Roger Milla n’a pas cessé d’élever la voix dans les couloirs marbrés du Lindern Hotel, joli palace de 4 étoiles qui a accueilli les Lions indomptables à Leipzig. Le vieux lion devenu ambassadeur itinérant, en avait particulièrement contre les journalistes allemands, accusés de ne pas assez respecter l’intimité de l’équipe nationale du Cameroun : « Vous êtes des professionnels, et comment osez – vous approcher les chambres des joueurs ? Pourriez – vous faire la même chose avec l’équipe allemande ? »
Plus de deux heures après sa déculottée (0-3) face à la Mannschaft allemande, dans un Zentralstadion rempli au ras – bord par 45 000 spectateurs, la délégation camerounaise se donnait encore en spectacle à Leipzig, attirant de nombreux journalistes en quête d’informations sur l’affaire Schäfer, du nom du coach allemand des Lions, juste limogé par le ministre de la Jeunesse et des Sports (Minjes).
Limogé ? Non. Viré ; comme un malpropre. Winfried Schäfer a appris son renvoi dans les vestiaires du Zentralstadion, devant ses joueurs, ses adjoints et des journalistes. De retour de la conférence de presse d’après – match, qu’il a été le seul membre de la délégation camerounaise à honorer, le coach a tenté de hausser le ton pour protester contre ce qu’il estime être le sabotage de la préparation de ce match par le Minjes et la Fédération camerounaise de football (Fecafoot). Soudain, Iya Mohamed, le président de la Fécafoot est apparu dans son dos pour lui rappeler qu’il n’est “ pas le patron ici ”, et signifier que suivant un coup de fil juste reçu du ministre, Schäfer n’est plus entraîneur des Lions indomptables à compter de ce 17 novembre.
Amateurisme
L’entraîneur allemand a d’abord accusé le coup. Revenu à l’hôtel avec les joueurs, il s’est finalement rendu compte de la situation et a quelque peu perdu le contrôle de lui-même. En bras de chemise, et demandant véhément des explications aux officiels camerounais, Schäfer a désespérément tenté de bloquer le bus des Lions, pressés d’honorer une invitation de la communauté camerounaise. Un bien pitoyable spectacle, devant les caméras des télévisions allemandes qui le magnifiaient depuis le début de la semaine. Une sortie humiliante, ici dans son pays, dont les officiels camerounais auraient pu faire l’économie.
Exit donc l’Allemand aux cheveux blonds. Pour autant, son renvoi aussi spectaculaire soit-il, ne suffit pas à effacer l’organisation foireuse empreinte d’amateurisme et de laisser-aller qui règne autour des Lions indomptables. Certains joueurs comme Boya, Timothée Atouba ou Douala Mbella, n’auraient pas reçu leur invitation suffisamment à temps. Dans la nuit de lundi à mardi, précédant le match, les Lions sont allés se coucher aux environs de minuit. Et pour cause, ils devaient participer à une réunion avec les responsables du Minjes et de la Fécafoot. Rencontre que le capitaine Rigobert Song qualifie de “ réunion utile pour laver le linge sale en famille ”. En vérité, selon Schäfer, il se serait agi d’une autre discorde autour de la répartition des retombées financières du lucratif Allemagne – Cameroun. La communauté camerounaise est venue y mêler aussi son brouhaha. Quelques heures avant le match, de nombreux compatriotes ont pris d’assaut l’hôtel, sollicitant les Lions pour des photos, des aides financières, etc. Non loin de là pourtant, les joueurs allemands étaient cloîtrés dans leurs chambres, en pleine concentration.
La fiesta
Lorsqu’une sélection professionnelle encaisse une déculottée comme celle de Leipzig, que fait – elle ? Elle s’arrête pour faire une auto – critique et se projeter vers le futur. Au Cameroun, non : les joueurs se rhabillent et vont danser le makossa et le coupé – décalé dans une fête organisée par la communauté camerounaise de Leipzig. Ils y restent jusqu’à 3h30 du matin, à parler de leurs habits, leurs voitures et leurs maisons. Sans mot dire sur le match. Comme si de rien n’était. La discipline dans ce groupe ? On dirait une simple vue de l’esprit, lorsqu’un des ténors de l’équipe à qui un encadreur rappelle des règles de conduite , peut maugréer à l’endroit de ses coéquipiers: “ oui…et après il viendra me demander de le dépanner ”.
“ Ces garçons ne méritent pas l’équipe nationale. Ce sont de grands enfants arrogants, avec des poches pleines d’Euros qui pensent être déjà arrivés et viennent juste frimer et s’amuser chez les Lions ”, s’emporte un Camerounais de Leipzig, nostalgique de la belle époque des Milla, Nkono, Abéga. Un autre compatriote, ingénieur chez Mercedes à Düsseldorf, regrette ouvertement les 800 km qu’il a dû parcourir au volant de sa voiture avec son épouse, pour finalement assister à un spectacle lamentable. La tension est même montée d’un cran à Leipzig. Les Lions ont été insultés à l’entrée de la petite fête de la communauté camerounaise par quelques compatriotes mécontents, non pas tant qu’ils aient largement perdu face à une jeune équipe expérimentale d’Allemagne, mais choqués par la manière avec laquelle ils ont perdu. Sans vraiment se battre, avec un seul tir vers les buts de Jens Lehman, durant tout le match … le tir de Pius Ndieffi à la 90e minute !
FC Hollywood
Les Lions sont – ils encore conscients des espoirs placés en eux par leurs compatriotes ? Rigobert Song voudrait bien dédramatiser la situation. “ Les joueurs ont envie, autant que les Camerounais, d’aller à cette Coupe du monde 2006 et nous allons nous battre jusqu’à la dernière journée pour y aller ”, répète – t – il à l’envi. Roger Milla vend le même espoir à qui veut bien l’acheter: “ Ces éliminatoires, c’est un championnat. La phase aller ne nous a pas souri , mais il y a encore toute une phase retour, qui sera la nôtre ”. Sur le terrain pourtant, on tarde à voir l’équipe conquérante qui pourrait justifier un tel optimisme dévot. Mercredi, face à la Mannschaft, les Lions indomptables ont encore démontré qu’ils ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes ; une équipe sans âme dont les joueurs ne se parlent plus sur l’aire de jeu que pour se chamailler.
La défense, jadis en béton est plus que jamais poreuse, avec des joueurs qui manquent visiblement de compétition et de concentration. Lors des 10 derniers matches de l’équipe nationale, cette défense a réussi l’exploit d’encaisser trois buts à quatre reprises. Le milieu de terrain n’est pas davantage performant. Il a lui aussi perdu sa rigueur d’antan, avec des récupérateurs et des joueurs de couloirs qui jouent d’abord pour eux-mêmes. L’attaque, malgré la présence de Samuel Eto’o, est incroyablement inefficace.
Les Lions indomptables, c’est désormais le FC Hollywood, une constellation de stars dans laquelle chacun veut faire son show pour se faire beau, sans avoir de compte à rendre. Mercredi, deux joueurs sont encore sortis du lot : le capitaine Song éternel modèle d’engagement, et Samuel Eto’o désormais tenu d’assumer partout son statut mérité de joueur de rang mondial. Mais deux joueurs, cela ne fait pas une équipe. En perdant Raymond Kalla, Marc – Vivien Foe et Patrick Mboma, l’équipe nationale du Cameroun a perdu plus que des joueurs, des leaders qui savaient remettre de l’ordre et de la cohésion dans cette sélection qui ne manque pas de talents. De la capacité du nouvel entraîneur à trouver de tels leaders, dépendra son succès avec les Lions indomptables.
Par Ambroise EBONDA à Leipzig