coupe du monde, et « ont l’avantage de chercher même un match nul». Il ajoute que « Le Cameroun avait pris les choses à la légère à la phase aller. La Côte d’ivoire a pris les choses en main. Et c’est à la dernière minute qu’on s’embrouille », croît-il, visiblement désolé.
Son de cloche différent d’autres personnes rencontrées dans les rues de Bafoussam, confortées par le fait que, le Cameroun aime ce genre de situation : dos au mur. « Le Cameroun n’est pas au dessus de la Côte d’Ivoire, mais, nous avons le football. Je fais confiance à Song à la défense », pense alors notre taximan, quand nous prenons congé de lui, au carrefour Auberge. Il accepte alors de poser pour Camfoot.com.
Toujours au Carrefour Auberge, Fotso Calvin, ne pense pas autrement. « Je pense que le Cameroun va essayer de nous marquer des buts. Je compte sur quelqu’un comme Eto’o Fils et Rigobert Song ». Tout à côté de lui, Eric Ouatara le soutient : « le Cameroun va battre par un score de deux buts à 0 »
Nous voilà à la 3ème rue Nylon. Le sujet est toujours au menu des commentaires. « C’est un match qui sera très engagé. En tant que Camerounais d’abord, je fais confiance au Cameroun. Il est bien vrai, c’est en Côte d’Ivoire, généralement, on nous parle de la loi de domicile, mais je crois que ce jour-là, on pourra briser cette loi du domicile », pense Ernest Wadop, tenancier d’un kiosque de sucettes et cigarettes dans le coin. Mais, Guy Lama, comme on l’appelle, n’y va pas du dos de la cuiller : « Vous-mêmes, quand vous voyez le retour triomphal de Kalla Kongo, vous pensez que Artur Jorge avait mal à la tête ! C’est pour une victoire assurée ! Je suis très sûr de moi », dit-il, pronostiquant sur le score d’un but à zéro.
Passant par là, Pierre Sukam, qui venait d’officier comme 4ème arbitre au stade municipal de Bafoussam à la faveur du match en retard de la 23ème journée Fovu – Racing (0-0) s’est confié. « Je vois que c’est un match qui va être très vicié, surtout qu’il a été très médiatisé. J’ai surtout peur de cette médiatisation. Je me dis que les Camerounais peuvent être vainqueurs. Ils ont l’habitude de ce genre de situation. Mais, il faut aussi savoir que les Ivoiriens ont une attaque très percutante. Personnellement j’ai peur de ce match, mais, comme on dit, impossible n’est pas Camerounais. Je souhaite que le Cameroun gagne » dit-il, précisant que « c’est le cœur d’un Camerounais qui parle actuellement ».
A Bafoussam, la cour assidue faite à Etamè Mayer pour qu’il rejoigne les Lions indomptables écœure. « Le fait qu’on insiste à appeler certains joueurs comme Etamè Mayer peut affecter le moral de ceux qui sont déjà là. Ils vont certainement se dire que parmi eux, il y en a qui valent plus que d’autres. Ça peut les faire fléchir psychologiquement », commente le commerçant Chancelin, entre deux coups de brosse sur une chaussure. Épeuré alors, il se refuse tout pronostic. Mais, Dg (Digé) Singe Mix, vendeur de Cd au carrefour auberge, croit avoir la sentence : « les Lions vaincront au stade Houphouët-Boigny par deux buts à 0, un but de Samuel Eto’o Fils et le second de Gérémi Sorel Njitap ».
« Le résultat va se décider sur un détail… »
On le voit, le sujet alimente les conversations. Aussi chez les traditionnels du ballon rond. À la délégation provinciale des Sports de l’Ouest, on en parle aussi. Avec un regard moins passionné, mais avec, patriotisme oblige, un penchant pour le capitaine Song et ses coéquipiers. « A regarder les équipes sur le terrain, les deux se valent. Le Cameroun a toujours été dans les grands rendez-vous, je crois dur comme fer que, voilà encore une occasion pour nous de démontrer notre omnipotence. La différence ne se fera pas au niveau technique, mais beaucoup plus au niveau du potentiel psychique. Je dis que les Camerounais sont habitués à ce genre de rencontre, à supporter ce genre de pression psychologique », pense Edouard Djonkam, l’entraîneur de Sable de Batié.
L’entraîneur provincial de football de l’Ouest tente de recadrer le contexte. « Aujourd’hui, nous avons des joueurs qui sont des professionnels ; les championnats viennent à peine de commencer. Ce qui fait que, certainement, sur le plan tactique, il y aura quelques petits problèmes. Mais, c’est un match qui va se jouer beaucoup plus dans la tête. C’est l’équipe qui aura plus de ressource mentale qui va l’emporter » corrobore Nana Saleng, qui avance que « le résultat va, certainement, se décider sur un détail. C’est-à-dire une balle arrêtée, une remise en touche… »
Branle-bas
Loin des coins de rencontres, Bafoussam n’a pas vêtu d’accoutrements particuliers pour attendre ce match déterminant de la 9ème journée des éliminatoires qualificatives pour la coupe du monde 2006. On peut tout de même apercevoir une banderole aux couleurs d’une entreprise de Télécom dans le ciel de Bafoussam, au lieu dit ‘feu rouge’ notamment, et aux allures de campagne publicitaire. Le message est fort : « Allez les Lions, tout le peuple camerounais est derrière vous »; dans les deux langues officielles (Anglais et Français).
Dans les radios locales, des programmes spéciaux sont au menu. A Crtv-Poala, Djomo Kevin annonce une veillée d’armes à partir de 20 heures 30, ce samedi. Louis Parfait Assiang va concentrer sa tranche matinale de samedi, 8h-10h- à cette actualité sur les ondes de radio Star. Le débat sera ouvert entre observateurs du football, journalistes et auditeurs, etc, qui vont réagir sur cette actualité brûlante.
Dans les quelques rares échoppes, la chasse aux équipements sportifs n’est pas le fort des ‘Bafoussamois’. « Ça ne passe plus le marché », explique papa Pierre, tenancier de la boutique Camcado qui faisait dans ce commerce. Il est d’ailleurs en voie de fermer boutique, car, « les gens partent toujours dans la friperie ».
Pourtant, dans ces lieux de vente des articles de seconde main, aux abords de rue souvent, ce n’est non plus la grande affluence. « Les quelques enfants qui achètent les maillots des Lions, c’est généralement pour le sport dans les établissements. S’agissant des supporters des Lions indomptables, il y en a presque pas », se plaint Fotso Pascal, de ‘Tarak sport’, où l’on peut toucher quelques rares maillots aux couleurs des Lions indomptables. « Peut-être, c’est dans le jour J qu’ils pourraient se présenter. Il y a les Blancs qui font le tourisme qui viennent souvent lors des grands matches », positive-t-il.
Mais, son voisin, qui a requis l’anonymat, pense que les choses ne vont pas changer, d’ici la veille du match. À cause de la pauvreté ambiante qui étripe les Camerounais en province. « Les Camerounais n’ont pas d’argent dans leur poche. On fait comme si le Cameroun en allant à la coupe du monde, c’est la manne qui serait tombée du ciel pour nous retirer de la pauvreté. Vous allez nous excuser avec cette histoire de football, on veut l’argent dans le pays. Après le match, on aura faim ! On aurait même envie de s’acheter une bière pour savourer la victoire au cas où. Mais, on a les poches accrochées sur les branches d’arbre parce que, rien au fond pour soutenir » tempête-t-il, avant d’ajouter tristement: « Nous n’avons pas que ça ! Il y a d’autres choses qui sont capitales pour notre pays. Dehors là, les Camerounais ont faim ; ils manquent vraiment quoi mettre sur la dent. Rien ne marche. Les commerçants ne vendent pas. Les taximen n’ont pas de clients ».
Le problème des infrastructures sportives est encore revenu sur la sellette, d’aucuns s’interrogeant sur ce que rapporte au pays une participation des Lions indomptables à une coupe du monde. Mais au-delà de toutes ces considérations, il n’en demeure pas moins que tous attendent ni plus ni moins que la victoire des Lions Indomptables dimanche à Abidjan. Un clin d’oeil, du baume au coeur à toutes ces populations affamées aussi de victoire.
Kisito NGALAMOU à Bafoussam
Dernière minute: 15h15 – Lions viennent t’atterrir à Yaoundé-Nsimalen pour leur escale d’Au revoir au peuple camerounais. Nous y reviendrons sous peu… K. Ngalamou et G. Nsigue à Yaoundé