C’est comme si Winfried Schäfer voyait ses matches de football à part, insensible aux remarques qui lui sont faites, incapable de changer ses options en fonction de l’évolution des matches et des adversaires. Et comme autour de lui se trouvent des adjoints (Paul Ndanga et Pierre Mbarga) sans états de service, donc sans force de proposition, déjà heureux d’être là, de voyager et de percevoir des primes de matches et des frais de mission, on comprend le désastre technique dans lequel baignent les Lions indomptables.
1. Une construction interminable
Depuis plus de deux ans, les Lions indomptables sont à la recherche de leur identité. L’équipe n’a ni la maturité de la génération Milla-Abega-Kundé-Nkono, ni la foi et l’engagement des Kana Biyik-Mbouh-Tataw, encore moins la fluidité dans le jeu de la « Dream Team » de l’année dont certains dignes représentants sont pourtant encore dans le groupe (Song, Njitap, Eto’o, Job, Mettomo). Depuis son arrivée à la tête de l’équipe en septembre 2001, on ne voit toujours pas très bien quelle direction l’Allemand Winfried Schäfer veut prendre. L’héritage immédiat de l’énorme travail abattu par son prédécesseur Pierre Lechantre, ajouté à quelques coups audacieux (Wome repositionné dans l’axe du milieu, Ndiéfi titularisé en demi-finale contre le Mali), lui a permis de remporter la seule couronne qui illumine son palmarès à ce jour. Depuis, et en dépit d’une ombre de renaissance aperçue à la Coupe des confédérations 2003 avec un système ultra-défensif, sa sélection n’a jamais montré un visage reluisant.
Elle était promise à une place de demi-finaliste à la Coupe du monde 2002, mais s’est effondrée comme un château de cartes au premier tour. Rien a priori ne s’opposait sur sa route vers un troisième sacre d’affilée à la Coupe d’Afrique des nations en début de cette année en Tunisie ; elle a laissé ses illusions dans un piteux quart de finale. La voici, cette sélection que Schäfer manage depuis trois ans, embarquée dans une succession d’incertitudes sur le chemin qui mène au Mondial Allemagne 2006. Le staff a apparemment du mal à remplacer quelques cadres de la « Dream Team », absents pour diverses raisons : retraite volontaire (Kalla et Mboma), décès (Foé), bouderie (Etame Mayer), choix du coach ou de la tutelle (Alioum Boukar et Wome), baisse de régime (Olembé). Même là où on croyait le problème réglé, le coach continue à s’embrouiller tout seul dans des schémas tactiques compliqués, comme sur le couloir gauche avec Atouba et dans les buts avec Souleymanou Hamidou. Conséquence, à chaque match de nouvelles recherches, une nouvelle disposition tactique, et toujours pas une équipe homogène et cohérente, malgré la présence de plusieurs individualités qui font fureur dans leurs clubs professionnels en Europe. Et le manège dure tout de même depuis plus de deux ans…
2. Un environnement pollué
La tutelle du ministère de la Jeunesse et des Sports (Minjes) est plus que jamais pesante sur la sélection nationale. Sous prétexte d’exorciser l’échec surprenant de la Coupe du monde 2002, le Minjes a dissout la direction administrative des équipes nationales et l’a remplacée par une « Cellule administrative provisoire des équipes nationales » aux mêmes prérogatives et aux mêmes méthodes archaïques de fonctionnement. Quel était l’effet recherché, en dehors de laisser la latitude au ministre de nommer les gens par simple décision ? Toujours est-il que la sélection baigne toujours dans un amateurisme maladif qui fait qu’elle est incapable de revendiquer un programme de travail annuel, là où des sélections moins ambitieuses maîtrisent au jour près leur calendrier triennal. Aucun match amical négocié, le Minjes ayant choisi de mettre fin au contrat de la Fécafoot avec la société Icm de Lucidio Ribeiro.
La tutelle technique, la Fédération camerounaise de football (Fécafoot), a longtemps joué le jeu du Minjes, du moins jusqu’à l’affaire des maillots à une pièce où chacune des parties voulait tirer la couverture de son côté.
Mais, on n’oublie pas que la fédé a aidé le ministre Bidoung Mkpatt à chasser le sélectionneur Pierre Lechantre en juin 2001, au moment où les Lions indomptables dominaient leur sujet, donnant des insomnies aux plus belles équipes de la planète. C’est toujours la Fécafoot qui est allée dénicher Winfried Schäfer qui, a priori, était un bon choix, vu son pedigree à l’époque. Mais, la fédé s’est ensuite entêtée à travailler avec ce technicien qui, manifestement, ne donnait pas les résultats escomptés. Contre toute logique sportive, il a été reconduit dans ses fonctions après l’échec cuisant à la Coupe et avant même la désillusion de la Can 2004. A chaque fois, le président Mohammed Iya a avancé un besoin de « stabilité » pour justifier le maintien de la confiance à un entraîneur qui, même quand il gagne, laisse à désirer.
On ne reviendra pas sur l’environnement général d’un pays de football qui n’a pas de stade capable d’accueillir la France ou le Brésil en match amical, où le public est souvent à prêt à tourner le dos à son équipe dès le premier revers, mettant ainsi les joueurs sous une pression insoutenable.
3. Des joueurs blasés
Le football se joue à onze joueurs sur un terrain rectangulaire. On ne saurait donc parler de la cause de la baisse de régime actuelle des Lions indomptables sans interpeller la responsabilité des principaux acteurs que sont les joueurs. Par le passé, les footballeurs camerounais, par leur talent, leur détermination individuelle et leur engagement collectif, ont souvent eu à masquer les défaillances des leurs dirigeants ou les choix hasardeux de leurs entraîneurs,, pour obtenir des résultats probants. La génération actuelle a-t-elle les mêmes atouts ? Oui, mais en partie seulement. Il y a du talent dans l’équipe du Cameroun. Il n’y a qu’à voir comment les deux plus grands clubs espagnols se sont disputés Eto’o pendant le récent marché des transferts. Il faut voir comment d’autres joueurs camerounais occupent des positions prépondérantes dans certains autres clubs de haut niveau en Europe : Mbami au Paris Saint-Germain, Njitap à Chelsea, Atouba à Tottenham, Tum à Metz, Job à Middlesbrough, Song à Galatasaray, Djemba à Manchester United, Makoun à Lille…
Contre la Côte d’Ivoire et contre l’Egypte, nous avons observé quelque chose de très positif : les joueurs se parlent, pendant l’échauffement, avant le coup d’envoi et pendant le match. C’est dire qu’ils cherchent eux-mêmes à mieux se comprendre sur le terrain, à nouer des complicités de jeu, à constituer un bloc dynamique. Hélas, la mayonnaise tarde à prendre sur le terrain. Les grands gestes d’Eto’o dimanche dernier au Caire en disent long sur ce manque de cohésion. Pris individuellement, peu de joueurs reproduisent en sélection leurs performances en club. Le cas le plus remarqué est celui de Modeste Mbami, étincelant avec le Psg et transparent au sein des Lions ces derniers, temps alors que la responsabilité de l’orientation du jeu lui échoit. Mais, il y a aussi Djemba, Njitap, Doumbe-Perrier qui manquent de constance, et parfois jouent les sénateurs, avec un minimum syndical, en termes d’engagement. L’icône même du groupe, Eto’o, ne se défonce pas en sélection comme il le fait sur les terrains espagnols : lors de son premier match officiel à Barcelone, il fut aussi aligné ailier gauche mais n’attendait pas les ballons sur place, il venait les chercher pour affoler ensuite la défense. Les victoires des grandes équipes sont souvent dues aux grands joueurs qui savent forcer le destin des matches.
4. Un encadrement calamiteux
C’est sans doute là le point culminant de la source du malaise actuel des Lions indomptables. Trois ans après sa prise de service, le sélectionneur national continue à conjuguer les verbes au futur comme si sa mission avait une durée d’un demi-siècle. « Il y a un bel esprit entre mes joueurs dont la plupart sont performants dans leurs clubs respectifs. Ça va marcher ; l’équipe se construit petit à petit. Les gens sont trop pressés, mais nous finirons par avoir le résultat de notre travail », confiait-il encore dimanche matin. Et pourtant, Winfried Schäfer est manifestement dépassé par les événements. Ses choix, définitivement contestables, manquent de cohérence et perspective. Il s’est réjouit de la performance de Feutchiné contre la Côte d’Ivoire : « J’avais le choix entre Emana et Feutchiné, j’ai retenu ce dernier sur ma liste finale et vous avez vu qu’il marque le deuxième but ». Le coup n’a plus fonctionné contre l’Egypte, parce que le joueur de Paok Salonique n’est pas foncièrement un joker.
Il a aussi besoin d’être mis en confiance, aligné d’entrée par exemple. Encore qu’il nous semble excessif de mettre absolument en concurrence avec Emana, un autre joueur précieux dont un autre entraîneur ne se séparerait pas aussi facilement…
La gestion des ressources humaines est véritablement catastrophique sous l’ère Schäfer. Regardez comment il a proprement grillé Idriss Carlos Kameni contre l’Egypte ! Quelle mouche a piqué le sélectionneur pour aligner ce gardien qui reprend à peine du service dans un club professionnel, alors que Souleymanou avait fait un sans-faute au match précédent ? De la même façon, le coach a choisi d’aligner trois avant-centres dimanche dernier au Caire (Job, Tum et Eto’o), improvisant du coup un 4-3-3 inhabituel.
Or, ce système se joue à un avant-centre et à deux ailiers de métier. S’il opte pour ce schéma, M. Schäfer devrait convoquer les hommes qui peuvent s’y adapter, et non faire appel à quatre attaquants de pointe (avec Ndiefi). Mbami n’a pas non plus jamais animé auparavant un milieu de terrain à trois qui demande trois vrais athlètes physiquement aguerris.
C’est comme si Winfried Schäfer voyait ses matches de football à part, insensible aux remarques qui lui sont faites, incapable de changer ses options en fonction de l’évolution des matches et des adversaires. Et comme autour de lui se trouvent des adjoints (Paul Ndanga et Pierre Mbarga) sans états de service, donc sans force de proposition, déjà heureux d’être là, de voyager et de percevoir des primes de matches et des frais de mission, on comprend le désastre technique dans lequel baignent les Lions indomptables.
Par Emmanuel Gustave SAMNICK, au Caire