Ex-Lion Indomptable ayant été sociétaire de l’Aigle de Nkongsamba puis de Diamant de Yaoundé dans le championnat national de football de première division pendant la première moitié des années 70, cet attaquant, dribbleur hors pair, champion d’Afrique des clubs champions avec le Canon de Yaoundé qu’il renforçait contre l’Ashanti Kotoko de Kumasi (Ghana) en 1971, a une carrière marquée par des buts qu’il inscrivait à profusion.
Reconverti en encadreur technique de football après avoir obtenu des diplômes d’entraîneur de la discipline en France, il a fait ses preuves sur le banc de touche de plusieurs équipes dont Léopard de Douala, Union sportive de Douala et Dynamo de Douala avant de devenir membre du bureau exécutif de la ligue provinciale de football du Littoral où il occupe le poste de vice-président. Dans les lignes suivantes, cet ex-footballeur professionnel dont une vilaine blessure a mis fin à la carrière à Rennes en France, répond à nos questions portant sur les buteurs devenus, depuis bientôt deux décennies, une denrée rare en championnat d’élite de football.
Qu’est-ce qui, selon vous, peut expliquer, de nos jours, la rareté des buteurs de la trempe des Charles Léa Eyoum, Eugène Ekoulé, Jean Manga Onguéné, Albert Roger Milla, Isaac Bassoua ou encore Alain Eyobo et François Omam Biyick en championnat d’élite de football au Cameroun ?
L’explication est toute simple. On naît buteur, on ne le devient pas. Il est très difficile de former un buteur sinon, dès ses débuts dans le football. On est buteur dès les premiers pas dans la pratique du football. C’est naturel. La carence des buteurs peut donc s’expliquer par le fait que ceux qui prétendent l’être ne le sont pas dès leurs débuts dans le football. Et, il n’est pas facile de devenir, du jour au lendemain, buteur de race comme un des footballeurs des années 70 et 80 que vous avez cités dans votre question. Il y a un autre facteur à déplorer, l’exode massif des jeunes joueurs. Ces derniers sont toujours en train de s’expatrier. Dès qu’un jeune attaquant marque un, deux, voire trois buts, il croit qu’il est au summum de son art, des négriers viennent le chercher et l’emmènent alors qu’il ne s’est pas encore bien affirmé dans les compétitions locales.
Pour remédier à cette situation désastreuse dans laquelle se trouve les compétitions nationales de football au Cameroun, que préconisez-vous ?
C’est difficile de remédier à cette situation car, c’est un problème de manque de joueurs de qualité. Toutefois, avec un peu de volonté, la tendance peut être renversée. Il faut reconnaître que notre football aujourd’hui n’a plus ces grands joueurs qui faisaient rêver, ces attaquants renards des surfaces de réparation adverses. Dans les années 70 et 80, nous avions des footballeurs naturellement bons. Des génies faisant du ballon rond ce qu’ils voulaient. On n’a plus ce type de joueurs parce que les jeunes ne veulent pas apprendre, ils brûlent les étapes et raccrochent très rapidement. Par ailleurs, les entraîneurs n’ont pas le temps de pouvoir travailler un joueur dans le but de le transformer en buteur, parce qu’on leur demande immédiatement des résultats. Les entraîneurs ne travaillent plus à fond avec les joueurs, ils ont un seul problème, faire de bons résultats pour rester dans les bonnes grâces du président du club. En définitive, pour remédier à cette carence de buteurs, il faudrait que dirigeants de la fédération et des clubs, et entraîneurs acceptent de travailler dans le sens de tout ce que j’ai évoqué ci-dessus. Ce n’est qu’ainsi que l’on pourrait se retrouver avec des clubs ayant chacun un grand buteur comme ce fût le cas dans les années 70 et 80.
Pour vous qui étiez buteur avant de devenir entraîneur de football, quelles sont les caractéristiques d’un bon buteur ?
Comme je l’ai dit ci-dessus, on naît d’abord buteur. Maintenant, un buteur doit être un joueur calme, consciencieux et courageux devant les buts. Dès qu’il a le ballon, un bon buteur doit savoir ce qu’il doit en faire, par rapport au portier et aux buts adverses. Il doit réfléchir très rapidement. Avant de marquer son but, le buteur, balle au pied, respire et joue sereinement. Au jour d’aujourd’hui, plusieurs jeunes joueurs ne savent pas cela. Il faut le leur inculquer. Dans les 18 mètres adverses, le buteur ne réfléchit pas trop ! Un joueur qui arrive dans la surface de réparation adverse avec son élan, et continue avec cet élan là, ne peut pas facilement marquer le but. Arrivé dans les 18 mètres, un bon buteur se calme, réfléchit, regarde la position du portier et des buts adverses avant de jouer son ballon dont la probabilité de se retrouver au fond des filets est très grande.
Pensez-vous que l’on puisse transformer un joueur en buteur ?
Si ! C’est possible. Mais, il faut reconnaître que cela demande beaucoup de travail car, aujourd’hui, les entraîneurs ont la pression des dirigeants de clubs pour ce qui est des résultats. Ceci fait que ces techniciens n’ont pas assez de temps pour consacrer à un joueur qu’ils voudraient transformer en buteur. Un buteur, on le travaille essentiellement devant les buts. Il doit perpétuellement être devant les buts. Dans tous les coins : à gauche, à droite, en face et bien sûr le jeu de tête. Un bon goléador est un joueur complet qui doit, tout le temps avoir à l’esprit de marquer des buts. Et, aux entraînements, c’est un travail spécifique qui nécessite d’être pris au sérieux. Quand on ne demande pas trop de résultats à un entraîneur, il peut facilement faire le travail qui consiste en la transformation d’un joueur en grand buteur. Avec les équipes de jeunes, c’est très facile. Si on m’en donne une, je peux très facilement travailler un jeune, tant sur le plan tactique que technique, qui deviendra incontestablement un bon buteur.
Quels sont, selon vous, les grands buteurs que le championnat de première division de football du Cameroun a déjà connus ?
Pour ce qui me concerne, je pense que les buteurs de race, des vrais, que notre championnat a déjà produit, ne sont pas nombreux. Il y a eu Eugène Ekoulé, Jean Manga Onguéné et surtout moi. Et, de tous ces trois, je pense que j’ai été le meilleur. Toutefois, je pense que l’on peut citer des joueurs tels Milla, Tsémo, Eyobo, Etémé, Bako et Omam qui ont aussi eu des carrières marquées par des buts décisifs qu’ils inscrivaient. Bon nombre de joueurs, sans être des buteurs naturels, ont imprimé leurs marques dans le championnat d’élite de football par des buts dont ils étaient les auteurs.
Dans le 46ème championnat d’élite de football actuellement en cours, avez-vous déjà vu un buteur qui est sur la trace des grands renards des surfaces adverses que l’on a connu dans les compétitions nationales pendant les années 70 et 80 ?
Malheureusement, non ! De tous les matches du championnat d’élite que j’ai suivis depuis le début de cette saison sportive, je n’ai pas encore vu un joueur ayant le profil des grands buteurs que les Manga, Ekoulé et moi étions à notre époque. Chaque équipe de l’élite a en son sein des joueurs qui marquent des buts mais, je n’ai pas encore vu un buteur né. Ceux qui marquent actuellement des buts en championnat le font comme chaque joueur aurait pu le faire. Quand un buteur naturel marque des buts, on le sent. Toutefois, je pense que le joueur Ekanga, sociétaire de Astres de Douala peut, s’il travaille bien et s’il est bien encadré, devenir un grand buteur. Je pense que si l’on prend spécifiquement Ekanga, il peut, difficilement certes, devenir un très bon goléador.
Selon vous, depuis quelle année le Cameroun n’a plus eu de buteur de race dans son championnat d’élite de football ?
Après la vague des buteurs tels que Ekoulé et Manga Onguéné qui ont arrêté de jouer en championnat d’élite au début des années 80, le Cameroun n’a plus eu de buteur de race, des renards des surfaces dignes de ce nom. Depuis cette époque là, on n’a plus des buteurs instinctifs. Tous les jeunes, même ceux que l’on peut modeler, ont une seule chose en idée, aller jouer en Europe.
Au delà du championnat d’élite de football qui nous intéresse, si l’on vous demande de dire si les Lions Indomptables actuels ont en leur sein un buteur de race, un buteur né ayant le profil souhaité par vous ?
Non ! Il n y en a pas. Dans cette équipe là, il n’y a pas selon moi un buteur né. Au sein des Lions actuels, n’importe quel joueur peut marquer des buts. Ils ont tous des qualités intrinsèques qui leur permettent de jouer et d’inscrire des buts mais, il n’y a pas de buteur naturel. Maintenant, je pense qu’un joueur comme Pius Ndieffi est un bon buteur. Pour moi, c’est le buteur né que nous avons dans cette équipe des Lions Indomptables mais, les entraîneurs ne le font pas beaucoup jouer. Et, cette absence sur les stades lui fait perdre totalement ses moyens.
Entretien mené par Honoré FOIMOUKOM, Le Messager