On peut compter sur les doigts de la main le nombre de clubs de football qui, au Cameroun, existent et fonctionnent conformément à la loi sur les associations. Il n’en jouissent pas moins du statut d’association de droit privé, même si leur activité est d’utilité publique.
La Fécafoot (Fédération camerounaise de football) est donc une organisation nationale d’associations privées dont l’activité est la pratique du football. Elle est donc forcément de droit privé comme ses associations membres. Sauf méprise de ma part, je n’ai pas souvenance qu’une loi au Cameroun lui ait conféré un statut d’Etablissement public, ou de division administrative du ministère des Sports et de l’éducation physique. Et si c’était vraiment le cas, on ne voit pas comment la Fécafoot serait membre à part entière de la Fifa qui est l’organisation faîtière des fédérations nationales de football.
Le fait est là, bien sûr, que la récupération politique par les gouvernements d’un football opium pour certains, et de plus en plus industriel pour d’autres, amène de plus en plus les Etats, et surtout ceux du Tiers-monde, à vouloir contester dans les faits le gouvernement mondial du football par la Fifa.
Dans les pays où le football devient un instrument d’embrigadement de la jeunesse, ou un exutoire socioculturel pour le peuple politiquement opprimé et économiquement appauvri, le gouvernement a peur que les responsables de la Fédération de football bénéficiant de l’immunité de la Fifa, ne constituent un pôle de pouvoir parallèle et puissant.
Au Cameroun, il n’y a pas de risque réel aujourd’hui qu’une telle situation survienne. Par contre, la cupidité avide des fonctionnaires qui ont tendance soit à s’approprier l’Etat, soit à utiliser la puissance publique pour s’octroyer privilèges et profits, les priveront de sommeil tant qu’ils ne se seront pas approprié par ordonnance ou décret, la gestion directe et particulièrement financière, de la Fécafoot. Le combat a commencé en 1972 après la débâcle du “ onze ” national à la VIIIème Coupe des nations. Prétendûment, la fédération n’avait pas été à la hauteur des attentes du pouvoir politique dont la victoire de l’équipe camerounaise aurait rehaussé le prestige en Afrique.
En réalité, l’administration avait été par ses ingérences multiples et diverses dans l’organisation de l’équipe, le véritable responsable de la défaite, et ce n’est pas le ministre d’Etat, François Ngoubeyou, qui me démentirait. Mais par un phénomène de mystification dont elle a toujours le secret, l’administration avait organisé un procès bidon confiné à la gestion financière du Comité d’organisation. Juste de quoi diaboliser et disqualifier les dirigeants de la Fécafoot de l’époque et justifier une prise en main de l’équipe nationale dont le ministère des Sports organisera un concours pour trouver un nom fétiche plus porteur. D’où les “ Lions Indomptables ”. Depuis lors, le gouvernement gère en lieu et place de la fédé l’équipe nationale du football devenue sa propriété par décret. Sans être cependant pour grand’chose dans son indomptabilité plutôt garantie par le football professionnel européen.
La Fifa aurait pu obtenir depuis deux ou trois ans que, comme dans les autres pays membres de la Fifa, l’équipe nationale redevienne légitimement la propriété de la fédération dont les clubs membres détectent et forment les joueurs sans aide de l’Etat. Mais, il se trouve que la politisation locale des prestations internationales a un prix financier. L’Etat doit débloquer de l’argent, beaucoup d’argent, pour préparer l’équipe nationale à hauteur du profit qu’il veut tirer de ses victoires. Et cet argent-là, il faut le gérer.
Dans les pays où le patriotisme et l’intérêt général prévalent sur l’avidité nombriliste des individus, cet argent est débloqué à la fédération qui gère l’équipe nationale et en rend compte à l’Etat. Au Cameroun, le ministère des Sports qui dans les faits reste curieusement un ministère de Football, créé au bénéfice de ses fonctionnaires dont le ministre, un amalgame nébuleux autour des Lions Indomptables, gérant à sa guise les fonds que le gouvernement consacre à la préparation des compétitions, et cherchant permanamment à s’approprier les ressources que produit la prestation internationale de l’équipe. C’est-à-dire le produit de l’activité de la fédération.
Mais à qui le ministère des Sports qui, en théorie, n’assume qu’une tutelle de contrôle sur la fédération rend-il compte de sa gestion de l’argent que le Minefi ou la présidence de la République lui donne, et/ou de celui qu’il reçoit ou extorque de la Fécafoot ? Bien malin qui peut le dire avec certitude et exactitude.
Par contre, on assiste aujourd’hui à une sorte de bras de fer entre le ministre des Sports et de l’éducation physique d’une part, et le président de la Fécafoot de l’autre ; bras de fer dont le “ killing spirit ” caractéristique indique bien que l’enjeu n’est pas la situation du football camerounais qui est au plus mal, mais la gestion financière des compétitions internationales des Lions Indomptables.
S’il en était autrement, le ministre dont c’est la mission politique, se battrait plutôt pour que les clubs de football soient mieux organisés (pour leur rôle social) ; pour que croissent les infrastructures sportives ; pour que les entraîneurs soient plus nombreux et mieux traités dans les clubs ; et pour que l’existence d’une équipe nationale performante ne soit pas exclusivement tributaire des équipes européennes, etc.
Il est surprenant – mais le Cameroun n’est-il pas le Cameroun ? – qu’un ministre des Sports qui est nommé par décret pour assurer la tutelle d’une structure civile fasse feu de tout bois… pour dégommer un ou plusieurs de ses dirigeants qui ont été élus par leurs pairs. Sous d’autres cieux, l’acharnement dont l’actuel ministre des Sports fait preuve contre le président de la Fécafoot, au point de songer à dissoudre la fédération (dit-on dans la presse) après avoir porté plainte à la police contre lui et exigé sa démission, s’appellerait “ abus de pouvoir ” ou “ abus de position ”.
Je ne sais pas si la Charte des sports prévoit que le ministre de tutelle peut dissoudre une fédération sportive, ni en quelles circonstances, mais les textes de la Fécafoot fixent les conditions des procédures disciplinaires à l’encontre de la mauvaise gestion de ses fonds, tandis que pour demander à son président de démissionner, il faut en être membre qualifié. Le ministre des Sports est-il membre de droit d’une fédération sportive ?
Qu’on me comprenne bien. Le bureau exécutif de la Fécafoot et son président peuvent avoir mal géré ou même volé les fonds de la fédération. C’est à celle-ci, réunie en Assemblée générale, à décider de leur sort, y compris, le cas échéant, de leur poursuite judiciaire. Peuvent-ils être tenus pour responsables des fonds publics disparus dont le ministère de tutelle est comptable ?
Et c’est justement pour éviter aux fédérations membres le genre de tourmente que le ministre des Sports voudrait aujourd’hui imposer à la Fécafoot, en espérant y être encouragé par le Premier ministre, que la Fifa s’oppose à toute ingérence dans la gestion interne de la Fécafoot.
C’est donc un risque insensé que prendrait le ministre Mbarga Mboa en affirmant, comme je l’ai lu dans un journal, “ La Fifa est une association de droit suisse (et) ne saurait dicter une conduite à un Etat souverain ”. Un de ses multiples prédécesseurs qui pensait comme lui a seulement réussi à faire perdre la face au gouvernement camerounais devant la Fifa. Il y avait donc là, une bonne occasion de se taire pour ce ministre des Sports qui ne sait pas que la Fifa parle aux fédérations qui appliquent ses règles et non aux Etats.
Jean-Baptiste SIPA