Combien d’amoureux du football savent que, cette semaine, se jouaient également les demi-finales de la Coupe de l’Uefa en Europe, à côté des demi-finales de la Champions League?
Ils doivent être très peu nombreux, tellement la mobilisation faite autour de la C1 a relégué au rang de tournoi de quartier l’autre compétition de football interclubs sur le Vieux Continent. C’est la résultante des pressions exercées depuis des années sur les instances dirigeantes du football international par le lobby des clubs européens les plus riches, le G14, qui est désormais en réalité le G18 puisqu’il regroupe les 18 clubs les plus puissants financièrement sur le Vieux continent.
La Champions League, merveilleuse trouvaille sportive, est surtout une prime aux clubs puissants qui n’ont pas eu la chance de devenir champion dans les championnats nationaux. Quelle est cette “Ligue des champions” qui regroupe autant les champions des pays que leurs dauphins et même, pour certains “grands pays”, le 3ème et le 4ème du championnat national? Le champion d’Europe en titre, Liverpool, était ainsi troisième dans le précédent championnat d’Angleterre en 2004! Pendant ce temps, des pays qui sont mal classés à ce qu’on appelle ‘’indice Uefa » (Luxembourg, Lichtenstein, Slovénie, Malte, Iles Féroé, etc.) voient souvent leurs champions nationaux ne pas avoir la chance de disputer la fameuse Champions League parce qu’éliminés dès le tour préliminaire qu’on leur impose. Les petits champions s’effacent pour laisser place nette aux Real Madrid, Milan Ac, Manchester United, Valence, Ajax Amsterdam, Arsenal, qui n’ont guère remporté leurs championnats respectifs mais sont royalement invités au festin des grands…
En Europe, le football professionnel obéit davantage à la compétition économique qu’à l’équité sportive. Et à force de gagner du terrain, le foot business en veut toujours plus. On lui a donné l’avant-bras, il réclame à présent le bras entier! Le 20 mars dernier, se sont ouvertes les plaidoiries dans “l’affaire Oulmers”, au tribunal de Charleroi. Le G14 a porté plainte contre la Fédération internationale de football association (Fifa) pour “abus de position dominante” et réclame à l’instance faîtière du football mondial une indemnisation de 860 millions d’euros (près de 563 milliards de Fcfa). Un chiffre qui donne le tournis, mais le lobby des clubs les plus puissants a pris la calculette et estimé que plus de 180 joueurs évoluant dans des clubs membres du G14 prendront part à la prochaine Coupe du monde, pour un coût quotidien de 4000 euros (en équivalent de salaire et frais d’assurances).
L’affaire Oulmers, du nom du joueur marocain sociétaire du Sporting de Charleroi, 1ère division belge, est née après la blessure de ce dernier au cours d’un match amical avec le Maroc en novembre 2004. Le joueur avait connu huit mois d’indisponibilité. Le club et le G14 ont assigné alors la Fifa devant le tribunal de commerce. Après l’arrêt Bosman en 1995, la révolution dans le football professionnel mondial viendrait-elle à nouveau de la Belgique?
Il faut dire que si le G14 a eu le zèle de pousser le bouchon trop loin au point de revendiquer que les fédérations versent des compensations financières aux clubs chaque fois qu’elles utilisent leurs joueurs pour des matches des équipes nationales, c’est parce qu’il est habitué à se faire entendre. Cette fois, la démarche semble pourtant vouée à l’échec. Le président de la Fifa, le Suisse Joseph Blatter, a prévenu qu’il “n’y aura pas un deuxième arrêt Bosman”. Le gouvernement du football mondial maintient donc la règle de la mise à disposition des joueurs par les clubs chaque fois qu’ils seront sollicités par les équipes nationales de leurs pays.
Il faut espérer que la Fifa ne faiblira pas dans le bras de fer qui l’oppose à ce sujet au G14. Parce qu’il y va de l’avenir du football des sélections. Un peuple épris de ballon rond comme celui du Cameroun se verrait obligé, plus qu’il le fait en ce moment, de devenir supporter de Barcelone parce que la Fécafoot n’aura jamais des moyens pour dédommager le club catalan afin que Samuel Eto’o puisse jouer avec les Lions indomptables, ou Chelsea (Njitap), Galatasaray (Song, Saidou), Inter Milan (Wome), Arsenal (Etame Mayer), Lille (Makoun), Paris Saint Germain (Mbami, Bilayi Ateba). Les clubs sont libres de faire leurs affaires mais il est malsain de penser que les joueurs leur appartiennent comme autrefois les esclaves.
La professionnalisation du football a été une excellente chose. Elle a d’abord permis de décomplexer ses pratiquants, et de faire rêver chaque fois de nouvelles générations de footballeurs. La Fifa, qui brasse aussi beaucoup d’argent à la Coupe du monde, peut réfléchir à une autre forme d’accommodement avec les clubs formateurs et employeurs des footballeurs. Mais de grâce, nous ne saurions cautionner cette mort programmée du football des sélections que veut orchestrer le G14. Le football n’est beau que quand il est entier, dans toutes ses composantes, compétitions interclubs et compétitions entre équipes nationales. Le foot n’est ni la course des chevaux ni la Formule 1.
Emmanuel Gustave Samnick