Limogeages en série, changement d’équipementier, omniprésence médiatique… Depuis son arrivée à la tête de Fédération camerounaise de football, Samuel Eto’o est un président très actif. Trop, selon ses détracteurs.
Plus de sept mois après son élection, le 11 décembre 2021, à la présidence de la Fédération camerounaise de football (Fecafoot), Samuel Eto’o n’en finit pas de bousculer l’institution. Le 12 juillet, il a limogé Bill Tchato, qui occupait le poste de coordonnateur des équipes nationales depuis janvier 2013, et l’a remplacé par Benoît Angbwa, un autre ex-Lion. Selon un proche de Tchato, ce dernier ignorait toujours, une dizaine de jours après son renvoi, les raisons de son départ.
Quelques jours plus tôt, Le Coq Sportif, équipementier français engagé avec les Lions depuis janvier 2020, faisait à son tour les frais d’une décision inattendue de la Fecafoot. Cette dernière a publiquement annoncé, le 1er juillet, qu’elle mettrait fin, après la CAN féminine au Maroc de juillet, au contrat liant les deux parties jusqu’en juillet 2023, sans la moindre explication. L’équipementier français, qui avait remplacé Puma, a depuis annoncé qu’il n’entendait pas en rester là, à quatre mois de la Coupe du monde au Qatar. L’affaire devrait se terminer devant les tribunaux, comme l’a laissé entendre dans un communiqué Marc-Henri Beausire, le directeur général de la marque française. Il soupçonne la Fecafoot de vouloir s’engager avec autre équipementier à moindres frais, avant le Mondial. « Si jamais cela va devant la justice, cela pourrait coûter cher, et encore une fois, c’est le contribuable camerounais qui règlera la facture », se lamente un ancien dirigeant de l’instance.
Attention à l’addition
Une autre décision de Samuel Eto’o pourrait délester les caisses de l’État d’une somme rondelette, après le limogeage du sélectionneur Toni Conceiçao en février dernier et son remplacement par Rigobert Song. Le Portugais, qui émargeait à près de 60 000 euros par mois, était sous contrat jusqu’en août 2023, et il a naturellement saisi la FIFA. Celle-ci a considéré que son licenciement était abusif. La facture pourrait grimper à 1,5 million d’euros. « Disons que sur le changement de sélectionneur, Eto’o est dans son rôle, puisqu’il a estimé que Conceiçao n’était pas l’homme de la situation pour qualifier le Cameroun pour la Coupe du Monde. Les faits lui ont donné raison, puisque les Lions disputeront le tournoi. Mais le prix à payer est élevé, même si la qualification va rapporter de l’argent à la fédération [8 millions d’euros au minimum versés par la FIFA]. Par contre, dans le litige avec Le Coq Sportif, on attend ses explications. Mais Eto’o a ce défaut de vouloir tout contrôler, s’occuper de tout. Et comme il n’est pas très bien entouré, il prend de mauvaises décisions », ajoute une autre source proche de la Fecafoot, sous couvert d’anonymat.
Évoquer l’action de l’ancien capitaine des Lions indomptables à la tête de la fédération est un exercice auquel se prêtent volontiers nos interlocuteurs, à condition de ne pas divulguer leur identité. « Vous comprenez qu’ici, ce n’est pas la France. On ne peut pas tout dire ouvertement », justifie l’un d’eux. À la Fecafoot, aucune tête ne dépasse, sauf celle d’un patron intelligent, direct et très à l’aise avec les mots. Obtenir un entretien avec Rigobert Song relève du parcours du combattant, d’abord parce que le principal intéressé ne raffole pas de l’exercice médiatique. Mais selon plusieurs sources, un certain nombre de demandes seraient également ralenties par la présidence de l’instance.
« Song n’a même pas pu s’exprimer après le tirage au sort de la Coupe du Monde, ni même un membre du staff », râle un journaliste. Au mois de mai dernier, Benjamin Banlock, le secrétaire général de la fédération, avait démissionné, en motivant sa décision par son désaccord avec la gestion financière de la nouvelle direction, ainsi que son management. Banlock est quant à lui visé par une plainte de la fédération, et a même fait l’objet d’une interdiction de sortie du territoire camerounais. « Samuel Eto’o est à l’écoute, mais quand vous discutez avec lui, il faut avoir des arguments. Il veut que les choses avancent, quitte à bousculer. Mais travailler avec lui est une expérience assez intéressante », argumente un salarié de la fédération.
Un homme clivant
Eto’o, qui a honoré sa promesse de ne pas percevoir le salaire alloué au président de la Fecafoot (5340 euros environ) et de le reverser au football camerounais, a également souhaité régler l’épineuse question des primes, souvent source de conflit avant et pendant des compétitions comme la Coupe du Monde et la CAN. Mais après la qualification pour le Mondial au Qatar des Lions indomptables face à l’Algérie en mars dernier (0-1, 2-1), leur montant avait opportunément fuité, une indiscrétion que les proches d’Eto’o avait attribuée à des membres du gouvernement. De fait, l’ancien attaquant n’a pas que des amis dans les sphères politiques, y compris au sein de la garde rapprochée de Paul Biya, le chef de l’État, même s’il bénéficie du soutien de Ferdinand Ngoh Ngoh, le secrétaire général de la présidence, et que Chantal Biya, la première dame, l’apprécie.
La forte personnalité du patron du football camerounais est clivante, et ses prises de parole plaisent ou agacent. Ainsi en fut-il de sa descente dans le vestiaire des Lions, après un poussif succès contre le Burundi (1-0) obtenu sur le terrain neutre de Dar es Salaam, en juin dernier en qualifications pour la CAN 2024. Ce jour-là, dans ce qui était tout sauf un discours improvisé – Eto’o était équipé d’un micro-cravate et une caméra a immortalisé la scène – il avait tancé des joueurs au garde-à-vous, leur conseillant d’en faire davantage s’ils voulaient participer à de la Coupe du Monde, devant un staff technique qui regardait le bout de ses chaussures. Autre exemple : son communiqué cinglant pour affirmer que la subvention de l’État destinée aux clubs professionnels était bloquée par des fonctionnaires du ministre des Sports, Narcisse Mouelle Kombi, avec qui il entretient des rapports exécrables.
Au Cameroun, Samuel Eto’o, condamné en Espagne à 22 mois de prison pour fraude fiscale, jouit d’une très forte popularité auprès de la majorité des supporters, qui n’oublient pas l’immense carrière de celui qui fut l’un des meilleurs attaquants du monde et le perçoivent comme le seul capable de faire franchir un cap au football camerounais, en améliorant le statut des joueurs, longtemps sous-payés et peu considérés. « Tout ce qu’il dira ou fera sera disséqué. Ses ennemis, et ils sont assez nombreux, l’attendent au tournant, prévient un ancien international. À la moindre faute, ils ne le rateront pas. »