Le Cameroun avait peut-être la plus belle équipe de son histoire. La voilà sortie dès le premier tour…
Le Cameroun a traversé incognito la Coupe du monde. Quatre points, une élimination logique, une déception légitime. L’ambition avait gagné les Lions depuis si longtemps… Leur double succès à la CAN, leur triomphe aux JO leur donnaient un statut d’outsiders.
Retour sur un échec imprévu de notre envoyé spécial à SHIZÜOKA.
Un ministre omnipotent
Le football camerounais aime à se saborder. En 2000, Pierre Lechantre, en suivant le modèle Claude Le Roy en 1998, avait monté ce groupe de Lions à la CAN au Ghana et au Nigeria (victoire finale). Dans la foulée, il enchaînait quatre succès qualificatifs à la Coupe du monde et récoltait un nul au Stade de France (1 -1). Avant cette rencontre, le ministre de la Jeunesse et des Sports, Bidoung Mkpatt, à peine nommé, lui demande expressément d’écrire une lettre manuscrite stipulant que le Cameroun ne serait pas battu par plus de deux buts d’écart l Le pari est tenu mais Lechantre est remercié contre l’avis de la majorité du groupe sur décision ministérielle, le début d’une succession d’entraîneurs (dont un bref retour de Lechantre) jusqu’à l’arrivée de Winfried Schäfer.
Dans l’organigramme des Lions, le ministre dirige l’ensemble du système, domine Mohamed lya, le président de la Fédération, et donne ses instructions. Au Japon, Mkpatt était présent, emmenant avec lui une cinquantaine de personnes. Les joueurs auraient préféré voir leurs épouses les rejoindre, ils avaient droit dans leur hôtel à un nombre invraisemblable d’invités… Le ministre donne aussi ses avis techniques.
Après la défaite contre le Brésil en Coupe des Confédérations (2-0), il avait ainsi critiqué un par un devant la télévision nationale des Lions effarés. Il avait vite fallu récupérer les images pour éviter un clash avec des cadres prêts à partir… Sa méthode : mettre une pression excessive dans des réunions sans fin. Cette fois, les joueurs avaient décidé de ne plus y assister. Cela n’empêchait pas les conseils. En sus dans son entourage, certains donnaient des avis autorisés, remettant en cause le choix d’un sélectionneur allemand avant le choc, de mardi, via une note envoyée au Cameroun…
Dans la matinée du match contre l’Allemagne, des » encadreurs » ont donc été priés de prendre l’avion du retour!
Autre problème: l’argent. Alors que tout devait être réglé avant de partir, il a fallu quatre jours pour trouver le liquide réclame par le groupe. Sans oublier un voyage en avion de plus de quarante heures, en raison notamment d’autorisations de vol négligées. N’était-il pas possible de prendre un vol d’une ligne régulière ? Plus grave encore: le jeu a reflété leur vie en communauté.
L’idée directrice consistait à empêcher les joueurs d’être détournés de leur objectif : pas de sorties intempestives, hôtel ultra surveillé. Leur performance a été à l’image de cette préparation. Ils ont été bridés, ils ont perdu de leur folie, de leur vie. On ne gère pas le Cameroun comme la Russie des années 1970. Certains s’ennuyaient tellement que le séjour leur apparaissait déjà trop long…
Un entraîneur prévisible
Depuis sa prise de fonctions, Winnie Schäfer exècre les surprises. Le sélectionneur est carré, rigide, ultra prévisible. Si sa victoire à la CAN reste à son crédit, elle provient aussi de la qualité du groupe contre des adversaires à sa portée. Mais la Coupe du monde a montré les limites d’un tel fonctionnement et d’une telle logique jusqu’au-boutiste.
Ainsi, à ses yeux, il n’existait que onze joueurs et deux véritables remplaçants (Ngom Kome et Suffo). Les autres complétaient la liste des vingt-trois. Ainoudji, Ndo, Epalle, par exemple, étaient là en vacances. Déjà, le sélectionneur avait privilégié un groupe immuable, étant entendu que personne ne pourrait chiper une place sur le pré.
C’était se passer, sans préavis, de Mbami ou de Tchuisse, notamment à peine testés en amical.
Un côté droit à plat
Pour la première fois de l’histoire du pays, aucun local n’a été convoqué. Logique: Schäfer ne les connaissait pas. « Ce qui est incroyable, c’est que, même durant les entraînements, on n’existait pas « , disait un exclu. Le match contre l’Allemagne reflète parfaitement ce sentiment. Devant cette défense solide, l’apport de Ndiefi, par son mouvement, ses appels et son harcèlement, aurait certainement été utile pour créer des brèches. Mais Schäfer ne voyait que par Mboma.
Malheureusement, Mboma, après une saison parsemée de blessures, diminué physiquement, ne pouvait pas effectuer les efforts nécessaires. Son apport s’est avéré nul, alors que son utilisation en joker de luxe, comme Roger Milla en 1990, lui aurait convenu contre des défenseurs déjà usés.
Il fallait simplement oser. Oser aussi poser la question de la présence de Mettomo dans l’axe central à la place de Kalla, dépassé par la vitesse adverse, oser s’interroger sur Geremi et Lauren, pas dans le rythme. Alors que les Allemands étaient à dix, pourquoi envoyer Suffo, plus axial, et se passer d’Epalle, un homme de couloir, ou de Job, impressionnant à l’entraînement? Schäfer avait sa logique : convenait-elle au Cameroun ?
Des joueurs loin du compte
La liste des satisfactions est famélique. Alioum Boukar a été le meilleur Camerounais. Un gardien au hit-parade : c’est dire la domination des Lions sur leurs adversaires… Rigobert Song a tenté de colmater et, même diminué par une blessure à la cheville contractée contre l’Arabie Saoudite, il a montré l’exemple. Peu de choses à reprocher, non plus, à Bill Tchato, présent sur l’homme. Mention à Eto’o pour ses deux premiers matches. Pour le reste, on attendait évidemment mieux d’un ensemble ultra ambitieux. Le côté droit, la force du Cameroun, avec Lauren et Geremi, n’a jamais fonctionné. La fatigue de Lauren, épuisé par sa saison à Arsenal et par la CAN, était prévisible, celle de Geremi moins. En fait, il lui a manqué la compétition : son style est basé sur son physique puissant et son séjour prolongé sur le banc du Real l’a handicapé. Mboma, en dépit d’un but, a peiné. Olembe est passé à côté du Mondial. Un raté devant Kahn puis une interception amenant le premier but allemand restent les images de sa Coupe du monde. Pourtant, il avait des moyens physiques à offrir mais Schäfer lui demandait de manger la ligne de touche et cette situation ne lui convenait pas. Plus ennuyeux :
une fois les couloirs bloqués, les Camerounais étaient incapables de trouver la moindre solution, la moindre inspiration. Un temps, les Lions avaient accusé le voyage pour expliquer le nul contre l’Eire (1-1), ensuite la pression pour la piètre sortie contre l’Arabie Saoudite (1-0), enfin le manque d’expérience contre l’Allemagne (0-2). C’était avant tout un problème de niveau: les joueurs n’ont jamais montré leur vrai visage. Et le Cameroun a quitté le Japon sur la plus grosse déception de son histoire.
HERVÉ PENOT